Les MOOC
Un collectif anti-MOOC… fausse alerte de Noël !
Arrêtez tout.
Rebouchez le champagne, jetez les bûches et remettez les saumons à la mer, il y
a urgence. La fameuse « trêve des confiseurs » doit prendre fin
immédiatement car une grave crise menace le monde. La Syrie ? Un accident
nucléaire ? Les marchés financiers ? La courbe du chômage ? Point. Les MOOC.
Les quoi ? Les MOOC, les cours en ligne gratuits. Ils menacent notre
civilisation même. Il y a urgence. Devant cette urgence, un collectif anti-MOOC
vient de se créer et a publié, visiblement en toute hâte tellement il est mal
rédigé, un communiqué
obligeamment publié dans Libération.
Un 26 décembre. Un collectif anti-MOOC donc. Créé par qui ? Un quarteron
de syndicalistes en retraite. Et que nous disent-ils ? Que les MOOC ce n’est
pas bien. Redevenus sobres, regardons ce qu’il en est.
- Ils attaquent bille en tête avec le taux d’échec
Les auteurs se
gargarisent naturellement des 90% de taux d’échec aux MOOC. C’est amusant.
Lorsque je me suis inscrit à l’université, en DEUG de sciences, nous étions 650
le premier jour. Le premier jour de la seconde année, nous étions 120. 81% de
taux d’échec. Mais au-delà, brandir ce taux est insignifiant : l’intérêt des
MOOC est précisément la liberté de s’y inscrire, et d’aller au bout si on veut.
En outre, les MOOC jouent sur la masse : 10% de réussite x 10.000 inscrits,
cela fait mille certifiés, ce n’est pas mal. En ce qui concerne mon MOOC, j’ai
eu 2.482 reçus sur 9.200 inscrits, soit 26,9% de réussite. Mais si je dis ça,
mes syndicalistes adorés vont hurler au bradage de diplôme.
- Unification
Les auteurs craignent
une unification des cours avec disparition de la diversité, ceux-ci étant
contrôlés par quelques grandes universités. À l’heure d’Internet, et de la
facilité avec laquelle on peut faire un cours en ligne, une telle affirmation est
simplement ridicule. C’est au contraire à une explosion de cours dans tous les
sens qu’on va assister, comme pour la musique, et il y aura bien sûr beaucoup
de mauvais dans tout cela, mais aussi du bon voire du très bon. Le mauvais
passera à la trappe assez vite. Les étudiants, voyez-vous, ne sont pas débiles.
- Liberté pédagogique
Les auteurs expliquent
qu’avec un cours vidéo, les MOOC imposeront un savoir standardisé et répétitif
supprimant la liberté pédagogique. Là encore c’est absurde : il serait
souhaitable qu’ils participent au moins une fois à un MOOC avant d’écrire de
telles âneries. Un MOOC c’est comme un concert : la partie filmée avec le
professeur ne représente qu’une petite partie du contenu, tout le reste est
créé par l’expérience d’interaction entre les participants entre eux et avec
l’équipe pédagogique. C’est ne rien avoir compris aux MOOC que ne pas avoir
compris qu’ils sont avant tout une expérience collective en grande partie
construite dans l’instant. À ce titre, écrire que « Mooc et enseignements en classe ne sont pas
complémentaires. L’avènement des premiers signifie la fin des seconds ou, en
tout cas, leur subordination. » est tout simplement stupide.
Ajoutons qu’ils mélangent situation aux États-Unis et en France, enfin bref ça
sent le tract rédigé à 3h du matin.
Mais bien entendu, nos
syndicalistes du 26 décembre se fichent de tout cela. Ce qui les inquiète, ce
ne sont pas les élèves, ce n’est pas la qualité de l’enseignement, ce n’est pas
non plus que l’enseignement soit ouvert à plus de gens. Non, ce qui les inquiète
c’est horresco referens que ce soit
une initiative privée. Pire, c’est que par là-même, le savoir échappe aux
grands prêtres de l’éducation qu’ils représentent. Leur opposition à cette
nouvelle forme d’enseignement est pathétique et rétrograde. Elle fait pitié.
Avec les mêmes arguments, ils se seraient opposés au livre il y a cinq siècles,
à la création du CNAM en 1794 et à Internet – oups – il y a une cinquantaine
d’années. Ils font penser aux fabricants de chandelle se plaignant de la
concurrence du soleil.
Une telle initiative
est particulièrement indécente au moment même où la France se retrouve en fin
de classement en matière de performance scolaire avec le fameux classement PISA
et les multiples rapports de l’OCDE. Les classements ont leurs limites, mais
celui-ci traduit néanmoins bien la dégradation de l’enseignement français que
personne ne conteste vraiment. Lorsqu’il y a quelques années les Allemands
avaient subi un tel revers, ils avaient aussitôt pris des mesures. En France,
rien de tel. Plutôt que s’interroger sur les faiblesses françaises, et de
regarder en quoi les MOOC peuvent constituer une solution, même partielle, à
cette faiblesse, nos preux chevaliers du 26 décembre préfèrent attaquer
l’avenir. Haro sur le thermomètre.
Alors, avant
finalement de ressortir le champagne et de repêcher le saumon, brièvement
interrompus par ce qui restera comme une fausse alerte, concluons sur ceci :
oui mes chers syndicalistes, les MOOC vont bouleverser votre système
éducatif, et pour une raison simple : vous vous êtes opposés, durant des
décennies, à son évolution, à sa réforme, et à son ouverture. Il faut bien
trouver autre chose. Non, les cours en classes ne disparaîtront pas.
Rassurez-vous, les riches que vous défendez auront toujours leurs cours,
tellement personnalisés dans des amphis de 600 places face à des écrans de
télévision.
Dans le même temps la
technologie avance, les entrepreneurs bougent et remettent tout en question.
Tant mieux. Que résultera-t-il de tout ça ? Sûrement un système hybride, les
MOOC s’adressant plutôt à ceux qui, de toute façon, ne sont pas dans le système
éducatif. Ne vous inquiétez donc pas, chers syndicalistes, nous ferons la
révolution sans vous et comme nous sommes sympas, on vous laissera une petite
place.
Pour
ne pas lasser le lecteur, je n’ai pas repris la somme des arguments en faveur
des MOOCs et leur impact. Pour en savoir plus, voir l’article que j’ai consacré
au sujet : La
grande rupture qui menace les écoles de commerce.
Source contrepoints.org (Philippe Silberzahn)
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