Internet au bureau : la pause cachée
Envie de s'évader au boulot ? Hop, un petit
tour en douce sur YouTube, une chanson sur Deezer… Ces pratiques
affectent-elles vraiment la productivité ?
C'est le cauchemar des responsables de ressources humaines
et le genre de témoignage qui s'arrache comme un aveu : un financier d'une
entreprise de développement durable qui rattrape les épisodes de Game of thrones au
bureau à l'heure du déjeuner. Un chercheur du CNRS qui regarde toute la journée
des clips sur YouTube en attendant le résultat de ses expériences de
laboratoire. Un commercial de société viticole qui télécharge illégalement des
albums et des films sur son ordinateur professionnel. Sans compter la
foultitude de camarades publicitaires, architectes ou journalistes (on ne
donnera pas de noms !) qui ne travaillent jamais mieux qu'avec un casque audio
sur les oreilles – la faute aux bruits parasites de l'open space –, inspirés
par le dernier album d'Etienne Daho ou d'Arcade Fire…
Sur
Spotify, dix-huit millions de chansons sont écoutées chaque jour en streaming
entre 16 et 17 heures. Le pic d'audience mondial se situe le jeudi après-midi,
où les salariés – « fatigués par la semaine »,
suggère une responsable du site – peaufinent leur playlist du week-end. On peut
crier au scandale de la glande au bureau. Ou se féliciter au contraire qu'on y
découvre enfin des artistes ! Et si l'open space était devenu le nouveau lieu
de la culture clandestine ?
Spécialisée
dans le filtrage Internet, l'entreprise Olfeo calcule qu'un salarié passe en
moyenne cinquante-trois minutes par jour sur Internet au bureau pour un usage
personnel – l'équivalent de « six semaines de
congés en plus » sur l'année ! En tête des sites les plus visités en
douce, Facebook et YouTube, mais aussi le site de France Télévisions, qui entre
cette année dans le Top 20.
La consommation de vidéos en streaming concerne souvent le
sport ou le divertissement – la dernière demi-finale de Roland-Garros, entre
Tsonga et Ferrer, a attiré cinq cent mille internautes, en direct, un vendredi
après-midi – mais de plus en plus de documentaires ou de séries sont également
visionnés dans la journée. En 2013, le nombre de vidéos consultées en
rattrapage sur le site d'Arte a augmenté de 41 % (en tête, la série Real Humans, avec trois cent vingt mille
visionnages, devant Top of the lake et le documentaire The Gatekeepers). Bien sûr, dans
le lot, il doit aussi y avoir des chômeurs, des parents au foyer, des
travailleurs de nuit…
Est-ce
légal ? La plupart des sociétés autorisent une consommation « raisonnable »
d'Internet pour usage personnel, mais bloquent en parallèle certains sites.
Impossible de se connecter à Deezer quand on travaille chez EDF. Les financiers
de BNP-Paribas n'ont quant à eux le droit de surfer sur Facebook et YouTube que
pendant la pause déjeuner et après 18 heures.
Créée il y
a dix ans, la société Olfeo filtre aujourd'hui deux millions de salariés
français, principalement employés dans de grandes entreprises (Air France,
Sodexo, ING Direct…), des hôpitaux, des municipalités… Mais si la connexion est
bridée, rien n'empêche de contourner les logiciels de filtrage et les
pare-feux, voire d'écouter de la musique directement sur son téléphone (en
octobre dernier, la cour d'appel de Colmar a jugé que cette pratique ne
constituait « ni une faute grave ni une cause
sérieuse de licenciement »).
De fait,
l'usage se répand dans les bureaux, où l'on peut boucler son dossier comptable
ou son PowerPoint en écoutant Stromae ou Rihanna. Certains DRH admettent que la
musique peut avoir des vertus stimulantes, même si le fameux « effet Mozart »
(écouter Mozart rendrait intelligent), très à la mode dans les années 90, est
aujourd'hui largement contesté.
Dans un
communiqué, Spotify s'appuie sur les travaux d'une chercheuse anglaise pour
promouvoir des playlists adaptées au travail, jurant que Miley Cyrus et Justin
Timberlake ont « un effet relaxant, propice aux
pensées logiques » (sic). Est-ce
que ça marche aussi pour Je ne veux pas
travailler, de Pink Martini, et Don't
talk to me about work, de Lou Reed ?
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