Inflation normative : bienvenue chez les fous !
Pour rire et pour pleurer, il faut lire l’ouvrage de
Philippe Eliakim, Absurdité à la française
: enquête sur ces normes qui nous tyrannisent. L’hexagone étant le pays
le plus fonctionnarisé au monde, il n’est pas étonnant que pour occuper tout ce
monde, la production de normes, textes et interdictions de tout poil soit
quasiment le seul secteur où notre beau pays devance la planète entière. Les
chiffres avancés par P. Eliakim donnent le vertige : 400.000 règles et
contraintes disséminées dans 22.334 articles de loi, 137.219 articles de
décrets, des dizaines de milliers de textes de toute nature parsemés dans 64
codes ! L’application de toutes ces normes représenterait chaque année
3,7% du PIB soit 70 milliards d’euros ponctionnés sur les entreprises et les
contribuables. Pour expliquer cette diarrhée normative, « la démographie énarchique, les hauts fonctionnaires et leurs
patrons ne font aucune confiance aux citoyens et considèrent que c’est à eux de
régler les problèmes ». Les politiques ne sont pas en reste. On
peut les comprendre en partie. L’objectif essentiel de ces normes constitue
leur protection avant tout. Notre société est devenue tellement pusillanime et
obsédée par le risque zéro et l’aléa que la judiciarisation est devenue la
règle devant la moindre contrariété.
Le sauvetage de la
planète occupe une part non négligeable de ce tsunami de contraintes. Les
ayatollahs de la norme peuvent librement exprimer une imagination sans limites
et mettre en application une « cheffite »
perverse. La seule adoption d’un « plan climat-énergie »
obligatoire depuis le sacro-saint Grenelle de l’environnement dans les communes
de plus de 50.000 habitants, reviendra entre 60.000 et 120.000 euros à chaque
municipalité en frais d’expertises et de bureaux d’études. Le copinage et le
copier-coller deviennent très tendance. Les DREAL (22 en France abritant des
milliers de fonctionnaires) ont quasiment le droit de vie ou de mort sur tous
les projets de développement économiques. Depuis l’adoption de la loi Grenelle
II du 12 juillet 2010, « les
jusqu’au-boutistes de l’écologie ne chôment pas… et demandent de faire du
Grenelle partout sur tous les sujets ».
Le bâtiment n’échappe
pas à la norme salvatrice. Depuis le 1er janvier 2013 une norme d’isolation
thermique unique au monde, 1370 pages bourrées d’algorithmes et de formules
mathématiques quasi quantiques, va renchérir le coût des nouvelles
constructions de 15 voire 20%. La hausse est d’autant plus importante que les
surfaces sont modestes. Les maisons neuves seront réservées aux bobos-écolos-nantis-préoccupés-par-la-planète.
La relance du bâtiment attendra donc. Selon une note discrète de 2011, le
ministère du Développement durable laisse entendre que la Rénovation Thermique
2012 favorise les attaques de mérules (champignons redoutables pulvérisant
littéralement les poutres même en chêne) dans le bâti ancien rénové du fait du
faible renouvellement d’air !
La trouille du procès
rédempteur touche évidemment la santé. Le Bisphénol A (BPA), a fait l’objet
d’un raz de marée d’indignation et de normes. Sauf que, en dehors des
nouveau-nés, le rôle du BPA est nul dans l’obésité, le diabète, la reproduction
et le cancer du sein (Anses, FDA, Efsa). Peu importe, nos apôtres
sécuritaires obligent nos industriels de l’emballage à abandonner le BPA pour
des substances alternatives dont l’innocuité n’est pas démontrée ! Le
marché international de la conserve qui utilise toujours le BPA, se réjouit de
notre perte de compétitivité et des délocalisations prévisibles. Les conserves not made in France seront à n’en pas douter,
bloquées aux frontières.
P. Eliakim nous
rappelle l’inénarrable épisode de la pilule Diane 35 qui est à l’origine de 7
décès et 113 embolies pulmonaires en 35 ans, oui vous avez bien lu, en 35 ans. L’aspirine est 10 fois plus
dangereuse, saignements gastro-intestinaux et intracrâniens dans 2 cas sur
1000, voire des hépatites fulminantes. Toujours aucune interdiction en vue.
Pour terminer,
intéressons nous à nos établissements de soins en proie à d’énormes
difficultés. Le retour à l’équilibre des comptes des établissements publics
devient la priorité indépassable. Les
administrations hospitalières pilotent dorénavant via des tableurs Excel des
indicateurs, des normes, des tableaux et des lignes budgétaires de plus en plus
éloignées du terrain, les malades devenant des variables d’ajustement.
Pour faciliter les
choses, il faut savoir que des tonnes d’obligations normatives pèsent sur les
hôpitaux et les cliniques comme la certification des établissements de santé
menée par la Haute Autorité de Santé (HAS) dont la vocation est d’améliorer la
prise en charge des patients. Nul ne songe à contester le fond de cette
démarche sauf lorsque l’énergie des acteurs de terrain déjà fortement
sollicitée par des montagnes de paperasse à cette occasion est aspirée par le
sauvetage prioritaire de la planète passant avant le malade. En effet, « la qualité des soins [...] ne doit pas être atteinte aux dépens de
l’environnement » selon la ministre de la santé et des sports,
phrase inoubliable prononcée le 27 octobre 2009 lors de la signature de la
convention portant engagement des établissements de santé dans le cadre du
Grenelle de l’environnement (il est partout vous dis-je).
Des heures de réunions
(médecins, infirmières, ingénieurs qualité, cadres, administratifs voire
usagers), des rapports-corrections-validations sont nécessaires pour venir à
bout des 8 critères du chapitre 1 « Management
de l’établissement du manuel de certification concernant le développement
durable ». Tout y passe, le meilleur étant le critère correspondant
aux achats éco-responsables et approvisionnements. Le groupe de travail désigné
volontaire (plus personnes n’a envie d’en être) doit se poser doctement les
questions suivantes :
- L’établissement prend-il en compte l’environnement dans ses achats ?
- Les besoins préalables sont-ils clairement identifiés en associant les acteurs concernés ?
- L’établissement intègre-t-il des critères sociaux et environnementaux dans le choix des fournisseurs ?
- La sélection des fournisseurs est-elle formalisée et connues des différentes parties ?
- Existe-t-il une contractualisation de la relation avec les fournisseurs ?
Tout ça occupe 4
tableaux, 22 documents de preuves, 19 questions à se poser et 13 observations
de terrain. Ceci n’étant qu’une infime partie des tonnes de documents à remplir
pour espérer voir son établissement être certifié.
Impitoyable ou
impayable, l’HAS nous fait remarquer que « les
établissements ne doivent pas s’empêcher de se questionner sur le développement
durable à travers les autres critères ». Vu le bazar
ci-dessus et la liste invraisemblable de critères à remplir par ailleurs, on
n’a pas trop envie d’aller voir ce qui se passe en terme de durabilité pour le
reste. Bref on remplit du papier en faisant plaisir aux experts visiteurs venus
accréditer l’établissement. Il faut souligner qu’il est désormais plus
lucratif, plus cool et beaucoup moins
risqué de vendre ses services comme auditeur que de faire de la biologie ou de
la médecine. C’est plus facile que de mettre les mains dans le cambouis tout en
risquant une plainte à tout moment pour non respect d’une norme, recommandation,
protocole, procédure, décret, circulaire…
Remercions encore une
fois ces administrations peuplées de « serial
normeurs » pour la simplicité des démarches qu’elles nous imposent
sur absolument tous les champs touchant de près ou de loin nos existences,
celle des animaux, des plantes, du
climat, du calibrage des bananes, etc., etc.
La France est
décidément un pays formidable, ce n’est pas Philippe Eliakim qui nous
contredira.
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