Entretien avec Alain Laurent
Le libéralisme est une philosophie, pas une
idéologie.
Alain Laurent, l’encyclopédiste du libéralisme,
est un homme tranquillement assuré de ses convictions. Philosophe et historien
des idées, il dirige les collections « Bibliothèque classique de la
liberté » et « Penseurs de la liberté » aux Belles Lettres.
Coauteur, avec Vincent Valentin, d’une considérable anthologie intitulée
« Les penseurs libéraux », il vient de publier « En finir avec
l’angélisme pénal ». On recommandera vivement « La société ouverte et
ses nouveaux ennemis », critique lucide et argumentée du
multiculturalisme.
- Le Point : Le libéralisme n’a pas bonne presse en France. On l’accuse d’être l’idéologie des possédants qui cherchent à légitimer leur richesse. Vous-même, vous êtes plutôt héritier ou plutôt boursier ?
Alain Laurent : Ce genre de déterminisme sociologique fait
sourire le fils d’un ouvrier électricien et d’une femme de ménage que je suis.
D’abord élève d’une école normale d’instituteurs, puisque c’était ma seule
chance d’emprunter l’ascenseur social, j’ai bifurqué pour aller en Sorbonne
étudier la philosophie et ensuite l’enseigner, puis faire une thèse de
sociologie. Pour en revenir au libéralisme, ce n’est nullement en principe une
idéologie de classe, mais une philosophie laissant les individus libres d’agir
dans le cadre de l’Etat de droit. Elle encourage la coopération volontaire et
la responsabilité personnelle : chacun doit recevoir la récompense de ses
choix judicieux mais aussi assumer ses échecs, ses erreurs. Idéalement, le
libéralisme vise une meilleure distribution primaire des revenus, tellement
plus favorable au bien être général que le fanatisme de la redistribution, qui
spolie et décourage les classes moyennes. Tel que je l’entends, il n’a aucune
responsabilité dans la cupidité des traders et de quelques grands patrons
avides de retraites-chapeaux, qui exploitent l’économie de marché. C’est un
mauvais procès qu’on lui fait.
- Mais cette passion pour la pensée libérale, elle vous est venue quand et comment ?
Vers la
fin de sa présidence, Valéry Giscard d’Estaing avait lancé le slogan du
« libéralisme avancé ». A l’époque, le libéralisme n’intéressait
presque personne. Alors j’ai voulu aller voir de quoi il retournait exactement
sur le plan des idées. Dans un premier temps, c’est à l’individualisme que je
me suis intéressé. La tradition sociologique française, de Durkheim à Bourdieu,
est dominée par des pensées holistes. Elles font de l’individu un sous-acteur
social sans consistance, mû de l’extérieur, irresponsable, conditionné ou
aliéné… Dans mes premiers travaux, j’ai cherché à réencastrer le social dans
les relations interindividuelles et redonner droit de cité au primat de
l’indépendance individuelle, en redorant le blason de l’« individualisme
libéral ».
- De nombreux penseurs (de Serge Audier à Michel Guénaire) critiquent en ce moment le libéralisme économique afin de mieux défendre le libéralisme politique. Au vu des responsabilités de la finance dans la crise, cela vous paraît-il avisé ?
Mais
non ! C’est de l’hémiplégie intellectuelle. La liberté économique et la
liberté politique sont indissociables. Contrairement à une légende ressassée,
les pères fondateurs du libéralisme politique, comme Benjamin Constant, étaient
également des défenseurs du libéralisme en économie. Le libéralisme est né du
souci de libérer l’individu des entraves que les pouvoirs, tant politiques que
religieux, faisaient peser sur son autonomie. Comment être politiquement libre,
lorsqu’on dépend économiquement de l’Etat pour son emploi, son logement, ses
vacances… comme dans l’ex-URSS ? Tout le monde doit avoir droit aux
bienfaits d’une économie libre. Et un peu partout, un nombre croissant de gens
y aspirent d’une manière irrépressible. Quant au rôle de la finance dans la
crise, faut-il rappeler que Freddie Mac et Fanny Mae, qui sont à l’origine de
cette crise, étaient deux organismes semi-publics ? A ce stade de la
crise, le problème n’est pas la finance, mais bien les dettes publiques. Il est
tout de même aberrant de voir « l’ultralibéralisme » mis en cause
dans un pays où l’Etat dépense 57 % du PIB…
- Sans doute, mais une bonne part de ces dépenses est destinée au financement de l’Etat-providence, auquel la plupart des Français sont attachés.
L’Etat-providence
à la française est condamné. Il va mourir de son obésité. Il est condamné
économiquement, parce que, financé à crédit, il s’achève inéluctablement en
féroce répression fiscale. Et il n’est plus soutenable moralement parce qu’il
déresponsabilise et anesthésie une masse toujours croissante d’assistés
auxquels on dénie toute dignité individuelle. La catastrophe approche très
rapidement. Aux libéraux d’en faire une opportunité de rebond.
- Reconnaissez que le contexte politique actuel n’est guère favorable aux libéraux.
Mais
l’opinion publique est en train de nous rejoindre sur bien des sujets — sans
savoir pour autant que ces solutions qui vont s’imposer sont des solutions
libérales. Le socialisme déchaîné est en train de provoquer des révoltes
spontanées contre une fiscalité devenue folle — et aussi des réglementations
bureaucratiques paralysantes, des interventions étatiques contre-productives.
Le libéralisme ne gagnera cependant la partie qu’en parvenant à démontrer
concrètement aux salariés modestes qu’il est de leur intérêt que l’Etat cesse
de bloquer l’activité économique dans notre pays. Quant aux rares politiciens
qu’on pourrait considérer comme plus ou moins libéraux, je leur reproche de se
montrer sourds à la dégradation de la vie quotidienne de nos concitoyens les
moins favorisés. Confrontés à l’insécurité, ceux-ci sont déstabilisés par une
immigration déferlante, par la halalisation de quartiers entiers. Les libéraux
seraient bien avisés de s’inspirer de ce que disent Michèle Tribalat, Alain
Finkielkraut ou Philippe Bilger.
- Mais du côté des intellectuels, vous ne faites pas le plein non plus. Où sont les Aron, les Hayek, les Boudon d’aujourd’hui ?
Ailleurs,
ce n’est pas moins le grand vide ! Et même s’il n’en est pas un théoricien
novateur, Mario Vargas Llosa, Prix Nobel de littérature 2010, illustre
mondialement et avec éloquence les valeurs classiques du libéralisme.
Source institutcoppet.org (Propos recueillis par Brice Couturier)
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