Assassinats politiques… Ennhada, coupable idéal.
Le parti islamiste au pouvoir est désigné comme
le responsable des meurtres de Mohamed Brahmi et de Chokri Belaïd. Le site
Leaders décortique cette hypothèse, en quatre points.
Premier niveau de
lecture : le plus évident, le plus facile, le plus
démagogique : le coupable est Ennahda !
C'est le scénario soutenu par les familles, partis et proches des deux
victimes. C'est également la position d'autres partis de l'opposition et d'une
grande partie de la société civile. Le raisonnement est simple : Chokri
Belaïd [assassiné le 6 février] comme Mohamed Brahmi [assassiné le
25 juillet] étaient de fervents opposants au parti au pouvoir, dénonçant
sans relâche les faiblesses et la mauvaise gouvernance de la troïka [les trois
partis qui se partagent le pouvoir : Ennahda, le Congrès pour la
République (CPR), gauche nationaliste, et Ettakatol, gauche] en général et
d'Ennahda en particulier, s'attelant à "ouvrir les yeux" des
Tunisiens sur l'hypocrisie et l'incompétence des dirigeants nahdaouis. Ce parti
chercherait donc à liquider des opposants gênants et acharnés.
Deuxième niveau de
lecture : les premiers à faire les frais de ces deux assassinats
sont indiscutablement la troïka, mais aussi et surtout Ennahda. Le meurtre de
Chokri Belaïd a valu son poste au Premier ministre [Hamadi Jebali, issu du
parti Ennahda, il a démissionné le 19 février]. Celui de Mohamed Brahmi a
soulevé les masses, éveillé l'acharnement des opposants, retourné l'opinion
publique contre le gouvernement, l'ANC [Assemblée nationale constituante] et
les figures d'Ennahda. On ne peut nier qu'à chaque fois le gouvernement et le
parti sont fortement ébranlés. Donc, pourquoi Ennahda, qui a tout à perdre de
ces événements, en serait-il l'auteur ? Belaïd et Brahmi sont moins
dangereux vivants que morts pour ce mouvement. Ennahda serait-il suffisamment
ingénu pour creuser sa propre tombe et susciter la colère de populations
entières ? Cela est peu probable.
- Marquer les distances avec la nébuleuse extrémiste
Troisième niveau de
lecture : chaque parti, et Ennahda le premier, prépare sa campagne
électorale [pour des élections à venir, mais à une date indéterminée]. Si nous
tentions un bref procès purement populiste de ce parti, nous conclurions très
rapidement à un constat sans appel : "Défenseur de l'islam et des
valeurs morales mais incompétent dans la gestion des affaires publiques,
laxistes et complaisant avec les salafistes et autres extrémistes."
L'homme de la rue ne
pardonne ni les événements de l'ambassade des Etats-Unis [le 14 septembre
2012, une attaque perpétrée par des islamistes a fait quatre morts et des
dizaines de blessés] ni ceux de Chaambi [la traque de djihadistes retranchés
dans cette montagne a fait plusieurs victimes dans les rangs de l'armée et de
la garde nationale depuis avril]. Ni les morts gratuites de Lotfi Nagdh [figure
du parti de l'opposition Nidaa Tounes, il a été battu à mort le 18 octobre
2012 par des membres de la Ligue de protection de la révolution, proche
d'Ennahda], Belaïd, Brahmi ni la circulation d'armes un peu partout... Ennahda
est le premier à être conscient de cette évaluation et à mesurer ses
conséquences.
L'urgence est donc de
marquer les distances avec la nébuleuse extrémiste, de sacrifier ces salafistes
non seulement encombrants mais de surcroît ingrats ! La solution est
machiavélique mais toute trouvée : se débarrasser des opposants par le bras
salafiste [celui qui est suspecté d'avoir tiré sur Brahmi et Belaïd est un
salafiste], risquer un premier temps de mécontentement de l'opinion publique,
conclure à la culpabilité jihadiste et se débarrasser d'un seul et même coup
des deux rivaux, en raflant au passage la reconnaissance de l'homme de la
rue : pour le moins ingénieux et très possible !
- Rester enfin seul maître à bord !
Quatrième niveau de
lecture : Convenons d'abord qu'il y a Ennahda et Ennahda. Le parti
compte plusieurs tendances que nous résumerons sommairement à l'aile dure et
l'aile modérée. Souvenons-nous que l'aile dure d'Ennahda entretient, sans se
cacher, des relations confirmées avec les différentes mouvances salafistes et
extrémistes, avec lesquelles elle partage d'ailleurs nombre de principes et de
convictions.
Partant de là,
l'hypothèse d'une guerre fratricide n'est pas à exclure dans l'affaire des
assassinats politiques : commanditer les meurtres, les faire exécuter par
les alliés salafistes, saborder l'aile modérée et rester enfin seul maître à
bord !
Quel que soit le
scénario, on relèvera que trois hypothèses sur quatre amènent à conclure
qu'Ennahda n'est pas étranger aux meurtres de Belaïd et de Brahmi, sans compter
celui de Nagdh. On ne prête qu'aux riches : Ennahda est au pouvoir.
Coupable, peut être pas ; responsable, certainement !
Dessin de
Dessin de Willis
Source Courrier International
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