Protéger la liberté à l’ère numérique
Pour Lawrence Lessig, fondateur des “licences
libres”, face aux gouvernements et à leurs mercenaires, il est possible de
mieux crypter les données pour sauvegarder la vie privée.
On
m’appelle Supergeek”. Illustration d’Andy Scullion, Grande-Bretagne.
“Le gouvernement des Etats-Unis espionne ses
citoyens.” Qu’est-ce que cela veut dire ?
Il y a
près de quinze ans, alors que j’étais en train de finir un livre sur les
relations entre le Net et les libertés civiles, quelques idées semblaient
tellement évidentes qu’elles en étaient banales. Premièrement, la vie se
transférerait vers le Net. Deuxièmement, cela ferait changer le Net : adieu la
vie privée, l’anonymat relatif des communications non surveillées – remplacé
par un système surveillé en permanence, parfaitement traçable, allié à la fois
du commerce et de l’Etat.
On pouvait
aussi imaginer un autre avenir – c’était mon troisième point et le seul qui
comptait. Après avoir identifié ces tendances évidentes, on pouvait commencer à
réfléchir à la façon dont le “code” (l’ensemble des technologies du Net :
logiciels, protocoles, encryptage des donnés) nous régit et songer à la façon
d’inscrire dans ce code les protections garanties par la Constitution.
Voyons les
choses d’un point de vue pratique. Même en 1999, il était clair que le
cyberespace serait réglementé et surveillé – comme la vraie vie. La différence,
c’est que ces mesures pouvaient être plus efficaces, non pas pour repérer les
escrocs, mais pour protéger la vie privée. Un agent du FBI qui écoute une
communication téléphonique est toujours tenté de se laisser distraire ou de
faire un mauvais usage des informations qu’il entend. Il est humain, donc le
mal est en lui. Un ordinateur qui cherche les traces d’une infraction ne
s’égare que dans les limites fixées par le code. L’important, c’est donc de
déterminer comment – et si – on définit jusqu’où peut aller le code, et ce à la
fois dans la loi et dans le code. Voici le passage de l’interview d’Edward
Snowden qui est le plus stupéfiant pour moi. L’analyste confie [au journaliste]
Glenn Greenwald :
“La NSA cible en particulier les communications de
tout le monde. Elle les ingère par défaut. Elle les collecte dans son système,
les filtre, les analyse, les mesure et les stocke pendant un certain temps
simplement parce que c’est le moyen le plus facile, le plus efficace et le plus
valable de parvenir à ces objectifs… Tous les analystes n’ont pas le pouvoir de
tout cibler, mais, quand j’étais à mon bureau, j’avais le pouvoir de mettre
tout le monde sur écoute – vous, votre comptable, un juge fédéral et même le
président si j’avais un courriel personnel.”
Nous ne
savons pas si Snowden dit la vérité. Mais ce que nous savons, c’est que ses
déclarations soulèvent des questions qui méritent d’être posées. Et en
particulier ceci : est-il vrai que le gouvernement ait confié notre vie privée
au jugement d’analystes privés ? N’a-t-on donc instauré aucun contrôle dans le
code du Net pour s’assurer qu’une telle surveillance soit justifiée ? Et quelle
technologie nous assure que des voyous payés par notre gouvernement n’utilisent
pas les données collectées par notre gouvernement pour des objectifs que
personne dans notre gouvernement ne défendrait ouvertement et publiquement ?
Le fait
est qu’il existe une technologie qui pourrait restaurer notre confiance.
“Faites-nous confiance”, ça ne colle pas. Mais “faites-nous confiance et
vérifiez grâce à un encodage de haute qualité”, si. Il existe des sociétés qui
mettent au point des technologies susceptibles de nous donner – à nous et, plus
important, aux tribunaux – la quasi-certitude que les données collectées ou
surveillées n’ont pas été collectées ou utilisées de façon incorrecte. Il est
possible de coder le Net pour assurer une meilleure protection de notre vie
privée et une meilleure sécurité.
Mais on ne
le fait pas ou on ne l’a pas fait. Peut-être par bêtise : combien de
parlementaires sont capables de décrire comment fonctionne l’encodage ?
Peut-être par cupidité : qui, au sein de notre système, peut résister à de gros
contrats lucratifs avec des sociétés privées, surtout s’ils sont associés à de
généreux financements de campagne électorale ? Ou peut-être que la “guerre
permanente” dont Obama nie l’existence a en fait convaincu tous les membres du
gouvernement que les vieilles idées étaient mortes et qu’il fallait simplement
“se faire une raison” – des idées comme le respect de la vie privée, celui des
procédures judiciaires et l’adéquation des moyens avec le but recherché.
Ces idées
sont peut-être mortes, maintenant. Et elles le resteront. Au moins jusqu’à ce
que nous sachions comment préserver la liberté à l’âge numérique.
Source Courrier
International
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