Bois, Allah n’y voit goutte !
Au bout
d’une heure de retard, le pilote de Tunis Air a finalement pris le micro pour
nous assurer que notre avion décollerait bientôt “bi
iznillah” (si Dieu le permettait), que nous arriverions à destination
plus tôt que prévu “inch’Allah” (si Dieu
le voulait bien) et que le climat de la capitale serait chaud et ensoleillé “alhamdulillah” (grâce à Dieu).
Il est
intéressant de noter que la version anglaise de son message ne reprenait pas
exactement les mêmes termes. Ce pilote était apparemment d’avis que les
passagers étrangers (les “infidèles”) préféraient croire que leur avion
volerait grâce à ses compétences de pilotage et quelques lois physiques ;
que la durée de notre vol serait raccourcie grâce à des vents favorables ;
et que les conditions météorologiques locales seraient du genre estival du fait
des saisons et de cette chose qu’on appelle “la rotation de la Terre autour du
Soleil”.
Mais les
passagers arabes et moi-même faisions partie de ces privilégiés qui méritaient
davantage que ces vagues arguments scientifiques : il nous fallait la
rhétorique de l’absurde. Nous ne méritions pas moins que la protection divine.
En fait, je n’aurais pas été surprise que ce cher commandant de bord nous
annonce qu’Allah en personne supervisait le bon déroulement de ce vol en dépit
de son emploi du temps chargé.
L’homme
assis à côté de moi ressemblait à un vague cousin d’Oussama Ben Laden. Je
poussai toutefois un soupir de soulagement en le voyant commencer à picoler. “Bois, mon gars, bois. Tout ce qui peut te faire
t’endormir, je valide !” Mais n’allez pas croire qu’il buvait en
public ! “A’ouzoubillah” (Dieu
l’interdit).
Alors que
les hôtesses proposaient de la bière (toujours un bon signe), il leur a demandé
un Coca et en a bu une grande gorgée. Puis je l’ai vu sortir discrètement une
bouteille de scotch (une mignonnette comme dans les minibars d’hôtels) et la
vider entièrement dans son verre. La manœuvre avait été exécutée avec une telle
rapidité et une telle dextérité que je n’étais moi-même pas complètement sûre
de ce que j’avais vu, jusqu’au moment de le croiser sur le chemin des toilettes
et de manquer de m’étouffer sous son haleine chargée.
Bois, mon
gars, bois. Un ivrogne sournois vaut mille fois mieux qu’un extrémiste sobre.
Et ne crois pas cet imbécile de pilote : Allah ne te voit pas, ni moi, ni
personne. Sa Sainteté fait une petite sieste pour cause d’abus de margaritas.
Dessin
de Dilem paru dans Liberté, Alger.
Source Courrier International
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