mercredi 10 juillet 2013

Billets-Affaire Concordia


Affaire Concordia

Le commandant Schettino, une caricature du beauf italien,
cheveux gominés, Ray-Ban, fanfaronnade et lâcheté : Francesco Schettino, le commandant du Concordia dont le procès doit s'ouvrir le 9 juillet, concentre tous les clichés de l'imbécile italien en vacances, selon le journaliste Marco Travaglio.

Plus qu'un naufrage, c'est une parabole. A présent on sait tout, ou presque, du commandant Francesco Schettino. Il n'était pas seul à bord. Mais c'est comme s'il avait été seul. Si le commandant devient fou, il n’y a rien à faire. C'est toujours comme ça quand il y a un homme seul aux commandes, jouissant du pouvoir de vie et de mort sur les autres. Et s’il cherche simplement à servir son intérêt personnel, tant pis pour nous. Ça vous rappelle quelque chose ?

  • L'hypocrisie de Costa Crociere
Et puis il y a les passagers, qui en entendant le "sauve-qui-peut" donnent d’eux le pire comme le meilleur. L’un d’eux, aveuglé par le désespoir, arrache le gilet de sauvetage de son voisin et le laisse se noyer. D’autres se battent pour arriver en premier aux chaloupes en coupant la file et en chassant enfants, vieux, femmes ou handicapés parce qu’il "n’y a plus de place". Ils vous rappellent quelqu’un ? Une belle illustration de la théorie du "particulare", le cas particulier, de Guicciardini [historien et philosophe florentin du XVIe siècle]. Et puis il y a Costa Crociere [la compagnie italienne propriétaire du Concordia], qui défend d’abord le commandant avant de le laisser tomber en se déclarant partie lésée parce qu’il a agi tout seul. Mais c’est précisément parce qu’il pouvait tout faire tout seul que Costa Crociere n’est pas partie lésée. Ça vous rappelle quelqu’un ?

Mais revenons à Schettino, alias "Top Gun" pour ses amis. Si l’on avait besoin de quelqu’un pour raviver les lieux communs sur l’Italien en vacances, on ne pouvait pas rêver mieux. L’imbécile typique qui se croit malin, rusé, cool. Le caïd bronzé avec cheveux gominés et Ray-ban noires qui connaît bien les règles et a l’habitude de les contourner, d’arrondir les angles. Il y a un ami d’ami sur la rive à saluer toutes sirènes hurlantes ? Il faut accoster pour satisfaire au rituel de la "révérence" pour le compte des touristes envoyés par le syndicat d’initiative ? Mais comment donc, bien sûr, accostons. Que la croisière s’amuse. Et crac ! Oups, un rocher. Et Schettino, où est-il au moment de la collision ? Un touriste hollandais jure qu’il se payait un verre au bar en compagnie d’une belle passagère qu’il venait tout juste de draguer.

  • Schettino, anti-héros berlusconien
C’est à ce moment-là qu’il appelle la capitainerie pour dire : "Rien à signaler, affirmatif." Minimiser, truquer tant qu’on peut. La crise, quelle crise ? Les restaurants et les magasins sont pleins [Le 4 novembre, au lendemain du G20 à Cannes, Silvio Berlusconi, alors président du Conseil, s'était entêté à nier la crise en déclarant : "Nous sommes véritablement une économie forte, la vie en Italie est celle d’un pays florissant (...), les restaurants sont pleins...]. Le naufrage n’est que psychologique. En fait, c’est la capitainerie qui l’informe que son bateau coule. Et alors là, les rats quittent le navire, lui en premier, bien qu’il assure : "j’étais à la poupe, maintenant je retourne sur le pont, il n’y a que deux ou trois cents personnes à bord" (les quatre mille passagers sont encore tous là, mais les vrais menteurs donnent toujours des chiffres faux, mais précis).

Gregorio De Falco [commandant de la capitainerie de Livourne] − il y a toujours un De Falco en travers du chemin des imbéciles qui jouent les malins − ne s’en laisse pas compter : "Mais vous êtes à bord ?" "Non." "Retournez à bord, bon Dieu !" "J’étais en train de coordonner les secours et maintenant je remonte à bord." Il sera aperçu quelques minutes plus tard sur le quai en train d’attendre le taxi qui le conduira à l’hôtel Bahamas. Il nous manque encore un ingrédient : le coup de fil passé à la maman. "Je vais bien, j’ai essayé de sauver les passagers." Comment elle s’appelle maman ? Rosa, mais bien sûr ! [La mère de Silvio Berlusconi s'appelle Rosa.] Et lui, en attendant, ment même au sujet de la dernière manœuvre : "Je l’ai effectuée pour faciliter les secours." En réalité, c’est aux courants qu’on la doit. Puis il puise à pleines mains dans le réservoir national inépuisable d’excuses de la victime : c’est la faute d’un "éperon rocheux qui n’était pas signalé ; d’après la carte nautique, il n’aurait pas dû se trouver là." Ça vous rappelle quelqu’un ? Par exemple, un autre qui avait débuté sa carrière sur les bateaux de croisière ? [Dans sa jeunesse, Berlusconi a été chanteur à bord de bateaux de croisière de la compagnie Costa Crociere.]

  • L'auteur
Journaliste et écrivain, Marco Travaglio, 48 ans, est une des plumes les plus acerbes du paysage médiatique italien. Auteur prolifique (d'une trentaine de livres et de plus de 20 000 articles depuis le début de sa carrière), il s'est fait connaître par ses enquêtes fouillées sur le scandale Mani Pulite, sur la mafia, la corruption et par ses diatribes anti-Berlusconi. Très critique de la classe politique italienne, il a souvent été attaqué pour diffamation. Mais il a également plusieurs fois été honoré de prix de journalisme, comme 2010, du Premiolino, pour sa contribution à la liberté de la presse. Collaborateur régulier de l'émission "Servizio pubblico" de Michele Santoro, il intervient régulièrement sur le petit écran. Il est le co-fondateur et vice-président de Il Fatto quotidiano où il tient un blog très suivi.
Les Anglais ont le Titanic ; nous, nous avons le Concordia, qui, ne serait-ce qu’à cause de sa position, à moitié immergé, avec la quille fissurée, est la plus belle icône de notre pays.

Dessin de Mix & Remix, Suisse. Droits réservés
Source Courrier International


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