Affaire Concordia
Le commandant Schettino, une caricature du
beauf italien,
cheveux gominés, Ray-Ban, fanfaronnade et
lâcheté : Francesco Schettino, le commandant du Concordia dont le procès doit
s'ouvrir le 9 juillet, concentre tous les clichés de l'imbécile italien en
vacances, selon le journaliste Marco Travaglio.
Plus qu'un
naufrage, c'est une parabole. A présent on sait tout, ou presque, du commandant
Francesco Schettino. Il n'était pas seul à bord. Mais c'est comme s'il avait
été seul. Si le commandant devient fou, il n’y a rien à faire. C'est toujours
comme ça quand il y a un homme seul aux commandes, jouissant du pouvoir de vie
et de mort sur les autres. Et s’il cherche simplement à servir son intérêt
personnel, tant pis pour nous. Ça vous rappelle quelque chose ?
- L'hypocrisie de Costa Crociere
Et puis il
y a les passagers, qui en entendant le "sauve-qui-peut" donnent d’eux
le pire comme le meilleur. L’un d’eux, aveuglé par le désespoir, arrache le
gilet de sauvetage de son voisin et le laisse se noyer. D’autres se battent
pour arriver en premier aux chaloupes en coupant la file et en chassant
enfants, vieux, femmes ou handicapés parce qu’il "n’y a plus de
place". Ils vous rappellent quelqu’un ? Une belle illustration de la
théorie du "particulare", le cas particulier, de Guicciardini
[historien et philosophe florentin du XVIe siècle]. Et puis il y a Costa
Crociere [la compagnie italienne propriétaire du Concordia],
qui défend d’abord le commandant avant de le laisser tomber en se déclarant
partie lésée parce qu’il a agi tout seul. Mais c’est précisément parce qu’il
pouvait tout faire tout seul que Costa Crociere n’est pas partie lésée. Ça vous
rappelle quelqu’un ?
Mais
revenons à Schettino, alias "Top Gun" pour ses amis. Si l’on avait
besoin de quelqu’un pour raviver les lieux communs sur l’Italien en vacances,
on ne pouvait pas rêver mieux. L’imbécile typique qui se croit malin, rusé,
cool. Le caïd bronzé avec cheveux gominés et Ray-ban noires qui connaît bien
les règles et a l’habitude de les contourner, d’arrondir les angles. Il y a un
ami d’ami sur la rive à saluer toutes sirènes hurlantes ? Il faut accoster
pour satisfaire au rituel de la "révérence" pour le compte des
touristes envoyés par le syndicat d’initiative ? Mais comment donc, bien
sûr, accostons. Que la croisière s’amuse. Et crac ! Oups, un rocher. Et
Schettino, où est-il au moment de la collision ? Un touriste hollandais
jure qu’il se payait un verre au bar en compagnie d’une belle passagère qu’il
venait tout juste de draguer.
- Schettino, anti-héros berlusconien
C’est à ce
moment-là qu’il appelle la capitainerie pour dire : "Rien à signaler,
affirmatif." Minimiser, truquer tant qu’on peut. La crise, quelle crise ?
Les restaurants et les magasins sont pleins [Le 4 novembre, au lendemain du G20
à Cannes, Silvio Berlusconi, alors président du Conseil, s'était entêté à nier
la crise en déclarant : "Nous sommes véritablement une économie forte, la
vie en Italie est celle d’un pays florissant (...), les restaurants sont
pleins...]. Le naufrage n’est que psychologique. En fait, c’est la capitainerie
qui l’informe que son bateau coule. Et alors là, les rats quittent le navire,
lui en premier, bien qu’il assure : "j’étais à la poupe, maintenant
je retourne sur le pont, il n’y a que deux ou trois cents personnes à
bord" (les quatre mille passagers sont encore tous là, mais les vrais
menteurs donnent toujours des chiffres faux, mais précis).
Gregorio
De Falco [commandant de la capitainerie de Livourne] − il y a toujours un De
Falco en travers du chemin des imbéciles qui jouent les malins − ne s’en laisse
pas compter : "Mais vous êtes à bord ?" "Non."
"Retournez à bord, bon Dieu !" "J’étais en train de
coordonner les secours et maintenant je remonte à bord." Il sera aperçu
quelques minutes plus tard sur le quai en train d’attendre le taxi qui le
conduira à l’hôtel Bahamas. Il nous manque encore un ingrédient : le coup
de fil passé à la maman. "Je vais bien, j’ai essayé de sauver les
passagers." Comment elle s’appelle maman ? Rosa, mais bien sûr !
[La mère de Silvio Berlusconi s'appelle Rosa.] Et lui, en attendant, ment même
au sujet de la dernière manœuvre : "Je l’ai effectuée pour faciliter
les secours." En réalité, c’est aux courants qu’on la doit. Puis il puise
à pleines mains dans le réservoir national inépuisable d’excuses de la victime :
c’est la faute d’un "éperon rocheux qui n’était pas signalé ; d’après
la carte nautique, il n’aurait pas dû se trouver là." Ça vous rappelle
quelqu’un ? Par exemple, un autre qui avait débuté sa carrière sur les
bateaux de croisière ? [Dans sa jeunesse, Berlusconi a été chanteur à bord
de bateaux de croisière de la compagnie Costa Crociere.]
- L'auteur
Journaliste et écrivain, Marco Travaglio, 48 ans, est une
des plumes les plus acerbes du paysage médiatique italien. Auteur prolifique
(d'une trentaine de livres et de plus de 20 000 articles depuis le début de sa
carrière), il s'est fait connaître par ses enquêtes fouillées sur le scandale
Mani Pulite, sur la mafia, la corruption et par ses diatribes anti-Berlusconi.
Très critique de la classe politique italienne, il a souvent été attaqué pour
diffamation. Mais il a également plusieurs fois été honoré de prix de
journalisme, comme 2010, du Premiolino, pour sa contribution à la liberté de la
presse. Collaborateur régulier de l'émission "Servizio pubblico" de
Michele Santoro, il intervient régulièrement sur le petit écran. Il est le
co-fondateur et vice-président de Il Fatto quotidiano où il tient
un blog très suivi.
Les
Anglais ont le Titanic ; nous, nous
avons le Concordia, qui, ne serait-ce
qu’à cause de sa position, à moitié immergé, avec la quille fissurée, est la
plus belle icône de notre pays.
Dessin de Mix & Remix, Suisse. Droits réservés
Source Courrier International
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