Entretien avec Chuck Palahnuik Une Amérique disséquée
Propos recueillis par Mathieu
Menossi et traduits par Jonathan Journiac pour Evene.fr - Octobre 2006
“Les maladies mentales, la
schizophrénie, c’est parce qu’il est impossible, si l’on est attentif au monde
qui nous entoure, de ne pas devenir fou”. C’est de ce monde dont il est
question dans le dernier roman de Chuck Palahniuk, ‘A l’estomac’.Pour sa nouvelle
expérience littéraire, Chuck a sélectionné 23 personnages, 23 destins qui
s’entrelacent et rendent compte d’une humanité aux tendances autodestructrices.
Quel a été le point de départ de l’écriture de votre
roman ‘A l’estomac’ ?
Je récolte en permanence les histoires des gens.
Certaines des histoires que j’ai utilisées dans ‘A l’estomac’, je les gardais
avec moi depuis vingt ans, cherchant un moyen de les préserver. J’ai simplement
assemblé les vies de centaines de mes pairs.
Votre écriture est incisive, percutante,
obsessionnelle parfois. Quelle relation entretenez-vous avec l’écriture ?
Considérez-vous l’écriture comme un exutoire ? La thérapie par l’écriture ?
C’est en écrivant que je reste sain d’esprit. La voix
qui est dans ma tête, cette petite voix que nous avons tous, qui se plaint et
qui nous ronge, je dois la maintenir occupée avec une histoire inventée de
toutes pièces ou elle me rend fou.
De quoi se nourrit l’univers de Chuck Palahniuk ?
Ce qui me motive, c’est d’organiser, préserver et
contrôler. Je suis journaliste avant tout. Aux Etats-Unis, on devient romancier
après une carrière académique ou dans le journalisme. Comme je viens d’une
formation de reporter, je suis à l’affût d’histoires vraies et intéressantes
que je m’efforce de ne pas faire oublier.
De l’horreur la plus sordide vous extirpez le
burlesque le plus déjanté. Susciter le rire pour aller loin dans l’horreur,
est-ce votre mode opératoire ?
C’est ainsi que je vis ! Après toute l’horreur qu’a
connue ma vie familiale (meurtre, suicide, cancer, alcoolisme…) mes proches ont
toujours trouvé un moyen de rire des événements les plus sombres.
Pensez-vous que l’on puisse rire de tout ?
Je n’écris jamais de scène comique dans laquelle une
personne innocente ou un animal est attaqué. Tous mes personnages créent les
problèmes qui les détruisent. C’est pour ça que ces histoires peuvent être
drôles.
Vos personnages mettent leur vie de côté pour pouvoir
écrire. Peut-on extrapoler et voir dans votre livre une réflexion sur le
processus de création en général ? Comment être le propre créateur de sa vie au
cœur d’un monde de plus en plus globalisant ?
Pour garder sa vie en main, il faut contrôler la
quantité et les genres de messages auxquels on est exposé. Les médias de masse
(films, radio, télévision, magazines, Internet…) envahissent notre esprit et
nous contrôlent. Il faut s’éloigner de cette distraction et focaliser son
attention sur son art et les gens qui nous entourent.
Le désir de reconnaissance, la célébrité sont-ils,
selon vous, les nouveaux moteurs existentiels de notre monde “civilisé” ?
Je pense que le problème existentiel de notre
époque est un combat permanent pour comprendre qui dit la “vérité”. Notre
version de la réalité était autrefois contrôlée par très peu de gens (le roi,
le pape, le prêtre, le président…) A présent, chacun a sa propre vision des
choses et tous se battent pour imposer leur histoire comme l’unique réalité.
Sont-ils les instincts révélateurs d’une société
déshumanisée en quête d’identification ?
Non. Les gens font ce qu’ils ont toujours fait : ils
essaient de se lier, de dominer, de créer une communauté.
Mutilations, autodestructions, meurtres… Dans votre
livre, la mort est souvent violente. Quel sentiment avez-vous à propos de cette
ultime étape ?
Ca viendra bien assez tôt. Je ne peux que m’inquiéter
d’aujourd’hui, de quoi seront faits demain et la semaine prochaine. La mort se
gérera d’elle-même.
Pourquoi avoir choisi d’enfermer vos personnages dans
un théâtre ?
Le but d’un théâtre est d’isoler les spectateurs, les
séparer du monde extérieur pour mieux présenter une réalité différente : un
opéra, un film, une pièce.
Dans ‘A l’estomac’, vous jonglez avec les genres. Le
roman, la nouvelle, le poème. Pourquoi ce choix ?
Pour varier les méthodes narratives et les différentes
“textures” de l’information afin de donner au lecteur une expérience plus
riche. Je l’ai également fait pour imiter la structure complexe d’un vaudeville
dans lequel il y a différents types d’actes.
Etes-vous toujours membre de la Cacophony Society ?
Pouvez-vous nous en dire plus sur cette organisation ?
La première règle concernant la ‘Cacophony Society’
est de ne pas parler de la ‘Cacophony Society’…
A quoi ressemblerait la société idéale de Chuck
Palahniuk ?
Chacun aurait le loisir de pratiquer une forme
d’expression personnelle qui permettrait de se divertir les uns les autres (et
non d’engager des professionnels pour le faire). Cette forme de théâtre serait
notre religion.
Comment imaginez-vous votre lectorat ?
Comme mon éditeur, Gerry. C’est la seule personne que
j’imagine en train de lire mon travail. Si je peux choquer Gerry et le faire
rire, j’ai réussi mon coup.
Vos projets à venir ?
Au printemps prochain, j’aurai un nouveau roman à
promouvoir, ‘Rant’. C’est la fausse biographie orale d’un Tom Sawyer devenu
jeune adulte qui participe à des courses de voitures destructrices, une sorte
de sous-culture secrète appelée “la fête du crash”. Tard le soir, des
Américains participent à ces jeux secrets, se chassent et se fuient
mutuellement en tentant de provoquer des accidents mineurs. Au delà de ça, je
prépare un nouveau roman pour 2008, travail sur les films “snuff”
pornographiques. Un autre univers drôle, affreux et horrible à explorer…
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