Chaussures de course minimalistes
Des chaussures de course toutes fines et toutes
souples envahissent les rayons. Tout le monde en parle… De quoi s’agit-il
exactement ? Est-ce une mode ou un vrai concept ? Est-ce bénéfique ou dangereux
? Faut-il adhérer ? Comment l’utiliser ?
Par Stéphane CASCUA, médecin du sport et Philippe
HERISSON, kinésithérapeute du sport.
Dans les
années 1970, les trottoirs américains accueillent de nouveaux humanoïdes : les
joggers ! Afin que leurs bonnes résolutions « santé » ne se brisent pas sur le
macadam, l’urgence scientifique semble d’adapter la chaussure. Dans les rues
des grandes villes, le revêtement dur est conçu pour marcher, pas pour courir !
La semelle amortissante s’impose ! La surenchère technologique et marketing est
de mise : caoutchouc, mousses, alvéoles, petites bulles et grosses bulles.
Sommes-nous allés trop loin ?
- Intelligent comme ses pieds !
Les
pieds mais aussi les membres inférieurs et la colonne vertébrale sont pourvus
de mécanismes d’amortissement sophistiqués et efficaces. À l’impact, la voûte
plantaire s’étale, les articulations se fléchissent. Les membranes fibreuses et
les tendons sont mis en tension. Les petits muscles des pieds ou ceux, plus
puissants, des jambes freinent et contrôlent le mouvement. Ces tissus
accumulent l’énergie élastique ; elle sera restituée lors de la propulsion. Si
Homo Ergaster, il y a 2 millions d’années, ne courait pas sur le macadam, il ne
courait pas non plus avec des semelles amortissantes ! Blaise DUBOIS réalise
une belle synthèse bibliographique. Il en ressort que ces chaussures
sophistiquées n’ont pas démontré leur efficacité préventive sur les blessures.
Au contraire, des modèles moins chers et moins épais semblent plus protecteurs.
Depuis fort longtemps, l’enseignement traditionnel de podologie du sport met
l’accent sur l’ambivalence de l’amorti. Par sa mollesse, il augmente le roulis
du chaussage et aggrave les pathologies d’instabilité. Par son épaisseur, il se
contente d’accroître la distance de freinage mais n’absorbe pas l’énergie de
l’impact. Il ne fait qu’étaler le pic de pression. En physique, on dirait que
la puissance du choc est diminuée mais que le travail reste identique. De fait,
une semelle amortissante augmente le temps de contact et ralentit la course.
Elle peut perturber le fonctionnement des mécanismes fins coordonnant le
freinage. L’intervention asynchrone de l’appareil locomoteur pourrait favoriser
les souffrances articulaires et tendineuses. La surépaisseur en arrière de la
chaussure donne une impression inappropriée de confort. Elle favorise l’attaque
du talon aux dépens d’un déroulé du pas plus harmonieux. Les contraintes
mécaniques en réception sont, en réalité, majorées. Dans ces conditions chaque
prise de contact avec le sol repousse le coureur vers l’arrière et le rendement
est sérieusement altéré. Depuis pas mal d’années, les professionnels proposent
de trottiner pieds nus quelques minutes par semaine. La plage voisine ou le
gazon du terrain de foot entouré de la piste en tartan étaient les bienvenus.
Nous suggérions aussi d’utiliser des chaussures de compétition de temps à autre
à l’entraînement ! Les prémices du minimalisme ?
- Chaussures minimalistes : structure et fonction
La
structure de la chaussure minimaliste s’oppose sur bien des points à celle des
runnings traditionnelles. Elle tente de restaurer la fonction naturelle du pied
tout en le protégeant. En ce sens, elle est plus efficace que les peaux lacées
de nos ancêtres. La semelle est constituée d’une mousse fine donc beaucoup
moins amortissante. L’ensemble de vos articulations s’emploie à freiner
l’impact. L’énergie élastique s’accumule dans vos muscles et vos tendons. Le
talon de la chaussure minimaliste n’est pas plus haut que l’avant de la
semelle. De façon quasi-spontanée, vous jetez moins la jambe en avant, votre
talon ne vient plus frapper le sol en avant de votre centre de gravité, votre
pied prend contact plus horizontalement. Votre voûte plantaire claque moins, se
déroule plus harmonieusement et souplement. Votre foulée est moins ample mais
gagne en fréquence et devient plus rentable. Cette semelle fine et souple vous
permet de mieux sentir le sol. Les petits os de vos pieds se mobilisent plus
aisément pour encaisser la réception et épouser les irrégularités du terrain.
Le contrefort est beaucoup plus souple. L’os de votre talon retrouve son
mouvement naturel. Conformément à sa fonction anatomique, il bouge dans les 3
dimensions, on dit qu’il « roule, tangue et vire » sous l’astragale, l’os de la
cheville. Liberté du pied et du talon, voilà qui réduit les contraintes en
torsion sur vos chevilles. Sans oublier qu’un talon plus bas limite le bras de
levier, responsable des instabilités. Ainsi, les chaussures minimalistes
pourraient contribuer à réduire le risque d’entorse.
- Utilisation prudente et progressive
Remettre
en fonction toutes ses structures anatomiques restées quiescentes dans vos
runnings devrait se révéler bénéfique mais particulièrement sollicitant. La
prudence s’impose afin que cette sollicitation ne tourne pas à l’agression
tissulaire et à la lésion. L’absence de surélévation du talon tire plus qu’à
l’accoutumée sur votre mollet et la tendinite d’Achille guette. L’extension des
orteils est plus marquée. Les baguettes osseuses de l’avant pied assument plus
de contraintes en torsion. La fracture de fatigue menace. Les chaussures
minimalistes constituent plus un « exercice d’athlétisme » qu’un mode
d’entraînement. Il est d’usage de proposer de trottiner 1 à 2 minutes avec cet
équipement novateur, début ou fin de séance. Il est possible d’ajouter 1 à 2
minutes supplémentaires à chaque sortie sans dépasser 1 heure. N’hésitez pas à
demander des conseils personnalisés à votre kinésithérapeute, votre podologue
ou votre médecin du sport. Ils connaissent vos particularités morphologiques et
vos antécédents de blessures. Quelques coureurs d’exception vont jusqu’à 20 km
avec des chaussures minimalistes… comme d’autres ont fait le marathon pieds
nus. Mais évitons le fanatisme ! Après adaptation, leur utilisation classique
reste les footings de régénération, l’échauffement ou le retour au calme. Les
données scientifiques et le recul expérimental manquent encore un peu au-delà.
En compétition, lors des entraînements prolongés, la fatigue altère les
capacités frénatrices des muscles et la coordination. Amorti et stabilité
redeviennent indispensables pour ménager les os, le cartilage, les ligaments et
les tendons. La chaussure de running traditionnelle retrouve sa totale
justification et reprend toute sa place !
- Porteurs de semelles correctrices !
Si vous
portez des semelles correctrices dans vos chaussures de jogging, votre médecin
et votre podologue ont diagnostiqué une altération de la statique de votre pied
ou un trouble dynamique de votre foulée. Parfois, ils cherchent à compenser une
usure ou une blessure plus haut située dans la jambe ou la colonne. L’avis de
ces 2 professionnels est obligatoire avant de tester les chaussures
minimalistes. Il est probable qu’ils vous recommandent de conserver votre
correction plantaire afin de soutenir votre pied aux endroits les plus
fragiles. Afin de renforcer ces mêmes points faibles, le minimalisme n’est pas
exclu… à dose homéopathique. Par exemple, un pied plat, pronateur, s’écrasant
sur son arche interne se sent mieux avec un bon soutien de voûte. À l’inverse,
une chaussure minimaliste peut être considérée comme un exercice de «
rééducation ». Ce chaussage améliore la force, l’endurance et la coordination
du muscle jambier postérieur qui soutient le sommet de l’arche. Le pied devient
moins pronateur ! Le minimalisme permet de réaliser quelques « séries de
musculation » bien utiles mais l’excès mènerait rapidement à la lésion de ce
tendon perpétuellement étiré par l’effondrement de la voûte.
Source SantéSportMag
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