Entretien avec Chuck Palahnuik
L’écriture est un sport de combat
Propos recueillis par Maxence Grugier
Avec Haunted, étrangement traduit "A l'estomac" par les éditions Denoël, Chuck Palahniuk donne une leçon : Ne pas tenter l'aventure littéraire si l'on a pas les tripes.
"A L'estomac" est un des vos romans qui a fait le plus de bruit depuis Fight Club. La nouvelles "Tripes", en particulier, est considérée par certains comme l'une des plus choquante que vous ayez écrite ? Quel est votre opinion à ce propos ?
Depuis Fight Club j'ai toujours minimisé l'effet dramatique de certaines situations en utilisant l'humour. C'est le cas, par exemple, dans les scène qui se passe dans les groupes de soutient des malades en phase terminale. Juxtaposer tragédie et comédie augmente le pouvoir des deux, et dans "Tripes", les gens rient beaucoup plus qu'ils ne sont dégoûtés. C'est le rire justement, qui leur donne la force de continuer dans l'horreur de l'histoire. Mais en fait, ils rient en réaction au stress - un stress provoqué par la proximité de l'horreur et de la mort.
Beaucoup de gens se sentent mal à l'aise face à cette liberté extrême, mais c'est pour cela que j'écris. Pour avoir la liberté de rire de tout, et de trouver ainsi un certain réconfort face à l'inévitable violence, la tristesse, la maladie et la mort qui hante nos vies. Les gens qui sont choqués à la lecture d'une histoire comme "Tripes" sont ceux qui n'ont jamais accepté la vérité de leur propre mort. Ces gens n'ont malheureusement jamais été véritablement vivant.
Est-ce l'histoire relativement paisible et, dirons nous, "normale" (excepté peut-être l'utilisation inusités de brosses à dents) de Journal Intime, votre précédent roman, qui vous a poussé à écrire A L'estomac et ses récits beaucoup plus sardoniques et horrifiques ?
Oui, c'est vrai, Journal Intime est un de mes livres qui a reçu le plus d'hommage de la part des critiques. Mais mes lecteurs plus jeunes s'attendaient à quelque chose de plus extrême, de plus cru. Et certains m'ont laissé tombé. Les lecteurs plus jeunes forment un public beaucoup plus sophistiqué et blasé. Pour eux passer le temps en lisant un livre exige que l'auteur invente les pires horreurs qu'il puisse imaginer. Les jeunes lecteurs veulent être vraiment choqués et scandalisés. Il ne faut surtout pas les ennuyer. Pour eux, j'ai écrit A L'estomac et leur ai offert certaines des histoires les plus atroces que je pouvais imaginer. Naturellement mes jeunes lecteurs l'ont aimée, mais les critiques, eux, l'ont détesté.
Seriez-vous d'accord si je vous disais que, parfois, vous pratiquez la littérature à coup de marteau, comme Nietzsche le faisait pour la philosophie ?
Si je le fais, ce n'est pas consciemment. En fait, il y a dix ans, mon unique but était de pratiquer l'écriture pour m'amuser et de faire revenir aux livres, les gens qui avaient abandonné la lecture. Aujourd'hui, j'aime tellement écrire que je produis presque un livre par an. Et des centaines de personnes m'ont dit qu'elles se sont remise à lire à cause de mes romans. Un jeune homme m'a récemment dit que le lui avait "enseigné à lire." Si nous voulons que les jeunes lisent, alors nous devons leur donner des livres passionnants, et drôles, et étonnants, assez toutefois, pour récompenser leur effort et le temps qu'ils passeront à les lire.
Dans Le festival de la couille, vous exposez les corps du travail de Chuck Palahniuk. Le livre est une manière de présenter la façon dont vous êtes connecté à la réalité en tant qu'auteur. Est-ce aussi le cas pour les histoires de A L'estomac ?
Exact. Dans ces essais, j'ai voulu démontrer comment toutes mes idées sont inspirées par des personnes réelles et des événements qu'ils ont vécu. Ma fiction est réellement journalistique, mais avec des noms de personnes changés. Le monde est rempli d'événements et d'histoires incroyables qui doivent être racontés et préservés. Tout ce que je fais n'est jamais qu'un enregistrement, dont j'organise ensuite la vérité, pour la présenter au public comme une fiction. Dans le cas de A L'estomac, j'ai quand-même du pousser ces fictions à leur extrêmes limites.
En effet, à la lecture de A L'estomac, on se dit qu'elles ont les mêmes sources d'inspiration, les faits divers, la réalité. Mais il reste ce côté extrême.
En 1955, l'auteur Shirley Jackson a écrit son histoire "La loterie". Les gens ont été outragés et ont protesté contre sa publication dans le New Yorker. Avec "Tripes", j'ai voulu voir si je pourrais écrire une histoire qui produirait ce genre de réaction aujourd'hui. Maintenant que plus de 100 personnes se sont évanouies aux lectures publiques de l'histoire, je pense que j'ai (bien) fait mon travail. Cette semaine, j'ai même eu deux nouveaux évanouissement durant une conférence que j'ai donné dans une université de Géorgie. J'aime cela, mais je suis sûr que je peux faire mieux dans une future histoire.
Dans tous vos romans vous décrivez des cultures marginales, et des comportements pathologiques en tout genre. D'où vous vient cet intérêt pour les marges ?J'adore des cultures marginales et la manière audacieuse avec laquelle elles rejettent la société et ses valeurs traditionnelles. J'admire leur genre d'arrogance et de courage. Je passe mon temps à me documenter sur ce sujet. Je les applaudis vraiment. Ces marginaux sont mes héros.
Revenons à A l'estomac, est-ce une manière détournée, justement, de guérir les gens de l'envie de devenir écrivain ?
La plupart de mes livres commencent par une présentation où les gens se risquent de dire la vérité sur eux-mêmes -- un groupe de soutien, un groupe de 12 étapes, un enregistrement de suicide, ou l'atelier d'un auteur. Ce sont des endroits où les gens font leurs confessions et rejoignent ainsi la communauté. Ce sont les églises et les religions modernes. Chaque atelier d'écriture est un groupe de thérapie détourné, pour des personnes ayant besoin de raconter leurs histoires. C'est aussi le vrai secret de A L'estomac.
"Mr Whittier", un des principaux protagoniste de votre dernier roman, assène des vérités peu amènes sur l'écriture et la thérapie qu'elle représente. Est-il une autre incarnation de Chuck Palahniuk comme professeur, apprenant à ses élèves comment écrire et envisager l'écriture ?Certaines personnes ont dit que Mr. Whittier -- un garçon de 13 ans dans le corps d'un vieil homme -- me représente. Et certains disent aussi que Mr. Whittier, avec ses expériences et son arrogance, représente le Président George W. Bush. Je laisserai chaque lecteur décider qui Mr. Whittier représente vraiment...
Comment vous est venu l'idée de composer dans le même livre d'une part des poèmes et d'autre part de nouvelles ?
C'est très simple. J'avais besoin d'un rythme, de quelque chose permettant de séparer les chapitres en cours de l'histoire général et des nouvelles. Chaque poésie me permet simplement de focaliser l'attention du lecteur sur un personnage particulier. Mieux, les poésies ajoutent une texture différente, une manière plus ample de raconter une histoire, ainsi même la mise en page est infectée et chaque page ne se ressemble pas.
Qu'en est-il de votre prochain roman ? Pouvez vous nous en dire quelque mots ?
Mon prochain livre s'appelle "Rant". C'est une biographie de Buster Casey. Elle sera composé d'entretiens avec des centaines de personnes qui ont connu un homme sauvage appelé "Rant". C'est une sorte de Tom Sawyer moderne, un hillbilly éclairé ou un crétin de la campagne, comme on veut, qui monte à la ville et se trouve impliqué dans la vie urbaine, son culte de la nuit, ses voitures, sa compétition menée avec la rage d'animaux sauvages. Mes éditeurs prévoient déjà (ou du moins, espèrent) un effet Fight Club. Au delà de ça, je finis un livre racontant l'histoire d'une actrice porno qui essaye de gagner le record du plus grand nombre de partenaires en une journée.
L’écriture est un sport de combat
Propos recueillis par Maxence Grugier
Avec Haunted, étrangement traduit "A l'estomac" par les éditions Denoël, Chuck Palahniuk donne une leçon : Ne pas tenter l'aventure littéraire si l'on a pas les tripes.
"A L'estomac" est un des vos romans qui a fait le plus de bruit depuis Fight Club. La nouvelles "Tripes", en particulier, est considérée par certains comme l'une des plus choquante que vous ayez écrite ? Quel est votre opinion à ce propos ?
Depuis Fight Club j'ai toujours minimisé l'effet dramatique de certaines situations en utilisant l'humour. C'est le cas, par exemple, dans les scène qui se passe dans les groupes de soutient des malades en phase terminale. Juxtaposer tragédie et comédie augmente le pouvoir des deux, et dans "Tripes", les gens rient beaucoup plus qu'ils ne sont dégoûtés. C'est le rire justement, qui leur donne la force de continuer dans l'horreur de l'histoire. Mais en fait, ils rient en réaction au stress - un stress provoqué par la proximité de l'horreur et de la mort.
Beaucoup de gens se sentent mal à l'aise face à cette liberté extrême, mais c'est pour cela que j'écris. Pour avoir la liberté de rire de tout, et de trouver ainsi un certain réconfort face à l'inévitable violence, la tristesse, la maladie et la mort qui hante nos vies. Les gens qui sont choqués à la lecture d'une histoire comme "Tripes" sont ceux qui n'ont jamais accepté la vérité de leur propre mort. Ces gens n'ont malheureusement jamais été véritablement vivant.
Est-ce l'histoire relativement paisible et, dirons nous, "normale" (excepté peut-être l'utilisation inusités de brosses à dents) de Journal Intime, votre précédent roman, qui vous a poussé à écrire A L'estomac et ses récits beaucoup plus sardoniques et horrifiques ?
Oui, c'est vrai, Journal Intime est un de mes livres qui a reçu le plus d'hommage de la part des critiques. Mais mes lecteurs plus jeunes s'attendaient à quelque chose de plus extrême, de plus cru. Et certains m'ont laissé tombé. Les lecteurs plus jeunes forment un public beaucoup plus sophistiqué et blasé. Pour eux passer le temps en lisant un livre exige que l'auteur invente les pires horreurs qu'il puisse imaginer. Les jeunes lecteurs veulent être vraiment choqués et scandalisés. Il ne faut surtout pas les ennuyer. Pour eux, j'ai écrit A L'estomac et leur ai offert certaines des histoires les plus atroces que je pouvais imaginer. Naturellement mes jeunes lecteurs l'ont aimée, mais les critiques, eux, l'ont détesté.
Seriez-vous d'accord si je vous disais que, parfois, vous pratiquez la littérature à coup de marteau, comme Nietzsche le faisait pour la philosophie ?
Si je le fais, ce n'est pas consciemment. En fait, il y a dix ans, mon unique but était de pratiquer l'écriture pour m'amuser et de faire revenir aux livres, les gens qui avaient abandonné la lecture. Aujourd'hui, j'aime tellement écrire que je produis presque un livre par an. Et des centaines de personnes m'ont dit qu'elles se sont remise à lire à cause de mes romans. Un jeune homme m'a récemment dit que le lui avait "enseigné à lire." Si nous voulons que les jeunes lisent, alors nous devons leur donner des livres passionnants, et drôles, et étonnants, assez toutefois, pour récompenser leur effort et le temps qu'ils passeront à les lire.
Dans Le festival de la couille, vous exposez les corps du travail de Chuck Palahniuk. Le livre est une manière de présenter la façon dont vous êtes connecté à la réalité en tant qu'auteur. Est-ce aussi le cas pour les histoires de A L'estomac ?
Exact. Dans ces essais, j'ai voulu démontrer comment toutes mes idées sont inspirées par des personnes réelles et des événements qu'ils ont vécu. Ma fiction est réellement journalistique, mais avec des noms de personnes changés. Le monde est rempli d'événements et d'histoires incroyables qui doivent être racontés et préservés. Tout ce que je fais n'est jamais qu'un enregistrement, dont j'organise ensuite la vérité, pour la présenter au public comme une fiction. Dans le cas de A L'estomac, j'ai quand-même du pousser ces fictions à leur extrêmes limites.
En effet, à la lecture de A L'estomac, on se dit qu'elles ont les mêmes sources d'inspiration, les faits divers, la réalité. Mais il reste ce côté extrême.
En 1955, l'auteur Shirley Jackson a écrit son histoire "La loterie". Les gens ont été outragés et ont protesté contre sa publication dans le New Yorker. Avec "Tripes", j'ai voulu voir si je pourrais écrire une histoire qui produirait ce genre de réaction aujourd'hui. Maintenant que plus de 100 personnes se sont évanouies aux lectures publiques de l'histoire, je pense que j'ai (bien) fait mon travail. Cette semaine, j'ai même eu deux nouveaux évanouissement durant une conférence que j'ai donné dans une université de Géorgie. J'aime cela, mais je suis sûr que je peux faire mieux dans une future histoire.
Dans tous vos romans vous décrivez des cultures marginales, et des comportements pathologiques en tout genre. D'où vous vient cet intérêt pour les marges ?J'adore des cultures marginales et la manière audacieuse avec laquelle elles rejettent la société et ses valeurs traditionnelles. J'admire leur genre d'arrogance et de courage. Je passe mon temps à me documenter sur ce sujet. Je les applaudis vraiment. Ces marginaux sont mes héros.
Revenons à A l'estomac, est-ce une manière détournée, justement, de guérir les gens de l'envie de devenir écrivain ?
La plupart de mes livres commencent par une présentation où les gens se risquent de dire la vérité sur eux-mêmes -- un groupe de soutien, un groupe de 12 étapes, un enregistrement de suicide, ou l'atelier d'un auteur. Ce sont des endroits où les gens font leurs confessions et rejoignent ainsi la communauté. Ce sont les églises et les religions modernes. Chaque atelier d'écriture est un groupe de thérapie détourné, pour des personnes ayant besoin de raconter leurs histoires. C'est aussi le vrai secret de A L'estomac.
"Mr Whittier", un des principaux protagoniste de votre dernier roman, assène des vérités peu amènes sur l'écriture et la thérapie qu'elle représente. Est-il une autre incarnation de Chuck Palahniuk comme professeur, apprenant à ses élèves comment écrire et envisager l'écriture ?Certaines personnes ont dit que Mr. Whittier -- un garçon de 13 ans dans le corps d'un vieil homme -- me représente. Et certains disent aussi que Mr. Whittier, avec ses expériences et son arrogance, représente le Président George W. Bush. Je laisserai chaque lecteur décider qui Mr. Whittier représente vraiment...
Comment vous est venu l'idée de composer dans le même livre d'une part des poèmes et d'autre part de nouvelles ?
C'est très simple. J'avais besoin d'un rythme, de quelque chose permettant de séparer les chapitres en cours de l'histoire général et des nouvelles. Chaque poésie me permet simplement de focaliser l'attention du lecteur sur un personnage particulier. Mieux, les poésies ajoutent une texture différente, une manière plus ample de raconter une histoire, ainsi même la mise en page est infectée et chaque page ne se ressemble pas.
Qu'en est-il de votre prochain roman ? Pouvez vous nous en dire quelque mots ?
Mon prochain livre s'appelle "Rant". C'est une biographie de Buster Casey. Elle sera composé d'entretiens avec des centaines de personnes qui ont connu un homme sauvage appelé "Rant". C'est une sorte de Tom Sawyer moderne, un hillbilly éclairé ou un crétin de la campagne, comme on veut, qui monte à la ville et se trouve impliqué dans la vie urbaine, son culte de la nuit, ses voitures, sa compétition menée avec la rage d'animaux sauvages. Mes éditeurs prévoient déjà (ou du moins, espèrent) un effet Fight Club. Au delà de ça, je finis un livre racontant l'histoire d'une actrice porno qui essaye de gagner le record du plus grand nombre de partenaires en une journée.
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