La langue du Vatican
"Ne balconez plus !" - et autres
néologismes du pape François
Soucieux d'utiliser une langue simple et
directe, le pape François recourt souvent à des termes du lunfardo, voire à des
néologismes de son cru. Des expressions que L'Osservatore Romano, le journal du
Vatican, tente d'expliquer.
"Comment
aurais-je pu imaginer, il y a cinquante ans, que le plus rebelle de mes élèves
écrirait dans L'Osservatore Romano [le journal du Vatican] ? Si je l'avais su,
je ne t'aurais peut-être pas envoyé passer ton examen..." a lancé Jorge
Bergoglio [le pape] à Jorge Milia, de Santa Fe. "Et moi, comment aurais-je
pu imaginer, il y a cinquante ans, que j'allais être reçu par un pape
'néologiste', qui réinvente le latin, l'espagnol, l'italien ?" a rétorqué
à François son ancien élève.
Ce
dialogue a eu lieu pendant une rencontre entre les deux amis au Vatican, il y a
un peu plus de deux mois. Là, le pape François a fait l'éloge des commentaires
de Milia, publiés par L'Osservatore Romano,
sur ses argentinismes et néologismes. Dès qu'il a embrassé le pontificat,
François a surpris par ses gestes, mais aussi par son langage. Non seulement il
invitait les évêques et les prêtres à "être des pasteurs qui sentent la
brebis", mais encore il s'est mis à utiliser des termes presque
argotiques, des mots du lunfardo [argot
de Buenos Aires et langue du tango] ainsi que des néologismes qu'il créait pour
mettre l'accent sur telle ou telle notion.
Quand François a parlé de primerear [voir les définitions ci-dessous], beaucoup se sont demandé ce qu'il voulait dire, surtout
au Vatican. Milia a alors écrit le premier de ses articles pour le
blog Terre d'America, dirigé par Alver Metalli.
"Tout cela a eu une si grande répercussion qu'on m'a demandé de continuer
à écrire sur ce qu'on a fini par appeler les bergoglismes, et ensuite L'Osservatore a commencé à publier ces articles", raconte Milia.
- "Défendre les mioches"
A la liste
de termes qu'il commente – "balconer", "pêcher une idée",
"tourner à vide", "miséricordier", "faire du
bordel" –, on pourrait en ajouter beaucoup d'autres comme "faire une
tête de vinaigre", "sortir de la grotte" ou "se méfier des
margoulins".
Considérées comme autant de bergoglismes, les expressions du pape donnent du fil à retordre aux traducteurs et étonnent tout le monde, sauf ceux qui le connaissaient.
Considérées comme autant de bergoglismes, les expressions du pape donnent du fil à retordre aux traducteurs et étonnent tout le monde, sauf ceux qui le connaissaient.
Plus d'une
fois, Jorge Bergoglio s'est excusé d'avoir employé un mot vulgaire ou
populaire. Ainsi, dans l'homélie de la messe pour l'éducation qu'il a prononcée
en avril 2009 et où il s'est indigné que la drogue soit vendue aux portes des
lycées, il a dit : "Nous devons défendre les mioches, passez-moi
l'expression, et parfois ce monde de ténèbres nous fait oublier cet instinct de
défense des mioches."
C'est
pourquoi le père Javier Klajner, responsable de la pastorale de la jeunesse de
l'archevêché de la ville de Buenos Aires, affirme : "Une bonne partie de
ce que dit le pape, ses expressions, sa façon d'être, nous les vivions comme
une réalité." Et il rappelle que l'ancien archevêque de Buenos Aires
décrivait la Vierge comme une femme des rues. "Vous devez être comme elle,
une femme des rues, et être dans la rue", disait-il aux prêtres.
"Les
bergoglismes sont l'expression d'une catéchèse cent pour cent argentine que le
pape exporte, qu'il diffuse dans le monde, non pour affirmer une identité
régionale, mais par ferveur missionnaire", analyse Virginia Bonard,
auteure de Nuestra fe es revolucionaria [Notre
foi est révolutionnaire], un recueil d'homélies et de messages de Jorge
Bergoglio, du temps où il était archevêque de Buenos Aires. Mme Bonard ajoute :
"Le pape dit qu'il préfère une Eglise accidentée [parce qu'elle prend des
risques] à une Eglise malade. Lui aussi, il est évident qu'il préfère utiliser
les mots et faire des gestes en prenant des risques plutôt que de garder
quelque chose pour lui."
- Quelques définitions
"Le
Seigneur nous première, il nous attend. Tu pèches et il t'attend pour te
pardonner".
D'après
Bergoglio, ce terme (primerear) provient du langage footballistique de Buenos
Aires. Il exprime le fait de prendre l'initiative, d'arriver le premier.
"Ne
balconez pas la vie, entrez en elle, comme l'a fait Jésus."
Dans l'un
de ses articles, Milia explique qu'en lunfardo
"balconer" (balconear) veut
dire regarder depuis un balcon en tant que spectateur et non protagoniste, sans
participer à ce qui se passe.
"(...)
pour que vous pêchiez ce que pensent les évêques".
Utiliser
le verbe pêcher (pescar) comme synonyme
de comprendre est propre au lunfardo. Le
pape a utilisé ce terme lors de son entretien avec la présidente Cristina
Kirchner.
"Cette
civilisation mondiale tourne à vide (pasarse de
rosca) !"
L'expression
trouve sa définition dans l'univers de la mécanique, tourner comme une vis ou
un écrou qui "foire", qui ne mord plus. "Peu importe que
l'expression serve à parler de drogues ou d'alcool, des toxicomanies qui ne
sont pas très différentes de l'abus de pouvoir ou d'argent, dit Milia. Le
résultat est le même : on ne voit plus la réalité, on n'y mord plus."
"Laisse-toi
miséricordier" (dejate misericordiar).
Le pape
s'est permis d'inventer ce verbe après avoir constaté la difficulté qu'il y
avait à traduire sa devise : "Miserando
atque eligendo". Cette devise se réfère au choix qu'a fait Jésus de
Mathieu, un collecteur d'impôts. On peut la traduire par : "Il l'a regardé
avec miséricorde et il l'a choisi" ou : "L'aimant, il l'a
choisi". Interrogé sur ce point par Milia, François explique : "Le
gérondif latin miserando est
intraduisible en italien et en espagnol. J'ai donc eu l'idée de le traduire par
un autre gérondif qui n'existe pas : misericordiando."
Mgr Víctor Manuel Fernández, commentant l'invitation de Bergoglio à se
laisser "miséricordier", dit : "Il invite les gens qui portent
de nombreuses fautes et scrupules à se laisser pardonner et envelopper par la
tendresse de Dieu le père."
Dessin
d'Alex
Source Courrier International
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire