La fluidité sexuelle
Expériences lesbiennes de plus en plus
fréquentes: qu’est-ce que la fluidité sexuelle?
16% des femmes britanniques interrogées
déclarent avoir eu des relations homosexuelles, sans pour autant se qualifier
de “lesbiennes”. Cette fluidité de la sexualité se généralise, portée par des
discours tels que celui de Chirlane McCray, épouse du nouveau maire de New York
Bill de Blasio.
De 1,8% à 8%. L’écart
est flagrant. En 20 ans, le pourcentage de femmes britanniques déclarant avoir
eu des relations sexuelles avec une autre femme a plus que quadruplé. Ces
chiffres proviennent de l’étude National Survey of Sexual Attitude ans Lifestyles (Nastal)
réalisée sur trois périodes : 1990-1991, 1999-2001, 2010-2012, avec plus de 45
000 participants.
Et cette proportion
augmente encore plus lorsque l’on considère la catégorie plus large “avoir une
expérience avec une personne du même sexe”, sans forcément de “contact
génital”. Dans cette catégorie, elles sont 16% à admettre en 2010-12 avoir eu
des expériences homosexuelles, contre 4% en 1990 et 10% en 1999-2000.
A l’inverse, le
pourcentage chez les hommes est quasiment le même depuis 20 ans : 6% en
1990-91, 7% en 2010-2012. La professeure Kaye Wellings, de la London School of
Hygiene and Tropical Medicine, qui a participé à l’étude, explique cette
différence au International Business Times
:
“Ces tendances doivent
être appréciées à la lumière des profonds changements concernant la position
des femmes dans la société, les normes qui gouvernent leur mode de vie et la
représentation de la sexualité féminine.”
S’il y a peu de
chances que les comportements aient changé au cours de ces vingt dernières
années, c’est ainsi plutôt la parole des femmes qui a tendance à se
libérer. Toutefois, affirmer avoir eu des relations sexuelles avec au moins une
personne du même sexe ne revient pas forcément à accepter l’étiquette
“homosexuel”. On appelle ça la fluidité sexuelle.
- Le cas Chirlane McCray, “l’ancienne lesbienne”
Le 5 novembre dernier,
le monde découvrait Chirlane McCray, la femme du nouveau maire démocrate de New
York Bill de Blasio. Aux Etats-Unis comme de l’autre côté de l’Atlantique, les
médias ne se sont pas privés pour la qualifier “d’ancienne lesbienne”, une
expression surprenante qui éveille naturellement la curiosité du badaud.
Cette information sur
le passé de cette New-Yorkaise de 59 ans a été publiée en décembre 2012 par un
journaliste de The Observer, qui avait
retrouvé une tribune de sept pages de Chirlane McCray, dans le magazine Essence daté de 1979, intitulée “Je suis
une lesbienne”. Elle y expliquait clairement “qu’accepter
[sa] vie en tant que lesbienne a été plus facile pour [elle] que pour beaucoup
d’autres“.
Le papier, rapidement
repris par d’autres médias, n’a pas tardé à être utilisé contre Bill de Blasio
pendant la campagne pour la municipalité de New York. “On présentait le passé de sa femme comme une faiblesse“,
explique aux Inrocks le sociologue
Arnaud Alessandrin. “Une manière d’attaquer
Bill de Blasio et le délégitimer. Sauf que c’est en fait devenu une force.”
Chirlane McCray a en
effet immédiatement répondu à The Observer en
des termes particulièrement simples :
“Dans les années 1970,
je m’identifiais comme lesbienne, et en tant que lesbienne j’ai écrit sur ça.
En 1991, j’ai rencontré l’amour de ma vie, et je l’ai épousé.”
- “Je suis plus qu’une étiquette”
S’identifier en tant
lesbienne en 1979 et tomber amoureuse d’un homme en 1991 : voilà qui semble
simple, mais a en fait généré de nombreuses questions. Dans le but,
probablement, de “simplifier” les choses, certains médias se sont contentés de
la qualifier “d’ancienne lesbienne“, voire de lesbienne tout court.
Sauf que Chirlane
McCray l’a clairement expliqué, dans une interview au magazine Essence en mai 2013 :
“Je suis plus qu’une
simple étiquette. Pourquoi les gens veulent-ils tellement mettre des labels sur
le degré où l’on se trouve sur le spectre de la sexualité ? Les étiquettes
mettent les gens dans des boîtes, et ces boîtes ont la forme de cercueils. (…)
Comme le dit mon amie Vanessa : ‘ce n’est pas
qui tu aimes qui importe, c’est que tu aimes’.”
- La frontière poreuse entre hétérosexualité et homosexualité
Cette notion de
fluidité sexuelle résume l’idée selon laquelle “l’orientation
sexuelle est une construction multidimensionnelle et multifactorielle“,
comme l’a résumé la sexologue Véronique Vincelli au site Canoe.ca. “Cette fluidité pouvant exister, elle montre bien
comment une personne peut découvrir son orientation à travers un continuum
d’expériences.”
Est-il vraiment plus
simple d’utiliser des étiquettes toutes faites, qui ne correspondent pas
toujours à la réalité, que de se contenter de la formulation: “la sexualité est
fluide” ?
Pour Shiri Eisner,
auteure du livre “Bi : Notes for a Bisexual
Revolution” contactée par les Inrocks,
parler de Chirlane McCray comme d’une “ancienne lesbienne”, revient “à vouloir marquer la limite entre l’hétérosexualité
et l’homosexualité”. Et la chercheuse en gender
studies de continuer :
“Pourtant, la vie de
McCray montre que cette frontière n’est pas aussi clairement tracée que ce que
la culture de masse laisse à penser. Cela montre une peur : que les
hétérosexuels aient le potentiel de tomber amoureux de personnes de genres
différents. Ce nouveau concept crée de l’anxiété. Et pour calmer cette anxiété,
les médias utilisent des termes binaires, pour essayer de découper la vie et
les expériences de McCray en deux termes distincts et clairs : ‘lesbienne’ pour le passé, ‘hétérosexuel’ pour sa relation actuelle.”
Attention tout de même
: la notion de fluidité sexuelle ne signifie pas que tout le monde peut, et va
être attiré par des personnes de genres différents au cours de sa
vie. Elle a toutefois de plus en plus tendance à se généraliser et à être
acceptée, surtout chez les femmes, qui hésitent moins à parler de leurs
expériences homosexuelles, tout en n’acceptant pas l’étiquette “homosexuelle”
ou “bisexuelle”. A quand l’équivalent chez les hommes ?
Photo Penélope Cruz et Scarlett Johansson dans "Vicky Cristina
Barcelona" de Woody Allen
Source lesinrocks.com
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