mardi 3 décembre 2013

Billets-Influence des séries sur nos vies


Influence des séries sur nos vies

Quand tout le monde, ou presque, suit au moins une ou deux séries, notamment en politique. Difficile d'échapper à leur empreinte quotidienne dans les médias, dans l'actualité, dans nos vies.

Homeland», c'est l'une des dernières séries à la mode. On y suit le retour au pays d'un marine américain, ex-prisonnier d'Al-Qaida, que tout le monde croyait mort depuis huit ans. Un retour qui éveille la suspicion d'une agente de la CIA, persuadée que celui-ci a été «retourné» durant sa détention. La paranoïa «Homeland» aurait-elle gagné Marine Le Pen ?

Au lendemain de la libération des quatre otages français détenus au Niger depuis 2010, la présidente du FN, interrogée par Europe 1, fait cette déclaration... «étonnante» : «Ces images m'ont laissée dubitative. [...] Les deux qui portaient la barbe taillée d'une manière qui était tout de même assez étonnante... L'habillement était étrange... Cet otage avec le chèche sur le visage, tout ça... Ça mérite peut-être quelques explications de leur part. Ça a laissé, je crois, une impression étrange aux Français...»

S'ensuivront une flopée d'articles sur les sites d'information avançant tous plus ou moins la même question : Marine Le Pen a-t-elle trop regardé «Homeland» ? La présidente du Front national s'en défend, nie connaître la série. Serions-nous à ce point intoxiqués par les séries télévisées pour que la fiction s'invite ainsi dans l'actualité ?

Depuis quelque temps déjà, le phénomène est devenu difficile à ignorer. On peut à la rigueur choisir de ne pas en regarder, mais, à moins de vivre en ermite et de réduire ses interactions sociales au strict minimum, les séries surgiront fatalement au détour d'une conversation. On en parle entre amis, entre collègues à la machine à café... Les références «sériesques» se multiplient. «Franchement, c'est dur de survivre dans un monde où tout le monde suit au moins une ou deux séries», confesse un internaute en commentaire d'un article sur le sujet.


Si ce qu'on appelait autrefois un feuilleton n'a, en soi, rien de nouveau, l'engouement généralisé que suscitent les séries télévisées, lui, n'est pas plus vieux que les plates-formes de streaming qui permettent leur visionnage en quelques clics seulement. L'accessibilité a été indéniablement vecteur de popularisation puisque télécharger sa série sur Internet ou la regarder en streaming permet de s'affranchir des contraintes que représentent un horaire fixe de diffusion, des pages de publicité et un doublage des voix originales. Mais il convient aussi de souligner une offre de qualité. La chaîne américaine HBO représente cette caste de séries haut de gamme, excellemment écrites et réalisées au point de rivaliser avec les standards en vigueur dans les salles de cinéma. Grâce à «Band Of Brothers», «Sex And The City», «Six Feet Under», «The Wire» ou encore «Game Of Thrones», la chaîne payante a su acquérir une renommée prestigieuse en matière de production de fictions télévisuelles. Dans son sillon, toute une nouvelle génération de séries télévisées a vu le jour. Une offre sur mesure, permettant à chacun de trouver chaussure à son pied.

"Saisons" politiques

A tel point que nos dirigeants ont eux aussi succombé à la fièvre des séries. On l'a oublié, mais, avant Marine Le Pen, Nicolas Sarkozy lui-même y était allé de son petit clin d'œil. En octobre 2011, alors que, depuis l'Elysée, il est interrogé en direct sur TF1 et France 2, il se lance dans une leçon de géopolitique pour les nuls : «Il s'est passé un phénomène depuis trente ans : les grands pays émergents - Chine, Inde, Brésil, Afrique du Sud, Mexique - ont des populations à nourrir, et il est bien normal qu'ils veuillent leur part du progrès. Quand vous regardez la série récente, "Borgia", là, on voit que le concert des nations du monde au XVIe siècle, c'était quatre, cinq pays : ça se discutait entre l'Italie, l'Espagne, l'Allemagne, l'Angleterre et la France. Aujourd'hui, nous sommes au XXIe siècle, et donc tous les pays veulent leur part du progrès.» Braudel est loin... Aujourd'hui, nous sommes au XXIe siècle, et donc nos dirigeants politiques ne se réfèrent plus à une histoire qu'ils sont pourtant censés connaître, mais illustrent leurs analyses grâce à... des séries télé. On peut se demander s'il s'agissait pour Sarkozy, en citant «Borgia», de «faire peuple». Mais il semble que notre homme se soit vraiment découvert une passion pour les séries.


Aux Etats-Unis, Barack Obama ne cache pas son admiration pour «The Wire», alias «Sur écoute» dans la langue de Molière. En pleine affaire Snowden, voilà une confession qui ne manque pas de sel (lire l'encadré ci-dessous) !

Même la manière de relater l'actualité politique dans les médias s'inspire ouvertement des codes en vigueur dans la narration des séries télévisées. Il suffit pour s'en convaincre de relire les traitements des affaires DSK ou Cahuzac : teasing, mise en scène de personnages secondaires, révélations en cascade... Les «saisons» se succèdent à un rythme endiablé. Et si la tempête se calme, on simule de l'agitation, en s'inspirant du petit écran : prise de vues caméra à l'épaule, tout en décadrages/recadrages violents dans un épisode de «Vingt-quatre heures chrono», titres tonitruants et montée en épingle de faits mineurs en version papier... Tout est bon pour maintenir le public en haleine, la tension (l'attention) ne doit jamais retomber.

Drama ou telenovelas ?

Les séries policières type «Les Experts» ont également eu une double influence sur la réalité. Si, d'une part, les citoyens ont développé quelques bons réflexes qui sont utiles à la police dans son travail de tous les jours (par exemple, ne pas «salir» une scène de crime), ils réclament aussi des résultats immédiats. «Nous ne sommes pas dans une série américaine, s'est énervé mercredi 20 novembre un des commissaires de police traquant le tireur recherché dans tout Paris. On ne peut pas visionner des milliers d'heures d'enregistrement vidéo en cinq minutes.» La police aura quand même mis moins de trois jours pour arrêter le suspect.

Une expression a même été trouvée pour définir l'influence qu'exercent les «NCIS» et autres sigles judiciaires : «The "CSI" Effect» («l'effet "Les Experts"»). Les policiers ne sont pas en reste puisqu'une vingtaine de fonctionnaires du Mans ont suivi cette année une journée de formation en synergologie, science qui étudie le langage corporel à laquelle a recours le héros de la série «Mentalist». La tentation est grande de corréler cette initiation avec la diffusion de cette série sur TF1 depuis quelques années. Dans d'autres registres, les thèses conspirationnistes qui irriguent tout un pan d'Internet doivent beaucoup à la mythologie développée durant une décennie par la série «X-Files». Quant à la colocation, ce mode de vie souvent imposé est devenu sympathique à la suite de la diffusion de 10 saisons de «Friends». Enfin, certains shows télévisés à succès ont influencé le choix de prénoms d'enfants : il y a eu, par exemple, une explosion du nombre de Brandon, Brendan, Kelly et Dylan après la diffusion française, en 1992, de «Beverly Hills 90210». Plus proche de nous, des petits veinards vont devoir supporter une vie durant les prénoms de Daemon à cause de «Vampire Diaries», et Khaleesi, la faute revenant cette fois à «Game Of Thrones».

Il ne faut pourtant pas imaginer que les scénaristes des séries télévisées sont désormais les architectes du monde. Frédéric Martel, auteur du livre Mainstream, ne voit pas dans les séries américaines le bras armé de la globalisation culturelle qui viendrait façonner insidieusement nos comportements. Certes, «Game Of Thrones» est très prisé par le public occidental, mais ne demandez pas à un Japonais, un Africain ou un Chilien de se reconnaître dans nos héros médiévaux. Ils ont leurs productions locales, drama pour les uns, telenovelas pour les autres, et ce sont les pérégrinations des acteurs aux modes de vie similaires aux leurs qui intéressent les autres populations. Voilà pourquoi la révélation du passé nazi de Horst Tappert, acteur qui jouait Derrick, a été prise comme une tragédie nationale en Allemagne.

«Plus belle la vie», un bel exemple de série populaire française, a sans conteste plus d'impact que l'existence des prisonniers d'«Oz» ou des bikers de «Sons Of Anarchy». La veille du premier tour de l'élection présidentielle, lors d'un meeting à Marseille, le staff de François Hollande avait tenu à faire savoir que des acteurs de la série s'afficheraient avec le candidat. Récemment encore, un animateur filait la métaphore entre la primaire socialiste sur la Canebière et les rebondissements de la sitcom phocéenne. Ce qui est franchement exagéré. Même sortis du Cours Florent, les acteurs de «Plus belle la vie» jouent plus justes.

Les séries nous façonnent-elles ou utilisons-nous leurs archétypes pour nous présenter ? C'est ainsi que l'on apprend sans surprise qu'Anne Hidalgo dévore «House Of Cards», série sur les jeux de pouvoir à Washington, et que Frédéric Beigbeder, romancier et patron de Lui, cite «Californication», déboires d'un écrivain obsédé sexuel. Pour le moment, à notre connaissance, aucun revenant en politique n'a pourtant proclamé être un fan de «Walking Dead». 


Obama et « vint-quatre heures chrono »
Barack Obama a-t-il gagné la présidentielle américaine de 2008 grâce aux personnages de David Palmer («Vingt-quatre heures chrono») et de Matt Santos («The West Wing») ? Certes, le résultat du scrutin étatsunien relève sans doute d'une chimie un brin plus complexe. Mais il est difficile de ne pas penser que certaines séries télévisées ont au moins participé à la préparation des esprits à l'avènement d'un président afro-américain au pays de l'Oncle Sam. Diffusée entre 1999 et 2006 aux Etats-Unis, «The West Wing» narre, entre autres, la campagne victorieuse de Matt Santos, un presque inconnu au charisme ravageur. Premier président hispanique, démocrate, le fictif Santos rappelle à de nombreux observateurs le bien réel Obama.

En 2008, les similitudes entre ce personnage inventé et le candidat Obama ne tardent pas à être pointées de la plume par de nombreux journalistes outre-Atlantique. Certains s'amusent même à poster sur la Toile des vidéos montrant tour à tour les discours prononcés par Obama et ceux prononcés par Santos dans la série. Et les ressemblances sont flagrantes. Maurice Ronai, scénariste du documentaire Mister President - qui dévoile les liens d'influence réciproque entre la représentation fictive du président américain dans les films et les séries et la politique américaine, la vraie -, parle de «rétroaction». Comprenez : des allers-retours permanents entre fiction et réalité. Dans «Vingt-quatre heures chrono», l'acteur Dennis Haysbert incarne le premier locataire noir de la Maison-Blanche. Un Barack Obama avant l'heure, en somme. Or, les scénaristes ont avoué s'être inspirés pour le rôle de l'ancien secrétaire d'Etat Colin Powell. La «rétroaction» est parfaite : la réalité a influencé la fiction qui, à son tour, quelques années plus tard, a influencé la réalité.


L’effet « Borgen »
Au Danemark, il y a clairement un avant- et un après-«Borgen». Cette série télévisée, produite par la chaîne publique danoise, met en scène l'ascension au pouvoir, les combats politiques, médiatiques et personnels d'une femme charismatique, Birgitte Nyborg (incarnée par Sidse Babett Knudsen). Dans le pays scandinave, la série a eu un impact inédit.

Ainsi, la sociale-démocrate Helle Thorning-Schmidt, première femme à devenir Première ministre au Danemark, a réussi à se hisser au pouvoir en 2011, quelques mois seulement après la diffusion de la première saison de «Borgen». Lorsque l'on sait qu'à cette époque près de 2 millions de téléspectateurs (pour 5,5 millions d'habitants) regardaient, tous les dimanches soir, la série télévisée, difficile de ne pas faire le lien : «Borgen», de par son réalisme et sa justesse, a changé l'image des femmes en politique au Danemark.

Et ce n'est pas tout. «Borgen» a aussi influencé les questions à l'agenda du vrai gouvernement danois. Dans la troisième et dernière saison de la série (attention, spoilers), diffusée début 2013, la rédaction d'une loi protégeant les droits des prostituées est à l'étude. Conséquence, une députée conservatrice, bien réelle cette fois, s'est emparée de la question pour provoquer un vrai débat dans le pays. Ses opposants l'ont accusée de rebondir sur la popularité de «Borgen» pour se faire connaître à son tour.

Signe de l'influence de «Borgen» sur la politique au Danemark, la plupart des journaux danois ont titré de la même manière, au lendemain de la diffusion de l'épisode final de la série, le 10 mars 2013 : «Tak, Birgitte !» («Merci, Birgitte !») Reste à savoir si cette influence va durer : réponse en 2015, lors des élections législatives.


Source marianne.net

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