jeudi 19 décembre 2013

Billets-Grève à “20 minutes”


Grève à “20 minutes”

Le quotidien gratuit, menacé d'un plan social, entame sa deuxième journée de grève. Derrière ce mouvement, le gros malaise d'une rédaction poussée à bout.

« On a conscience qu’on est un journal low cost, mais là... » , soupire ce journaliste de 20 Minutes. Bref, si son journal était une compagnie aérienne, elle serait du genre à faire voyager ses passagers debout. Depuis mardi, la rédaction du quotidien gratuit est en grève. La raison ? Un plan de sauvegarde de l’emploi – un PSE comme on dit dans le jargon – qui menace treize postes, dont l’intégralité du service photo. Dans un communiqué posté sur un Tumblr créé pour l’occasion, les salariés s’émeuvent de ses « conséquences dramatiques sur l’ensemble de la production et sur la qualité de l’information que fournit chaque jour la rédaction sur tous les supports, papier et numérique ».
La rédaction de 20 Minutes, réputée paisible, ne hausse pas souvent le ton. C’était arrivé une fois, au cœur de l’été 2008, quand Johan Hufnagel, le rédacteur en chef du site, avait été brutalement débarqué par la direction. Puis une autre en 2009, quand la direction avait présenté un plan d’organisation supprimant le secrétariat de la rédaction. Cette troisième grève marque une nouvelle étape dans la dégradation des conditions de travail d’une rédaction de plus en plus affaiblie : dans les mails des salariés de 20 minutes, on peut lire, en signature : « 20 Minutes, 1er quotidien de France, 4,377 millions de lecteurs chaque jour, 3e site de news, 5,4 millions de visiteurs uniques mensuels,1ère marque de presse d’information en France ». Derrière ces déclarations triomphantes, la réalité est beaucoup moins reluisante. Entièrement financé par la publicité, le modèle économique d’un gratuit comme 20 minutes est encore plus touché que les autres par l’effondrement du marché publicitaire.

  • Plus l'énergie pour chipoter
C’est mécanique : plus la publicité peine à rentrer, plus on réduit les prix pour l’appâter, plus on doit en bourrer les pages : de 30% des pages, la part de la publicité est passée à la moitié, avec des pics symboliques à 53%. « Comme on a le nez dans le guidon, on n’a plus l’énergie pour chipoter sur 3% ». Les pages « 20 Minutes Communication » , signées par des pigistes du « service publication » (des publi-reportages externalisés, donc), hors contrôle de la rédaction, gangrènent les pages réellement journalistiques.
Parallèlement, les conditions de travail se sont dégradées : « Du temps de Frédéric Filloux (le premier patron de la rédaction, NDLR), on avait une politique de qualité, avec le moins de dépêches possibles », se rappelle Benjamin Chapon, journaliste, dans la maison depuis dix ans. « C’était le cahier des charges ». Depuis, les temps ont changé, notamment avec la nomination en 2012 d’Olivier Bonsart comme patron de publication. « Les journalistes du desk doivent écrire dix à quinze articles par jour, les reportages ont quasiment disparu. On a vraiment perdu sur le terrain de l’exigence éditoriale. Avec la fusion des rédactions papier et web, nos articles sont relus en deux minutes montre en main, on pourrait tout aussi bien écrire n’importe quoi ! », témoigne un autre. Il y a deux ans, de guerre lasse, la Société des journalistes de 20 Minutes a été mise en sommeil... Depuis, la rédaction, en revanche, se syndique.

  • Limite fatidique
Mardi 17 décembre, la grève a été votée par presque toute la rédaction, hors hiérarchie  (72 voix sur 77).  Les conséquences d’une non parution sont lourdes : 200 à 300 000 euros de publicité dans la balance, et au-delà du portefeuille, une autre menace : en dessous de deux cents parutions par an, un journal n’est plus référencé à l’OJD, l’organisme qui certifie sa diffusion…. et perd de sa valeur aux yeux des annonceurs. Or 20 minutes flirte justement avec la limite fatidique des deux cents jours, et quelques jours de grève pour non parution pourraient le faire basculer sous la barre : d’un « vrai » quotidien paraissant tous les jours à ses débuts, « 20 Minutes a peu à peu instauré une interruption de cinq semaines pendant l’été, une autre à Noël, d’autres pendant les ponts », explique Sébastien Ortola, délégué SNJ-CGT. Le journal a perdu près de vingt jours de parution en l’espace de trois ans.
Réunis en intersyndicale, les salariés ont négocié pendant plus de six heures, mardi après-midi. Mais la direction est restée sur ses positions... et « son syllogisme », comme le commente la déléguée SNJ Alice Coffin : « Un journal qui fait du hard news n’a pas besoin de service photo ; or 20 Minutes fait du hard news ; donc 20 Minutes n’a pas besoin de service photo. CQFD ». Face au statu quo, les salariés ont décidé mardi soir de reconduire la grève à une large majorité (seulement 11 voix contre). Dans son communiqué, l’intersyndicale indiquait  « l’ immense désarroi (des journalistes, ndlr) face aux orientations souhaitées par la direction, symbolisées par cette volonté de supprimer le service photo ». La prochaine assemblée générale se tiendra ce mercredi 18 décembre à 11h, ce qui pourrait empêcher la parution du journal une deuxième journée.

illustration : Coloranz pour télérama.fr

Source telerama.fr

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