Grève à “20 minutes”
Le quotidien gratuit, menacé d'un plan social,
entame sa deuxième journée de grève. Derrière ce mouvement, le gros malaise
d'une rédaction poussée à bout.
« On a conscience qu’on est un journal
low cost, mais là... » , soupire ce
journaliste de 20 Minutes. Bref, si son journal était une compagnie aérienne, elle
serait du genre à faire voyager ses passagers debout. Depuis mardi, la
rédaction du quotidien gratuit est en grève. La raison ? Un plan de sauvegarde
de l’emploi – un PSE comme on dit dans le jargon – qui menace treize postes,
dont l’intégralité du service photo. Dans un communiqué posté sur un Tumblr créé pour l’occasion, les salariés s’émeuvent de ses « conséquences
dramatiques sur l’ensemble de la production et sur la qualité de l’information
que fournit chaque jour la rédaction sur tous les supports, papier et numérique
».
La rédaction de 20 Minutes, réputée paisible, ne
hausse pas souvent le ton. C’était arrivé une fois, au cœur de l’été 2008, quand
Johan Hufnagel, le rédacteur en chef du site, avait été brutalement débarqué
par la direction. Puis une autre en 2009, quand
la direction avait présenté un plan d’organisation supprimant le secrétariat de
la rédaction. Cette troisième grève marque une nouvelle étape dans la
dégradation des conditions de travail d’une rédaction de plus en plus affaiblie
: dans les mails des salariés de 20 minutes, on peut lire, en
signature : « 20 Minutes,
1er quotidien de France, 4,377 millions de lecteurs chaque jour, 3e site de
news, 5,4 millions de visiteurs uniques mensuels,1ère marque de presse
d’information en France ». Derrière ces
déclarations triomphantes, la réalité est beaucoup moins reluisante.
Entièrement financé par la publicité, le modèle économique d’un gratuit comme 20 minutes
est encore plus touché que les autres par l’effondrement du marché
publicitaire.
- Plus l'énergie pour chipoter
C’est
mécanique : plus la publicité peine à rentrer, plus on réduit les prix pour
l’appâter, plus on doit en bourrer les pages : de 30% des pages, la part de la
publicité est passée à la moitié, avec des pics symboliques à 53%. « Comme on a le nez dans le guidon, on n’a plus
l’énergie pour chipoter sur 3% ». Les pages « 20 Minutes Communication »
, signées par des pigistes du « service publication » (des publi-reportages
externalisés, donc), hors contrôle de la rédaction, gangrènent les pages
réellement journalistiques.
Parallèlement, les conditions de travail se sont dégradées
: « Du temps de Frédéric
Filloux (le premier patron de la rédaction, NDLR), on avait une politique de
qualité, avec le moins de dépêches possibles »,
se rappelle Benjamin Chapon, journaliste, dans la maison depuis dix ans. « C’était le cahier des charges ». Depuis, les temps ont changé, notamment avec la
nomination en 2012 d’Olivier Bonsart comme patron
de publication. « Les
journalistes du desk doivent écrire dix à quinze articles par jour, les
reportages ont quasiment disparu. On a vraiment perdu sur le terrain de
l’exigence éditoriale. Avec la fusion des rédactions papier et web, nos
articles sont relus en deux minutes montre en main, on pourrait tout aussi bien
écrire n’importe quoi ! », témoigne un autre.
Il y a deux ans, de guerre lasse, la Société des journalistes de 20 Minutes
a été mise en sommeil... Depuis, la rédaction, en revanche, se syndique.
- Limite fatidique
Mardi 17
décembre, la grève a été votée par presque toute la rédaction, hors hiérarchie
(72 voix sur 77). Les conséquences d’une non parution sont lourdes
: 200 à 300 000 euros de publicité dans la balance, et au-delà du portefeuille,
une autre menace : en dessous de deux cents parutions par an, un journal n’est
plus référencé à l’OJD, l’organisme qui certifie sa diffusion…. et perd de sa
valeur aux yeux des annonceurs. Or 20 minutes
flirte justement avec la limite fatidique des deux cents jours, et quelques
jours de grève pour non parution pourraient le faire basculer sous la barre :
d’un « vrai » quotidien paraissant tous les jours à ses débuts, « 20 Minutes a
peu à peu instauré une interruption de cinq semaines pendant l’été, une autre à
Noël, d’autres pendant les ponts », explique Sébastien Ortola,
délégué SNJ-CGT. Le journal a perdu près de vingt jours de parution en l’espace
de trois ans.
Réunis en
intersyndicale, les salariés ont négocié pendant plus de six heures, mardi
après-midi. Mais la direction est restée sur ses positions... et « son syllogisme », comme le commente la
déléguée SNJ Alice Coffin : « Un journal qui
fait du hard news n’a pas besoin de service photo ; or 20 Minutes fait du hard news ; donc 20 Minutes n’a pas besoin de service photo. CQFD ». Face
au statu quo, les salariés ont décidé mardi soir de reconduire la grève à une
large majorité (seulement 11 voix contre). Dans son communiqué,
l’intersyndicale indiquait « l’ immense désarroi (des journalistes, ndlr)
face aux orientations souhaitées par la direction, symbolisées par cette
volonté de supprimer le service photo ». La prochaine assemblée générale se
tiendra ce mercredi 18 décembre à 11h, ce qui pourrait empêcher la parution du
journal une deuxième journée.
illustration : Coloranz pour télérama.fr
Source telerama.fr
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