Entretien avec Glenn Greenwald
Glenn Greenwald : “Je suis assis sur une
montagne de documents, chacun d’entre eux est digne d’intérêt.”
Le journaliste qui fait trembler les Etats-Unis
détient les documents qu'Edward Snowden a emportés en quittant la NSA. Il a
accepté de nous parler.
Depuis cinq mois, perché sur les hauteurs de Rio de
Janeiro, Glenn Greenwald, 46 ans, publie
chaque jour sa dose de révélations sulfureuses. L'ancien avocat, ex-blogueur
reconverti dans le journalisme de combat au Guardian, est devenu une
superstar médiatique. Nourri par Edward Snowden,
un ancien analyste de la National Security Agency, il révèle au monde entier
l'ampleur de la surveillance à laquelle se livre la plus secrète des agences de
renseignement américaines.
Les grands
journaux (Le Monde, Der Spiegel, El País, The
New York Times…) exploitent sans relâche ses documents ; l'Etat
américain, lui, aimerait bien remettre la main dessus.
En tongs
et short de bain au bar d'un grand hôtel de São Conrado, un quartier chic de sa
ville d'adoption, le journaliste explique pourquoi et comment il est devenu
l'aiguillon du scandale, en même temps que sa caisse de résonance. Entre deux
calamars frits et un cabernet sauvignon commandés dans un portugais impeccable,
il nous raconte les coulisses du plus gros scoop de l'année… et comment il a
failli passer à côté.
Hyperactif,
volubile, volontiers vitupérant, Glenn Greenwald égratigne les dérives
sécuritaires des Etats-Unis en même temps que les « pratiques toxiques » d'une
presse qu'il voudrait dynamiter, et révolutionner. Mis au ban de son propre
pays, il refuse d'abdiquer. Après plusieurs semaines de pourparlers, l'ennemi
numéro un et demi de l'administration Obama a accepté de nous rencontrer.
- Est-ce que vous avez peur ?
J’ai
conscience des risques, y compris physiques : je suis en possession de milliers
de documents secrets, qui dérangent la moitié des agences de renseignement de
la planète. Comme il s’agit de la plus grosse fuite de l’histoire de
l’espionnage américain, le gouvernement a l’impression d’avoir perdu tout
contrôle, d’avoir été attaqué dans sa légitimité, et la pression est immense
pour qu’une tête soit placée sur une pique.
Puisque Edward Snowden est réfugié en Russie, je suis le
deuxième sur la liste [dans une récente interview au Washington Post, Eric Holder, le secrétaire à la Justice américain, a
réfuté toute velléité de l’administration de
poursuivre Greenwald].
- Les autorités américaines essaient-elles de vous intimider ?
Et bien, la police britannique a interpellé mon
compagnon à l’aéroport d’Heathrow, l’a gardé enfermé
pendant neuf heures au nom d’une loi antiterroriste, en le menaçant de
poursuites. Le jour suivant, le gouvernement américain a indiqué anonymement
dans une dépêche de Reuters qu’il s’agissait « d’envoyer un message ».
N’est ce pas de l’intimidation ?
Les autorités américaines essaient de faire passer du
journalisme pour de l’espionnage en tordant la réalité : Keith Alexander,
général 4 étoiles qui dirige la NSA, a même déclaré que nous « vendions ces documents », un crime passible de la prison à perpétuité.
- Vous pensez pouvoir retourner aux Etats-Unis ?
La
situation est ironique : j’ai déménagé au Brésil il y a huit ans parce que la
loi américaine empêchait mon compagnon [brésilien, ndlr] de vivre aux
Etats-Unis, et maintenant, c’est à mon tour de ne plus pouvoir y retourner.
Mais je refuse d’être excommunié pour avoir simplement pratiqué mon métier de
journaliste.
Heureusement, le Brésil est extrêmement bienveillant à mon
égard. Le gouvernement de Dilma Roussef a publiquement affirmé qu’il me
défendrait face au gouvernement américain, et le Sénat, qui m’a auditionné, a
voté en faveur d’une protection policière à mon domicile. Dans la rue, les gens
m’apostrophent et me remercient, notamment depuis que je suis apparu dans
Fantastico,
l’émission-phare de Globo.
- Quelles sont les conséquences concrètes de ces pressions dans votre vie quotidienne ?
Je sais
que je suis constamment sous surveillance électronique. Je ne parle jamais de
sujets sensibles au téléphone, et j’utilise uniquement des formes sophistiquées
de chiffrement. Certains amis ne veulent plus m’envoyer d’e-mails, les gens qui
me rendent visite se demandent s’ils doivent emmener un ordinateur, et quand
ils le font, ils effacent l’intégralité de leur disque dur avant de repartir,
au cas où leur matériel serait saisi.
Récemment,
j’ai participé à un tournoi de tennis, et tout le monde blaguait en disant
qu’il ne fallait pas jouer en double avec moi. Même si c’était de l’humour,
cela prouve à quel point la peur d’être associé à moi infiltre les esprits.
- Parfois, vous aspirez à un retour au calme ?
J’aimerais
bien retrouver une routine (rires). Je continue d’espérer que ma vie revienne à
la normale. A chaque fois que j’ai l’impression de voir le bout du tunnel,
l’horizon s’obscurcit de nouveau. Je vis avec, parce que je pense que la
normalité n’est pas une valeur cardinale, mais en tant qu’être humain, c’est
difficile de conserver un équilibre, même précaire.
J’essaie
de m’assurer que ma santé physique et mentale sont intactes, de me convaincre
que je suis entouré, de trouver d’autres centres d’intérêt pour me motiver. Je
ne dors jamais plus de quatre à cinq heures par nuit, ce qui n’est pas sain.
J’essaie de m’imposer un peu d’exercice, j’ai repris le yoga, je m’occupe de
mes chiens, je passe du temps avec mon compagnon, nous essayons parfois de
partir en week-end…
- Vous pensez que nous sommes surveillés à cet instant précis ?
Je croise
toujours des individus louches. Parfois, ils sont juste bizarres, à d’autres
moments ils sont sans doute en train de me surveiller. Quand vous êtes dans ma
situation, vous devez faire le choix de ne pas céder à la paranoïa. C’est
contraignant de ne pas pouvoir mener une conversation librement, mais je ne
peux rien y faire. Quand je suis dans ma voiture, dans ma maison, je sais qu’il
y a une forte probabilité que mon intimité n’existe pas.
- Pourquoi Edward Snowden vous a-t-il choisi ? Comment votre collaboration s’est-elle mise en place ?
En
décembre 2012, il m’a envoyé un e-mail aux contours très vagues. Il me
demandait simplement d’installer ce logiciel de chiffrement pour pouvoir
communiquer de manière confidentielle. Je lui ai répondu que j’allais le faire,
sans donner suite. Vous savez, il y a un Edward Snowden sur un million de
personnes. 99% du temps, on me contacte pour me proposer des histoires
inintéressantes, et je n’ai pas pensé qu’il en valait la peine. Il était
extrêmement discret, et rétrospectivement, c’est l’adjectif qui le décrit le
mieux.
Mais il a persévéré. Il m’a envoyé un guide qui détaillait
étape par étape le processus d’installation, puis une vidéo explicative, qui
m’expliquait clic par clic ce que je devais faire. Comme je ne réagissais
toujours pas, il a commencé à se sentir frustré. Je le comprends. Comment
confier à un type les documents les plus explosifs de l’histoire de la NSA s’il
n’est même pas capable d’installer un logiciel pour les récupérer ? A ce
moment, il a contacté Laura Poitras [une
réalisatrice de documentaires basée à Berlin et spécialisée dans ces questions,
ndlr], qui lui a conseillé de travailler avec… moi.
Après avoir passé dix ans dans les prétoires à défendre les
libertés civiles, j’avais commencé à m’intéresser au virage radical de la
politique américaine après le 11-Septembre, en ouvrant un blog, Unclaimed
Territory, en octobre 2005. Snowden
cherchait quelqu’un d’agressif, connaissant ces dossiers, qui ne se laisserait
pas intimider par les pressions. Il avait très peur d’aller voir le New York Times ou le Washington
Post, en risquant sa liberté, en mettant sa
vie en jeu, pour que l’histoire soit finalement enterrée sous la pression du
gouvernement, comme c’est souvent arrivé ces dernières années. Il voulait
s’assurer que tous les documents seraient publiés.
- Vous avez donc fini par installer ce fameux logiciel…
Laura m’a
aidé à me mettre à niveau technologiquement, et j’ai pu parler à Snowden vers
la mi-mai. Il était déjà à Hongkong, ce qui nous a beaucoup intrigués. Il
insistait pour que nous le rejoignions là-bas, et il m’a envoyé deux douzaines
de documents, impressionnants. Le lendemain, je sautais dans un avion pour New
York afin de rencontrer les rédacteurs en chef du Guardian,
et dans la foulée, je partais à Hongkong.
- Quel regard portez-vous sur la réaction du public ?
Au tout
début de notre collaboration, Snowden m’a confié qu’il avait peur de
l’indifférence générale. Or, cette affaire est allée bien au-delà de nos
attentes, elle a ouvert de multiples brèches, politiquement, diplomatiquement.
La réaction des gouvernements le prouve, ces révélations ont été prises très au
sérieux.
Contrairement
à ce qu’on entend de plus en plus, les citoyens ont redécouvert la notion de
vie privée, même ceux qui claironnent qu’ils n’ont rien à cacher. Ils protègent
leurs comptes sur des réseaux sociaux avec des mots de passe, ils mettent des
serrures sur leurs portes, et réagissent quand ils s’aperçoivent que leurs
moindres faits et gestes peuvent être surveillés.
Il y a six mois, 5% des e-mails que je reçois étaient
accompagnés d’une clé PGP. Aujourd’hui, 60%
d’entre eux sont chiffrés ; de plus en plus de médias, comme Forbes ou le New Yorker,
déploient des plateformes sécurisées ; les consciences se réveillent et je
pense que de nouveaux outils vont apparaître, afin de rendre à tout un chacun
la possibilité de communiquer en privé sans que l’Etat n’interfère.
- Vous reste-t-il beaucoup de documents à publier ?
La
majorité. Nous en parlons régulièrement avec Snowden par l’intermédiaire d’un
chat sécurisé. Je ne peux pas dire que le pire est à venir – les gens
s’habituent à ces révélations – mais il y a plusieurs documents sur ce que
collecte la NSA et sur la façon dont ils le font qui vont choquer. Je suis
assis sur une montagne de documents, et chacun d’entre eux est digne d’intérêt.
J’ai été
contacté par des journalistes du monde entier, qui veulent travailler avec moi
sur les dossiers qui concernent leur pays. Légalement, je ne peux pas me
contenter de leur donner ce qui les intéresse, parce que je me transformerais
en source. Je peux seulement être un journaliste, alors je dois contribuer à
leurs enquêtes, co-signer leurs articles. C’est extrêmement chronophage mais je
ressens de la culpabilité à ne pas pouvoir travailler plus vite. J’ai
d’ailleurs embauché un assistant.
- Le soldat Manning a été condamné à trente-cinq ans de prison pour avoir fourni des documents à WikiLeaks. Est-ce que vous pensez qu’il est encore possible de protéger une source à 100% ?
Le
gouvernement américain est capable d’intercepter la moindre communication, de
savoir qui parle avec qui, à quelle fréquence, par quel moyen. Aujourd’hui, il
est presque impossible pour une source de contacter un journaliste sans être
détecté.
Quand nous
avons commencé à publier les premières révélations, un journaliste du Guardian, qui a travaillé à Washington pendant
plusieurs années, nous a dit qu’il n’arrivait plus à joindre qui que ce soit au
téléphone. Ses interlocuteurs ne voulaient pas que leurs métadonnées puissent
être rattachées au Guardian. Pour toutes
ces raisons, la surveillance a complètement dévoyé le processus de collecte de
l’information, et c’est un dommage collatéral extrêmement puissant.
- D’autant plus que l’administration Obama poursuit les lanceurs d’alerte, les whistleblowers , avec une sévérité sans précédent. Vous n’avez pas peur que les candidats au sacrifice viennent à manquer ?
Quand vous
créez une situation dans laquelle un whistleblower n’a d’autre issue que celle
de finir sa vie en prison, c’est dissuasif. Pourtant, Snowden a été le témoin
de ce qui est arrivé à Manning, et ça ne l’a pas arrêté. Le courage est
contagieux [c'est aussi la devise de WikiLeaks, ndlr], et les whistleblowers
inspirent des vocations.
C’est un
processus contre lequel le gouvernement ne peut rien. D’une certaine façon,
leur brutalité ne fera qu’empirer les choses. Plus l’Etat montre à quel point
il est abusif, plus des citoyens penseront qu’il a besoin d’être défié. A
Hongkong, avec la documentariste Laura Poitras, nous voulions faire honneur au
courage de Snowden en travaillant dans le même esprit. Avant de se lancer, les
journalistes du Guardian ont réagi comme
une institution traditionnelle, en analysant les risques. Puis ils ont été «
contaminés » à leur tour.
- L’affaire Snowden vous a fait une sacrée publicité…
Dès le
début, nous avons décidé que je serai celui qui engage le débat public et passe
à la télévision. Laura déteste ça. Quant à Snowden, non seulement il refusait
d’attirer l’attention sur lui, mais nous étions persuadés qu’il allait
rapidement être rattrapé par la justice américaine. Quand il a disparu fin
juin, nous avons vraiment cru que nous allions le retrouver dans une salle
d’audience, les menottes aux poignets.
Je sais
qu’Edward est satisfait de la façon dont j’ai rempli mes engagements vis-à-vis
de lui, et c’est tout ce qui m’intéresse. J’aurais pu publier un ou deux
articles, tourner les talons, remporter des prix et signer un contrat avec un
éditeur. Ça aurait aidé ma carrière. Mais j’ai choisi de travailler avec des
médias du monde entier, et j’ai été très clair sur le fait que je compte bien
publier ces documents jusqu’au dernier.
- Est-ce qu’aujourd’hui, vous considérez encore Snowden comme une source, ou est-il devenu plus que ça ?
Il est une
source, évidemment, mais il est aussi quelqu’un que j’admire beaucoup. Il est
héroïque ! Avec Laura et lui, nous avons vécu l’expérience de toute une vie, et
je me sens lié à lui en tant qu’être humain. Je m’inquiète de son sort, et je
ne vais pas mentir en disant qu’il ne s’agit que d’une source. Il y a des
implications légales à parler d’amitié, mais nous avons une relation importante
à mes yeux, fondée sur l’admiration.
- Vous avez été avocat, blogueur… Vous considérez-vous aujourd’hui comme un journaliste ?
Bien sûr !
Etre journaliste, pour moi, consiste à tenir pour responsables les puissants en
révélant au public ce qu’ils planifient dans l’ombre. En tant qu’ancien avocat,
je pense que la loi et le journalisme ont beaucoup de choses en commun. Pour
certains médias, je reste un blogueur. Je pouvais le comprendre quand j’ai
commencé à écrire, seul, sans faire partie d’aucune organisation, mais
aujourd’hui, c’est surtout un moyen de discréditer mon travail en me tenant à
l’écart d’un sérail dont je n’ai jamais fait partie.
- Vous avez été mal reçu ?
Les
journalistes regardent les scoops comme une valeur boursière, donc je suis
devenu important à leurs yeux. Mais je ne me suis fait pas de nouveaux amis
pour autant. Beaucoup de journalistes de Washington sont des lâches. Ils
agitent les bras en répétant à quel point les fuites sont dangereuses.
Bob
Woodward [l’un des deux journalistes qui a révélé l’affaire du Watergate, ndlr]
est devenu l’un des plus riches, si ce n’est le plus riche journaliste du monde
en publiant des livres contenant toutes sortes d’informations classifiées. Mais
personne ne trouve rien à y redire parce que ses sources sont des officiels de
haut rang qui protègent les intérêts américains. Ces journalistes ne pensent
pas que les fuites sont intrinsèquement mauvaises, ils pensent qu’elles le sont
si elles nuisent au gouvernement.
- Vous pensez qu’il est impossible de bien faire son métier dans un grand média ?
C’est possible, si vous êtes capable de le faire en dépit
de l’institution et non grâce à elle. Prenez l’exemple de James Risen. Son article le plus notable de la décennie révélait que
l’administration Bush espionnait sa propre population sans mandat. Il lui a
valu un Pulitzer. Pourtant, il lui a fallu quatorze mois pour réussir à le
publier, à cause du veto de la Maison-Blanche, que le New York Times n’a pas contesté. Il a obtenu gain de cause parce qu’il a
signé un contrat avec un éditeur, or son journal n’avait pas envie que son
propre journaliste lui pique un scoop.
Si Risen a
été capable de faire ce que j’appelle du journalisme antagonique, c’est contre
son propre employeur. Ces pratiques vantées par de gros médias américains,
comme l’idée que vous n’avez pas le droit d’exprimer votre opinion dans vos
articles, ou que certains articles ne doivent pas être publiés pour des raisons
de sécurité, sont en réalité assez nouvelles. Le journalisme le plus
remarquable de l’histoire américaine a été incarné par des personnes aux
convictions affirmées.
- Vous avez écrit que « le journalisme est une forme d’activisme ». Vous voulez dire que le mythe de l’objectivité est synonyme de mauvais journalisme ?
C’est
malhonnête de prétendre au lecteur qu’il existe une forme de machine
mathématiquement équilibrée, presque inhumaine, capable de dire la vérité sans
qu’aucune considération subjective n’entre dans l’équation. C’est si pompeux.
Si vous étudiez chaque choix journalistique, qui vous citez, qui a droit aux
premières lignes, qui est enfoui au bas de l’article, quelle actualité mérite
qu’on s’y arrête, qui vous choisissez de croire, tous sont enracinés dans la
subjectivité. Prétendre le contraire est totalement illusoire.
- Où vous situez-vous politiquement ?
On m’accuse d’être socialiste ou libertarien, mais beaucoup
de gens pensent aussi que je suis de droite. Bill Keller, l’ancien rédacteur en
chef du New York Times, m’a comparé simultanément
à Lénine et au Tea Party ! J’ai des convictions profondes, je pense qu’un
gouvernement n’a pas tous les droits. Je suis choqué que mon pays – devenu une
nation militariste – utilise la violence et outrepasse les lois internationales
pour atteindre ses objectifs.
Pour
autant, je refuse toute étiquette parce qu’il serait trop facile de discréditer
mon activité. Les gens se diraient « Il est
Républicain, alors… » ou « Il est
Démocrate, alors… ». D’ailleurs, j’ai reçu des soutiens dans chaque rang
du Congrès, publiquement ou en privé.
- Malgré tout, certains politiciens vous considèrent comme un « traître»…
C'est une
tactique traditionnelle, ce n'est pas l'apanage du gouvernement américain.
Quand vous attaquez les intérêts de ceux qui sont au pouvoir, vous êtes
automatiquement accusé de faire du mal à votre pays. Dans la culture politique
américaine récente, le gouvernement a l'habitude de criminaliser les
journalistes, mais ce qui est impressionnant, c'est que le gouvernement n'est
plus en pointe dans ces campagnes de dénigrement : ce sont des journalistes, ou
ce que certains appellent des éditorialistes. C'est une victoire propagandiste
extraordinaire pour un gouvernement de conditionner ses journalistes pour
qu'ils attaquent ceux qui veulent rendre le monde plus transparent.
- C’est parce que vous n’avez pas foi en l’institution que vous avez quitté le Guardian et décidé de vous lancer dans ce projet de site d’information avec Pierre Omidyar, le fondateur d’eBay, qui a investi 250 millions de dollars ?
Il faut
bâtir sa propre institution. A Hongkong, j’avais songé à quitter le Guardian pour créer une organisation avec
Laura Poitras et Jeremy Scahill [un journaliste américain qui a notamment écrit
un livre explosif sur la société militaire privée Blackwater, ndlr].
J'avais peur qu'en cas de poursuites contre le Guardian,
cela interfère avec le processus journalistique, et qu'une action en justice
leur prenne énormément de temps et de ressources [le 4 décembre, Alan
Rusbridger, le rédacteur en chef du quotidien britannique, a affirmé devant une
commission d'enquête du Parlement qu'«
[il] ne se laisserai[t] pas intimider »,
ndlr].
Nous voulions donc notre propre site, et nous songions déjà
à nous adjoindre les services de personnes en accord avec nos méthodes de
travail : des fact-checkers bénévoles ou des avocats acceptant de travailler
pro bono. Nous cherchions des investisseurs, quand, à la fin du mois de
septembre, Omidyar m’a appelé au téléphone. Quand il m’a exposé son plan, je lui ai répondu : « J’ai l’impression que vous m’avez piqué mon idée ». A peine avions-nous raccroché que nous étions déjà en
train de bâtir l’équipe.
Depuis,
nous avons recruté une douzaine de personnes, dont trois travaillent à Rio avec
moi. Nous ne cherchons pas uniquement des journalistes d’investigation
spécialisés dans la sécurité nationale et les libertés publiques, nous allons
également couvrir l’économie, l’écologie ou le sport, et ce qui compte, c’est
la philosophie de travail. Je ne peux pas encore vous donner le nom du site ou
sa date de lancement, mais ça ne devrait pas tarder… C’est drôle, Pierre et moi
ne nous sommes encore jamais retrouvés dans la même pièce.
Source telerama.fr
Propos recueillis par Olivier Tesquet, envoyé spécial au Brésil
(Télérama)
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