Candy Crush
On les aligne, on les éclate, on les aligne, on
les éclate... Mais qu'est-ce qu'ils ont mis dans les bonbecs du jeu vidéo
“Candy Crush” pour rendre addict 80 millions de personnes ?
Un médecin
taïwanais s'est récemment étonné de l'accroissement inquiétant du nombre de
patients souffrant de dysfonctionnement érectile. Après enquête, il est apparu
que ces patients avaient un point commun : tous, sans exception, jouaient
assidûment à Candy Crush sur leur
smartphone. N'en tirons aucune conclusion générale sur la vie des joueurs et
joueuses, mais admettons que Candy Crush
est prenant.
Candy Crush ? Si vous n'y jouez pas, vous
connaissez forcément quelqu'un dans votre entourage qui y joue ou vous avez vu
quelqu'un y jouer, dans le métro, le bus ou le TGV, voire dans les toilettes si
la porte était mal fermée : 700 millions de parties de Candy Crush Saga sont jouées chaque jour. C'est bien la dernière
démangeaison qui brûle le genre humain, une application lancée sur Facebook en
2012 par l'entreprise britannique King, essentiellement destinée aux
smartphones (70 % des joueurs), un jeu d'une simplicité enfantine qui compte
près de 80 millions adeptes, réalise 850 000 euros de bénéfice par jour et
grâce auquel King est sur le point d'entrer en bourse (valorisation 5 milliards
de dollars !).
Des
chiffres astronomiques pour un jeu bas de plafond. Un peu entraîné, un
orang-outan de 8 mois pourrait résoudre les problèmes posés par ce Tetris acidulé tout en confiseries
multicolores : pour avancer dans le jeu, il suffit d'aligner le maximum de fois
possibles trois bonbons similaires, ce qui les fait disparaître du tableau.
Paf. Au suivant. Et encore, et encore, et encore. Ad nauseam.
- Classé épidémie nationale ?
Assez loin de la complexité des échecs, de l'interactivité
de GTA V
ou même de la gymnastique mentale qu'impose une simple partie de Scrabble. Et
pourtant. Tout le monde joue à Candy Crush. L'association
américaine de psychiatrie vient même de réclamer que ce maudit jeu soit reconnu
épidémie nationale et milite pour la mise en place d'une cellule d'aide à la
désintoxication. Mais, bon sang, qu'est-ce qui provoque une telle addiction ?
Les
exégètes de Candy Crush peuvent pérorer
des heures sur les centaines de niveaux accessibles, leur complexité
croissante, ou sur les subtilités mises en place par l'éditeur pour souffler
sur les braises de l'addiction : chaque joueur dispose par exemple de cinq vies
en début de partie. Pour chaque vie perdue, il faut attendre trente minutes
avant la résurrection. Or, comme chacun sait depuis que l'a clamé Corneille
dans Polyeucte : « Le désir s'accroît quand l'effet se recule. »
Dans Libération, la philosophe Beatriz Preciado
expliquait que le succès de Candy Crush
résidait justement dans ses défauts : « Le
caractère enfantin et inoffensif (pas de violence ni de sexe), l'éternel
recommencement (jusqu'à 410 niveaux) ainsi que l'absence de contenus culturels
spécifiques pouvant susciter adhésion ou rejet. Chasteté, idiotie et gratuité
sont les conditions de possibilité de la globalisation de la dépendance [sic].
» Pourtant, ce casse-brique du XXIe
siècle n'est que le dernier avatar d'une longue chaîne de « solitaires » plus
ou moins débiles et toujours addictifs : Angry
Birds, Ruzzle, Temple Run, Pet Rescue
Saga ou Clash of clans, on en
passe.
Et si,
malgré les apparences, ce n'était pas à Candy
Crush que les joueurs étaient accros ? Finalement, ce jeu prendra le
même chemin que ses prédécesseurs. On s'en lassera. On rira de s'être un temps
perdu dans ses labyrinthes de bonbons et un autre jeu tout aussi stupide
viendra hanter nos heures perdues. Mais si la vraie addiction tenait dans nos
poches ? Ce smartphone qui nous relie au monde nous permet aussi de nous en
extraire. Déconnexion immédiate, totale et temporaire, plongée dans le liquide
amniotique d'un jeu idiot. Pendant qu'on joue à Candy
Crush, on n'ouvre pas ses mails, on ne « like » rien sur Facebook, on ne
découvre pas les dernières nouvelles sur Twitter ou sur les sites d'info. On
joue. Une forme d'abrutissement doux et volontaire pour en éviter un autre,
social et violent.
Source telerama.fr
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