Louez un ami !
S’offrir la compagnie d’une femme était jusqu’à
présent une pratique courante chez les hommes mûrs. Désormais, des clients plus
jeunes y ont recours – et même des femmes.
Le
8 septembre, dans la joie générale suscitée par la sélection de Tokyo
comme ville hôte des Jeux olympiques de 2020, un homme prend le volant pour se
rendre à Tokyo.
Une fois
par mois, ce célibataire de 35 ans qui vit dans le nord de la capitale
s’offre ce petit plaisir. L’heure et le lieu du rendez-vous sont toujours les
mêmes : 11 heures devant une boutique de vêtements du quartier
branché de Harajuku. Une jeune femme l’attend et tous deux prennent la
direction d’Akihabara, la Mecque de l’électronique. Sachant qu’il est amateur
de catch, elle lui a déniché un magasin où ils regardent ensemble des masques
de professionnels et des tee-shirts. Alors qu’il n’ose même pas l’appeler par
son prénom, il lui confie très vite ses soucis personnels : “Maman a été
hospitalisée.” “Ah bon ? Vous devez être inquiet !” lui répond-elle.
Au
déjeuner, ils mangent un riz au curry puis, après avoir fait du lèche-vitrines,
ils se rendent dans un musée. Quand ils en sortent, il pleut à torrents et,
pour que la jeune femme ne soit pas trempée, le jeune homme l’abrite sous son
parapluie. A 19 heures, il sort de son portefeuille 31 000 yens
[environ 235 euros], les tend à la femme et prend le chemin du retour
seul.
Cette
jeune femme est ce qu’on appelle une “amie de location”. Elle travaille pour
Client Partners, une société basée à Tokyo qui propose la compagnie de femmes
pour toutes sortes d’occasions. C’est au printemps 2012 que le jeune homme a
contacté l’agence pour la première fois. L’année précédente, sa petite amie lui
avait annoncé sa décision de rompre. Ne pouvant renoncer à elle, il n’avait
cessé de l’appeler et s’était rendu plusieurs fois chez elle. Ayant reçu un
avertissement de la police, il savait que, s’il continuait, il risquait de
finir au commissariat. C’est dans cette période difficile de sa vie qu’il a
appris l’existence de Client Partners à la télévision.
“Les
choses ont changé à partir du moment où j’ai commencé à faire appel à ses
services, se souvient-il. J’ai découvert le billard et les fléchettes ;
mon ‘amie’ et moi sommes même allés au parc pour nous lancer des balles de
baseball [activité couramment pratiquée entre père et fils au Japon]. Et j’ai
de moins en moins pensé à mon ex.” En semaine, il se lève à 6 h 30 du
matin et passe sa journée à l’usine, à travailler sur une machine. Vers
20 heures, il rentre chez lui et se couche. Il se décrit comme “pas très
sociable”. Avec Client Partners, cette vie routinière a commencé à changer.
Lors d’un récent séjour à Yokohama, il a passé onze heures avec son
“amie”, une sortie qui lui a coûté plus de 40 000 yens [300 euros].
Au départ, l’idée de payer de telles sommes juste pour avoir une femme à ses
côtés le dérangeait. “Mais en sortant avec elle et en lui parlant de mes
problèmes, j’ai pu penser à autre chose qu’à mes mauvais souvenirs. Et je me
suis dit que ce n’était pas si mal”, raconte-t-il. Ses collègues au travail
l’ont même félicité, remarquant qu’il avait retrouvé son calme.
- Une vie bien remplie
Un autre
Tokyoïte d’une soixantaine d’années a recours à ce service de location. Après
la mort de sa femme, il a commencé à perdre goût à la vie et il passait ses
journées enfermé chez lui. En avril 2012, il s’est rendu à Enoshima, une
île touristique située au sud de la capitale, en compagnie d’une femme d’une
trentaine d’années. Depuis, il la voit deux fois par mois pour aller au cinéma
ou dans un club de jazz. Il demande toujours la même personne, et c’est elle
qui a choisi le chapeau, la chemise et le pantalon qu’il porte, le tout dans un
magasin branché pour jeunes. Ces derniers temps, il s’est également mis à la
marche à pied avec ses vieux copains. Son agenda est de plus en plus
chargé : “Je suis content d’avoir une vie bien remplie. Il ne me viendrait
pas à l’idée d’aller seul dans un quartier de jeunes, mais comme je sais que
j’ai rendez-vous avec quelqu’un, cela ne me gêne pas”, confie-t-il.
- Etre libre de parler
Ces
derniers temps, les hommes ne sont plus les seuls à “louer” des amies. C’est
notamment le cas d’une jeune fille de 21 ans qui, jusqu’en janvier
dernier, vivait aux Etats-Unis, où son père travaillait. A son retour au Japon,
elle a commencé à travailler en tant que vendeuse dans une boutique de
vêtements. Après le boulot, elle se rend dans des clubs ou des bars avec des
copines, et elle a même un petit ami. Mais le fait de ne pas pouvoir exprimer
le fond de sa pensée la contrarie. Aux Etats-Unis, une fois qu’elle avait noué
une relation avec quelqu’un, elle se sentait libre de parler de ce qu’elle
voulait, alors qu’au Japon elle doit faire preuve de plus de retenue. Elle doit
systématiquement appliquer les formules de politesse avec ses aînés [conformément
à la coutume confucianiste japonaise].
Et quand
elle dit qu’elle a vécu aux Etats-Unis, elle a l’impression qu’on la regarde de
travers, comme si on lui reprochait de frimer. Après avoir découvert
l’existence de Client Partners, elle a demandé à rencontrer quelqu’un de son
âge. En avril, elle est allée contempler les cerisiers en fleurs avec sa
nouvelle “amie”, et ce jour-là, elle s’est levée très tôt pour préparer un
kyaraben [association du mot kyara, formé sur l’anglais character,
“personnage”, et de bentô, la “gamelle”. Le kyaraben est une composition
multicolore et ludique, si bien garnie qu’on la croirait tout droit sortie d’un
livre de recettes]. En parlant des problèmes qu’elle a au travail et avec son
petit ami, le temps s’est écoulé très vite. “Je n’ai pas eu l’impression de
gaspiller de l’argent, car j’ai pu être moi-même”, dit-elle. Bien entendu, ni
son petit ami ni ses copines ne savent qu’elle recourt à ce genre de service.
Dessin de No-rÍo, Japon.
Source Courrier International
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