jeudi 21 novembre 2013

Billets-Louez un ami !


Louez un ami !

S’offrir la compagnie d’une femme était jusqu’à présent une pratique courante chez les hommes mûrs. Désormais, des clients plus jeunes y ont recours – et même des femmes.
 
Le 8 septembre, dans la joie générale suscitée par la sélection de Tokyo comme ville hôte des Jeux olympiques de 2020, un homme prend le volant pour se rendre à Tokyo.

Une fois par mois, ce célibataire de 35 ans qui vit dans le nord de la capitale s’offre ce petit plaisir. L’heure et le lieu du rendez-vous sont toujours les mêmes : 11 heures devant une boutique de vêtements du quartier branché de Harajuku. Une jeune femme l’attend et tous deux prennent la direction d’Akihabara, la Mecque de l’électronique. Sachant qu’il est amateur de catch, elle lui a déniché un magasin où ils regardent ensemble des masques de professionnels et des tee-shirts. Alors qu’il n’ose même pas l’appeler par son prénom, il lui confie très vite ses soucis personnels : “Maman a été hospitalisée.” “Ah bon ? Vous devez être inquiet !” lui répond-elle.

Au déjeuner, ils mangent un riz au curry puis, après avoir fait du lèche-vitrines, ils se rendent dans un musée. Quand ils en sortent, il pleut à torrents et, pour que la jeune femme ne soit pas trempée, le jeune homme l’abrite sous son parapluie. A 19 heures, il sort de son portefeuille 31 000 yens [environ 235 euros], les tend à la femme et prend le chemin du retour seul.

Cette jeune femme est ce qu’on appelle une “amie de location”. Elle travaille pour Client Partners, une société basée à Tokyo qui propose la compagnie de femmes pour toutes sortes d’occasions. C’est au printemps 2012 que le jeune homme a contacté l’agence pour la première fois. L’année précédente, sa petite amie lui avait annoncé sa décision de rompre. Ne pouvant renoncer à elle, il n’avait cessé de l’appeler et s’était rendu plusieurs fois chez elle. Ayant reçu un avertissement de la police, il savait que, s’il continuait, il risquait de finir au commissariat. C’est dans cette période difficile de sa vie qu’il a appris l’existence de Client Partners à la télévision.

“Les choses ont changé à partir du moment où j’ai commencé à faire appel à ses services, se souvient-il. J’ai découvert le billard et les fléchettes ; mon ‘amie’ et moi sommes même allés au parc pour nous lancer des balles de baseball [activité couramment pratiquée entre père et fils au Japon]. Et j’ai de moins en moins pensé à mon ex.” En semaine, il se lève à 6 h 30 du matin et passe sa journée à l’usine, à travailler sur une machine. Vers 20 heures, il rentre chez lui et se couche. Il se décrit comme “pas très sociable”. Avec Client Partners, cette vie routinière a commencé à changer. Lors d’un récent séjour à Yokohama, il a passé onze heures avec son “amie”, une sortie qui lui a coûté plus de 40 000 yens [300 euros]. Au départ, l’idée de payer de telles sommes juste pour avoir une femme à ses côtés le dérangeait. “Mais en sortant avec elle et en lui parlant de mes problèmes, j’ai pu penser à autre chose qu’à mes mauvais souvenirs. Et je me suis dit que ce n’était pas si mal”, raconte-t-il. Ses collègues au travail l’ont même félicité, remarquant qu’il avait retrouvé son calme.

  • Une vie bien remplie
Un autre Tokyoïte d’une soixantaine d’années a recours à ce service de location. Après la mort de sa femme, il a commencé à perdre goût à la vie et il passait ses journées enfermé chez lui. En avril 2012, il s’est rendu à Enoshima, une île touristique située au sud de la capitale, en compagnie d’une femme d’une trentaine d’années. Depuis, il la voit deux fois par mois pour aller au cinéma ou dans un club de jazz. Il demande toujours la même personne, et c’est elle qui a choisi le chapeau, la chemise et le pantalon qu’il porte, le tout dans un magasin branché pour jeunes. Ces derniers temps, il s’est également mis à la marche à pied avec ses vieux copains. Son agenda est de plus en plus chargé : “Je suis content d’avoir une vie bien remplie. Il ne me viendrait pas à l’idée d’aller seul dans un quartier de jeunes, mais comme je sais que j’ai rendez-vous avec quelqu’un, cela ne me gêne pas”, confie-t-il.

  • Etre libre de parler
Ces derniers temps, les hommes ne sont plus les seuls à “louer” des amies. C’est notamment le cas d’une jeune fille de 21 ans qui, jusqu’en janvier dernier, vivait aux Etats-Unis, où son père travaillait. A son retour au Japon, elle a commencé à travailler en tant que vendeuse dans une boutique de vêtements. Après le boulot, elle se rend dans des clubs ou des bars avec des copines, et elle a même un petit ami. Mais le fait de ne pas pouvoir exprimer le fond de sa pensée la contrarie. Aux Etats-Unis, une fois qu’elle avait noué une relation avec quelqu’un, elle se sentait libre de parler de ce qu’elle voulait, alors qu’au Japon elle doit faire preuve de plus de retenue. Elle doit systématiquement appliquer les formules de politesse avec ses aînés [conformément à la coutume confucianiste japonaise].

Et quand elle dit qu’elle a vécu aux Etats-Unis, elle a l’impression qu’on la regarde de travers, comme si on lui reprochait de frimer. Après avoir découvert l’existence de Client Partners, elle a demandé à rencontrer quelqu’un de son âge. En avril, elle est allée contempler les cerisiers en fleurs avec sa nouvelle “amie”, et ce jour-là, elle s’est levée très tôt pour préparer un kyaraben [association du mot kyara, formé sur l’anglais character, “personnage”, et de bentô, la “gamelle”. Le kyaraben est une composition multicolore et ludique, si bien garnie qu’on la croirait tout droit sortie d’un livre de recettes]. En parlant des problèmes qu’elle a au travail et avec son petit ami, le temps s’est écoulé très vite. “Je n’ai pas eu l’impression de gaspiller de l’argent, car j’ai pu être moi-même”, dit-elle. Bien entendu, ni son petit ami ni ses copines ne savent qu’elle recourt à ce genre de service.

 Dessin de No-rÍo, Japon.
Source Courrier International

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