Abolir l’esclavage de la prostitution
Au moment où paraît en France un manifeste pour
“aller aux putes” sans entraves, la journaliste et militante féministe Alice
Schwarzer mobilise 90 personnalités et part en campagne pour l’abolition
de la prostitution.
La prostitution, “le
plus vieux métier du monde” ? “Un métier comme les autres” ? La
prostitution n’étant pas vouée à disparaître, c’est une utopie de vouloir la
supprimer ?
C’est faux. Il n’y a
pas si longtemps, l’abolition de l’esclavage aussi paraissait utopique. Et même
si l’esclavage n’a pas entièrement disparu de ce monde, il serait aujourd’hui
impensable pour un Etat démocratique, éclairé, de le tolérer, voire de le laisser
s’étendre. Or c’est précisément ce que fait l’Allemagne avec la
prostitution : elle tolère, elle soutient même cette forme d’esclavage
moderne (ce white slavery – “esclavage
blanc”). La réforme de la loi sur la prostitution de 2002, censée servir
les 700 000 femmes (estimation moyenne) qui travaillent dans cette
branche, porte la griffe des trafiquants de femmes et de leurs lobbyistes.
Depuis, l’Allemagne
est devenue la plaque tournante du trafic de femmes en Europe et le paradis des
touristes du sexe venant des pays voisins. Voilà l’exception allemande. Même
les Pays-Bas font marche arrière. Les pays scandinaves, eux, interdisent et sanctionnent
depuis des années déjà le fait d’avoir recours à une prostituée. La France et
l’Irlande sont sur le point de leur emboîter le pas. Aujourd’hui, à l’échelle
mondiale, le trafic de femmes et la prostitution, indissociables l’un de
l’autre, sont le secteur, avec le trafic d’armes et le trafic de drogue, dont
les taux de profit sont les plus élevés (plus de 1 000 %). Or ces
profits ne vont pas aux femmes. Même la minorité de prostituées d’origine
allemande, souvent victimes dès l’enfance de violences sexuelles, vivent à plus
de 90 % dans la pauvreté lorsqu’elles atteignent la vieillesse. Le cas des
étrangères qui se prostituent sous la contrainte ou pour échapper à la misère
est pire encore.
Le système de la
prostitution est à la fois une exploitation et une perpétuation de l’inégalité
traditionnelle entre les hommes et les femmes (comme entre les pays et les
continents). Ce système rabaisse les femmes, qui ne sont plus que sexes vénaux,
et nuit à l’égalité entre les sexes. Il injecte une brutalité dans le désir et
affecte la dignité humaine des hommes comme des femmes – y compris celles
qui ont “choisi librement” la prostitution.
C’est pourquoi nous
exigeons des responsables politiques et de la société : – une modification
de la législation qui mette un terme le plus rapidement possible à la
libéralisation du commerce des femmes et de la prostitution, et qui protège les
femmes ainsi que la minorité des hommes prostitués ;
– des mesures de
prévention en Allemagne et dans les pays d’origine des prostituées, ainsi que
des moyens pour aider les femmes à sortir de la prostitution. Des mesures de
protection pour celles qui témoignent afin de les prémunir contre les
expulsions et de leur garantir le droit de séjour ;
– l’information la
plus large, dès l’école, sur les conséquences auxquelles s’exposent ceux qui
achètent des femmes ;
– la proscription et,
si nécessaire, la condamnation des clients, c’est-à-dire des personnes qui
achètent des femmes, sans qui ce trafic humain n’existerait pas ; –
des mesures qui mènent à court terme à l’endiguement et à long terme à l’abolition
du système de la prostitution.
Oui, on peut imaginer
une vie dans la dignité.
Dessin d’Ares, Cuba.
Source Courrier International
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire