« La solidarité ne peut exister que dans de
véritables communautés ; la planète uniformisée et atomisée que Jacques
Attali appelle de ses vœux serait un enfer dans lequel la cupidité anonyme
règnerait sans limites. »
Après « Le Renversement du monde »,
Hervé Juvin publie un nouveau livre majeur : « La Grande
Séparation ». Il y analyse le recul de la mondialisation, le retour des
frontières, la montée des affirmations identitaires. Un essai brillant et
documenté et pourtant aussi plaisant à lire qu’un roman.
Hervé Juvin vient de
publier le troisième ouvrage d’une trilogie dont les deux premiers étaient
intitulés L’Avènement du corps et Produire le monde ; cet ouvrage est
intitulé La Grande Séparation et est une
ode à la diversité du monde naturel en général et humain en particulier. Cet
ouvrage est particulièrement bienvenu à un moment où les sociétés occidentales
tendent à détruire le premier et à unifier le second.
Comment peut-on être de Guémené (*) en 2013 ?
C’est sur cette
interrogation, qui peut surprendre, que s’ouvre ce livre dérangeant et
important. En effet, comment peut-on se réclamer d’un terroir et d’une tribu en
ces temps de nomadisme ? Comment peut-on préférer, parmi tous les terroirs
magnifiques que compte notre planète, l’un d’entre eux en particulier et
comment peut-on avoir besoin de cultiver des liens privilégiés avec les
indigènes de ce terroir en ces temps d’individualisme obligatoire ?
Contrairement à ce que disent en boucle les chantres de la mondialisation
heureuse, l’enracinement dans une communauté n’est pas haine de l’autre mais il
établit une distinction qui seule est à même de permettre la solidarité ;
car, comme l’a bien compris le philosophe Jean-Claude Michéa, la solidarité ne
peut exister que dans de véritables communautés ; la planète uniformisée
et atomisée que Jacques Attali appelle de ses vœux serait un enfer dans lequel
la cupidité anonyme règnerait sans limites.
Il est évident que la
division de l’humanité en communautés dotées de leurs propres cultures et de
leurs propres intérêts est susceptible de générer des conflits mais, comme l’a
écrit Claude Lévi-Strauss, c’est le prix à payer pour maintenir la diversité
humaine. Par ailleurs, l’argument des mondialistes qui affirme que la paix
éternelle et universelle impose la création d’un Etat mondial ne vaut rien
parce qu’un tel Etat supprimerait sans doute les guerres inter-étatiques mais
non les guerres civiles, lesquelles sont les plus dures. En fait, l’unification
mondialiste ne peut venir à bout du conflit, lequel est au cœur de notre
nature. La suppression des frontières étatiques ne marque pas la fin des
conflits de nature économique, sociale, religieuse ou ethnique et, quand les
Etats historiques disparaissent, de nouvelles tribus se forment, en général sur
des bases ethniques ou religieuses. L’organisation du monde sur la base d’Etats
souverains telle que nous l’avons connue au cours des derniers siècles a permis
une diminution importante de la mortalité guerrière par rapport aux périodes
antérieures, comme l’a montré Jean Guilaine dans son livre intitulé Sur le sentier de la guerre.
Le Même et l’Autre
Une des
caractéristiques principales de la civilisation occidentale réside dans son
refus de l’Autre, dans sa volonté d’imposer la Mêmeté ; mais cette
obsession de l’uniformisation est une autre forme du racisme, un racisme qui
nie l’Autre et qui lui impose de se fondre dans le Même.
Le livre d’Hervé Juvin
est un plaidoyer en faveur de l’Autre, de tous les Autres, un plaidoyer en
faveur de la différence et de la pluralité. Ce livre, qui est consacré à la
problématique essentielle du XXIe siècle, universalisme versus pluralité, est une vraie bouffée d’air frais et le signe
d’un changement qu’il décrit. L’humanité a goûté au cosmopolitisme pendant
quelques décennies et en a déjà fait le tour ; elle a constaté tout ce que
cette idéologie avait de pervers. Hervé Juvin lève le voile sur ses fondements
véritables qui sont tout sauf désintéressés : « La proclamation d’une
ère post-nationale, les agressions organisées contre les nations européennes et
les peuples du monde ont le même objectif : assurer à la révolution
capitaliste la maîtrise d’un monde unique et d’une société planétaire
d’individus à disposition. »
La grande séparation
Il y a deux façons
d’envisager la grande séparation : celle des oligarques mondialistes, qui
séparent les hommes verticalement – dirigeants de l’ordre libéral mondialisé
d’une part, exécutants de l’autre, eux-mêmes séparés en sous-catégories plus ou
moins éloignées de la caste dirigeante ; et il y a celle des partisans
d’une anthropologie pluraliste, qui sépare horizontalement l’humanité en
communautés « organiques ». La deuxième façon de séparer, qui est
celle que promeut Hervé Juvin et qui participe de ce qu’on peut appeler la
cause des peuples (il écrit : « Il faut inverser radicalement la
proposition des droits de l’homme : les droits des peuples d’abord, comme
la conférence d’Alger les avait affirmés en 1974, les droits de l’individu
ensuite »), présente deux avantages : elle permet la pratique d’une
vraie solidarité et la satisfaction de notre besoin d’identité. Quant à la
première, elle permet de satisfaire l’égo de certains mais elle mène à l’anomie
car, comme l’écrit Hervé Juvin : « L’anomie qui guette nos sociétés
en voie de décomposition ethnique, morale et sociale rapide n’est pas un
dommage collatéral de l’avènement de l’individu, du constructivisme juridique
et de la primauté de l’économie. Elle en est une composante essentielle ».
Elle mène aussi, du fait de l’affaissement des solidarités, à l’injustice et à
la montée des inégalités, comme nous le constatons depuis trente ans.
Ces deux modes de
séparation sont présents simultanément : d’un côté, les firmes
transnationales sont de plus en plus puissantes, les organisations
néo-libérales (OMC, FMI, Banque mondiale) et les oligarchies régionales qui
leur sont liées continuent d’appliquer leur programme visant à l’éradication
des Etats historiques, tout particulièrement en Europe où l’organisation de
Bruxelles continue sa marche frénétique vers l’atomisation des peuples ;
d’un autre côté, on constate une augmentation permanente du nombre des Etats et
des résurgences de plus en plus fréquentes d’identités ethniques ou
religieuses. Il y a aussi une renaissance des patriotismes traditionnels ;
ainsi en Europe, le choc de la mondialisation imposée par Bruxelles a provoqué
la naissance de révoltes patriotiques et anti-européistes qu’on ne croyait plus
possibles depuis 1968.
Source polemia.com
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire