Plus réfractaires que les
Gaulois, leurs élites bureaucratiques
Les « Gaulois » sont sans
doute réfractaires au changement. Mais leur classe bureaucratique, dont Macron
est le chef de tribu, n’est sans doute pas la mieux placée pour en parler…
Emmanuel Macron en voyage au Danemark s’est encore pris les pieds
dans son humour glacé et sophistiqué. Devant la reine Margrethe II, il s’est
amusé à comparer les Danois « peuple luthérien », aux Français, des
« Gaulois réfractaires aux changement ».
Il n’en
fallait pas plus pour susciter les cris d’effroi et les marques d’indignation
dans les médias et sur les réseaux sociaux du pays d’Astérix. Comment le
président de la République osait-il insulter son propre peuple à l’étranger
pour des maux bien entendus imaginaires ? Force est de constater qu’il n’a pas
complètement tort, même s’il ne semble pas avoir bien compris que lui-même
faisait plus partie du problème que de la solution.
LES FRANÇAIS N’AIMENT PAS LE CHANGEMENT
Que les
« Gaulois » n’aiment pas le changement, ce n’est pas vraiment une
nouveauté. Réformer le pays est une tâche difficile, et les Français semblent
épuiser les réformateurs avant même que les réformes se mettent en place. Le
lamento politique est connu, ancien, et assez partagé par l’ensemble de la
classe politique. Et il n’est pas dénué de fondement. Peut-être faut-il voir
ici la trace d’une conception proprement française de la liberté, héritée de
l’Ancien régime et qui se perpétue aujourd’hui sous la forme de notre État
social et corporatiste contemporain.
Pour Philippe d’Iribarne, l’une des sources de « l’étrangeté
française » au sein du monde contemporain repose sur sa définition de la
liberté sociale et politique comme statut : le statut permet de
s’affranchir d’un marché concurrentiel perçu comme inhumain, dégradant et
surtout soumis aux aléas de l’offre, de la demande ou des acteurs politiques et
économiques plus puissants.
Chaque catégorie de Français est attachée à son statut et
à ses privilèges afférents, et toute réforme, même minime, est vécue comme un
abaissement ou une dégradation. Qu’on pense aux changements minimes du code
du travail, aux réactions face à
l’inexistante réforme de la SNCFou
encore aux changements cosmétiques de l’Éducation nationale, la réaction est la même : l’ultralibéralisme
anglo-saxon a encore frappé et menace de nous transformer en enfer sur terre.
Du coup,
le pouvoir politique s’est adapté : pour se faire élire, il tend à
protéger ces privilèges, à les monnayer ou même à les créer. Cela dure depuis
des siècles, en dépit d’une courte période d’interruption au moment de la
Révolution française.
Les
retraités votent Macron pour changer le pays ? Oui, mais dès que celui-ci
demande de participer au grand changement social-démocrate, ils renâclent. Le
nouveau monde, d’accord, mais ce sont les autres qui doivent payer, et les
corporatismes doivent être préservés.
RÉVOLUTIONNAIRES EN PAROLES, CONSERVATEURS EN ACTE
Cet
attachement si français au statut se double d’une passion pour la révolution,
la rupture et la réforme — bien souvent au nom de l’égalité —, au moins en
paroles. La France est ce pays où les révolutionnaires rêvent de devenir
fonctionnaires à vie, comme Jean-Luc Mélenchon, où la rhétorique anti-système
est une confortable rente de situation pour les populistes d’extrême-droite, et
où les grandes réformes annoncées lors des campagnes électorales se terminent
la plupart du temps en ajustement techniques produits par les mêmes
fonctionnaires depuis des décennies.
DES PEUPLES DE GAULE, LES BUREAUCRATES FRANÇAIS SONT
LES PLUS CONSERVATEURS
Quand Macron se moque gentiment des Français, il semble
oublier qu’il est lui-même le représentant du groupe d’intérêt le plus attaché
à son statut et le plus épargné par le changement qu’il professe à longueur de
journée, les hauts fonctionnaires. Issu des grandes écoles, ENA en tête, ils
constituent une caste d’intouchables qui
ne semble pas souffrir des aléas du marché, qu’ils soient politiques ou
économiques. L’élite de la bureaucratie en France est la profession protégée
par statut au-dessus des statuts particuliers, la classe privilégiée par
excellence chargée de gérer les privilèges de chacun. En toute discrétion.
Agnès Saal dont on vient d’apprendre la promotion illustre la
prise de risque limitée de ses membres en cas de manquement. Ceux-ci sont sans
doute mineurs comparés à d’autres, mais témoignent d’une même culture de l’impunité au
sommet, de casage et de recasage dont profitent largement les politiques qui
ont réseauté pendant leur scolarité au sein de l’ENA.
Comme l’a remarqué Philippe Silberzahn, il est difficile
de changer de modèle mental, et c’est
ce qui peut nous perdre. Celui, bureaucratique, qui s’envisage depuis de Gaulle
comme l’organisateur et le moteur du changement social, est tout à fait capable
de diagnostiquer les manquements de la société civile, mais reste bien souvent
aveugle à ses propres limites. Les « Gaulois » sont sans doute
réfractaires au changement. Mais leur classe bureaucratique, dont Macron est le
porte-parole, n’est sans doute pas la mieux placée pour en parler…
Source contrepoints.org
Par Frédéric Mas.
Frédéric Mas est secrétaire de rédaction de
Contrepoints.org. Après des études de droit et de sciences politiques, il a
obtenu un doctorat en philosophie politique (Sorbonne-Universités). Il
s'intéresse en particulier à la politique internationale, aux théories
économiques contemporaines et à la vie des idées.
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