Le contrôle du langage
La nouvelle est tombée sur BFM : dans certains
collèges et lycées, le « tchip », ce petit bruit de succion qui rendrait fou
des professeurs, est maintenant réglementé.
Là où le bât blesse, c’est que ce fameux tchip,
« concentré de dédain », a été rendu populaire par nulle autre que Madame
Taubira. Elle l’avait en effet utilisé pour qualifier ses détracteurs, le
rendant populaire au point de devenir habituellement utilisé par les
adolescents
Je ne m’attarde pas
sur l’incongruité d’interdire à certains l’usage d’une onomatopée permise à
d’autres sans donner le sentiment d’une liberté d’expression à géométrie
variable. En effet, chaque langue forge d’une façon particulière la vision du
monde de ceux qui l’utilisent. On voit ce que l’on dit. Je prends l’exemple de
l’anglais qui différencie le sheep (dans le pré) du mutton (dans l’assiette).
Nommer est une
décision humaine intelligente, la première étape de la pensée scientifique et
de la pensée tout court. Nommer, c’est distinguer, classer, mettre en ordre le
monde, le comprendre et le modifier. C’est, plus simplement, prendre le
pouvoir. Il s’agit donc d’une arme redoutable qui peut servir à libérer,
magnifier ou à l’inverse, réduire en esclavage, insulter, lancer des
propagandes, exclure.
Le contrôle du langage
est donc important pour nos dirigeants qui sont censés avoir conscience de
l’impact des mots. D’ailleurs, mus par une éthique souvent contestable, ils
usent et abusent constamment de cette arme dans les promesses qu’ils nous font,
les injonctions dont ils nous menacent, les pseudo-vérités qu’ils nous
assènent, les visions délirantes de la société dont ils veulent nous
convaincre.
Il n’est pas innocent
dans ce contexte de remplacer un mot par un autre véhiculant une vision
différente. Ainsi la « secrétaire » devient « assistante », une « femme de
ménage » une « technicienne de surface », un « instituteur » se transforme en «
professeur des écoles ». La réforme des programmes scolaires et son lot de
remplacements ridicules comme substituer « nager » par « se déplacer de
manière autonome dans un milieu aquatique profond » en est également une
illustration édifiante.
La tentative des
gouvernants de contrôler le peuple en contrôlant le langage n’est pas nouvelle
: si les Serments de Strasbourg en 842 sont considérés comme le plus ancien
document écrit en français, la France jusqu’au 17ème siècle était multilingue
(langue vulgaire et latin), ce qui posait problème notamment dans l’assise du
pouvoir administratif et judiciaire. Il était indispensable d’unifier la nation
autour d’une langue.
C’est ainsi que
l’ordonnance de Villers-Cotterêts a permis d’entamer ce processus :
Article 110 : afin qu’il n’y
ait cause de douter sur l’intelligence des arrêts de justice, nous voulons et
ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement, qu’il n’y ait, ni puisse
avoir, aucune ambiguïté ou incertitude, ni lieu à demander interprétation.
Article 111 : et pour que de
telles choses sont souvent advenues sur l’intelligence des mots latins contenus
dans lesdits arrêts, nous voulons dorénavant que tous arrêts, ensemble toutes
autres procédures, soit de nos cours souveraines et autres subalternes et
inférieures, soit de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences,
testaments, et autres quelconques actes et exploits de justice, soient
prononcés, enregistrés et délivrés aux parties, en langage maternel français et
non autrement.
Richelieu a créé en
1635 l’Académie française afin, selon les termes de Marc Fumaroli, de « donner à l’unité du royaume forgé par la politique
une langue et un style qui la symbolisent et la cimentent ». Ainsi,
l’article 24 des statuts précise que « la
principale fonction de l’Académie sera de travailler avec tout le soin et toute
la diligence possibles à donner des règles certaines à notre langue et à la
rendre pure, éloquente et capable de traiter les arts et les sciences ».
La révolution
française a accolé l’idée de nation à la langue pour amener un sentiment
d’identité nationale, confirmant le processus qui a été encore accentué par
Jules Ferry (l’école obligatoire) et le concept de laïcité.
Il est par contre
notable de constater que le pouvoir politique a laissé à une institution
indépendante, pendant des siècles le soin d’enregistrer, d’établir et de régler
l’usage du français. Depuis les années 1970 cependant, le gouvernement, toutes
tendances politiques confondues, essaie régulièrement d’étendre son pouvoir en
régulant la langue française.
Sous Pompidou (Pierre
Messmer Premier ministre), a décidé de lutter contre l’invasion ou la
prédominance anglaise. À partir de 1972, des commissions ministérielles de
terminologie et de néologie sont constituées pour désigner, au besoin créer,
des termes français pour éviter un mot étranger. Ces termes s’imposent alors à
l’administration. Ainsi baladeur remplace walkman par exemple.
Sous Valéry Giscard
d’Estaing (Chirac Premier ministre), en 1975, la loi dite « Bas-Lauriol » rend
l’emploi du français obligatoire dans l’audiovisuel, le commerce et dans le
monde du travail.
Toutes ces
dispositions n’empêchent pas l’anglais d’être LA langue. Au cours des
années 1990, la gauche décide de renforcer l’ensemble législatif.
Sous Mitterrand
(Bérégovoy Premier ministre), un nouvel alinéa est ajouté, le 25 juin 1992, à
l’article 2 de la Constitution : la langue de la République est le français.
La loi du 4 août 1994,
dite « loi Toubon » tente d’élargir les dispositions de la loi de 1975 relative
à la primauté des termes francophones face aux anglicismes. Elle reconnait le
droit de s’exprimer et de recevoir, et l’obligation de rédiger toutes les
informations en français. Il est intéressant de noter que le Conseil
constitutionnel l’a beaucoup allégée, estimant que l’article 11 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen interdisait à l’État de
déterminer le vocabulaire à utiliser par les médias ou les personnes privées
dans l’ensemble de leurs activités. La loi ne peut intervenir que pour les
personnes morales de droit public et les personnes de droit privé dans
l’exercice d’une mission de service public (article 5 de la loi).
Sous Chirac (Juppé
Premier ministre), le décret du 3 juillet 1996 met en place une nouvelle
commission générale de terminologie et de néologie. L’accord de l’Académie
française devient indispensable pour que les termes d’enrichissement «
recommandés » soient publiés avec leurs définitions au Journal Officiel. La
prédominance de fait de l’Académie se trouve ainsi confirmée par le droit.
La tentative de
féminisation des noms de métiers, fonctions, grades ou titres est une
illustration assez marquante de cette volonté de légiférer à tout va. Il a
en effet été décidé, dans les années 80, de lutter contre le sexisme dans la
société grâce aux mots.
Ainsi sera créée une «
commission de terminologie relative au vocabulaire concernant les activités des
femmes » pour que « la féminisation des noms de
professions et de titres vise à combler certaines lacunes de l’usage de la
langue française dans ce domaine et à apporter une légitimation des fonctions
sociales et des professions exercées par les femmes ».
L’Académie française,
non consultée, fait part de ses réserves et indique, arguments à l’appui, que
la féminisation risque d’aboutir à un résultat inverse et créer dans la langue
une discrimination entre les hommes et les femmes. Elle en profite pour contester
enfin le principe même d’une intervention gouvernementale sur l’usage, jugeant
qu’une telle démarche risque « de mettre la
confusion et le désordre dans un équilibre subtil né de l’usage, et qu’il
paraîtrait mieux avisé de laisser à l’usage le soin de modifier ».
Une circulaire du
Premier ministre Jacques Chirac recommandera, en 1986, de procéder malgré tout
à la féminisation, mais cette circulaire ne sera pas appliquée.
En 1997 (Présidence
Chirac- Gouvernement Jospin), certains ministres du gouvernement préconiseront
pour leur compte la forme féminisée « la ministre », ce qui provoquera une
nouvelle réaction des immortels.
Dans une circulaire du
6 mars 1998, le Premier ministre Lionel Jospin, constatant le peu d’effet du
texte de 1986, propose malgré tout d’imposer la féminisation « dès lors qu’il s’agit de termes dont le féminin est
par ailleurs d’usage courant ». Il charge alors une commission
générale de terminologie et de néologie de « faire
le point sur la question ». Le rapport de la commission en octobre 1998
rappelle qu’une intervention gouvernementale sur l’usage n’est pas recommandée
et ne sera pas suivie d’effet.
L’incident qui a eu
lieu à l’Assemblée nationale il y a peu de temps est assez symptomatique de
tout cela.
Tout est dit :
légiférer la langue de manière aussi directe est juste une perte de temps et
d’énergie. Pour influencer les esprits, il faut le faire plus subtilement, ce
dont ils ne se privent d’ailleurs pas.
Un exemple édifiant
est celui d’un morceau de tissu pouvant cristalliser des positions
racistes en fonction du nom qui lui est donné et de l’interprétation qui en est
faite.
Nous nous dirigeons
vers une sombre période. Je repense au livre de George Orwell, 1984, dans lequel était décrit le lien entre
le contrôle des mots, de leur définition et signification et le contrôle de la
pensée réelle du peuple. Il suffit d’observer l’évolution des définitions dans
le temps, qui finissent par perdre leur substance, et donner une autre
interprétation
Restons vigilants !
Nous nous attachons à défendre nos libertés, principalement la liberté
d’expression, face à un État qui ne pense qu’à les grignoter, au motif de faire
notre bien. Ne nous laissons pas prendre la première d’entre elle, qui est
celle de penser.
Source contrepoints.org
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