"La bulle Macron, un matraquage
publicitaire massif"
Pour le
politologue Thomas Guénolé, les médias ont "suscité artificiellement
l'intérêt" pour la candidature d'Emmanuel Macron, au risque de "piper
les dés de la démocratie".
Vous vous êtes attaché à mesurer
l'exposition médiatique dont a bénéficié Emmanuel Macron, et vous en concluez
qu'il a bénéficié d'une "bulle" médiatique en 2016. Comment
parvenez-vous à cette observation ?
Nous
avons pu mesurer la bulle grâce à un indicateur fiable : nous avons comparé des
données analysées via Talkwalker par Véronique Reille Soult, directrice
générale de Dentsu Consulting. Durant le printemps et l'été 2016, Emmanuel
Macron a recueilli 43% de part de voix dans les parutions des médias, contre
17% sur les réseaux sociaux, c'est-à-dire les contenus émis par les gens au
sujet du candidat.
L'écart
est si considérable qu'on peut raisonnablement qualifier cette situation de
gigantesque bulle médiatique. Ceci, pour "vendre" la marque Macron
par un effet bien connu des publicitaires : "l'effet de simple
exposition". En résumé, cet effet veut qu'en répétant encore, encore et
encore le même item à une population, toute une partie de cette population va
développer artificiellement un sentiment positif envers cet item. Bref, cette
bulle médiatique Macron, c'est du matraquage publicitaire massif. Je n'ai pas
le souvenir de cas aussi puissants récemment. Il faut remonter à plus de 10
ans, à l'époque de Nicolas Sarkozy ministre de l'Intérieur, pour retrouver un
tsunami comparable. Emmanuel Macron est une bulle de savon gonflée à l'hélium.
Comment l'expliquez-vous ?
Il
y a bien sûr des marottes dans le journalisme politique. Un nouveau Premier
ministre a ainsi presque toujours droit à une série d'articles positifs durant
les premiers mois qui suivent sa prise de fonction. Cela arrive aussi parfois
pour un simple ministre. Mais c'est sans commune mesure avec la bulle que
nous avons mesurée pour l'ex-ministre de l'Economie.
Il
y a trois hypothèses envisageables pour expliquer ce phénomène, et je n'ai pas
d'éléments suffisants pour trancher entre les trois. La question est : pourquoi
un média se met-il à vendre du Macron d'une manière aussi colossalement
disproportionnée ?
- La première hypothèse est celle de la préférence politique : le média '"roule" pour le candidat parce qu'il correspond à sa propre ligne éditoriale et politique. Cela donne donc, pour lui, des angles d'articles systématiquement favorables, des papiers qui retiennent généralement leurs coups, des critiques évidentes qu'on oublie de faire, etc. Ce choix est légitime, car un média n'a pas à être neutre. Et ce n'est pas un problème en soi. Ça devient un problème quand une grande proportion des médias se mettent à soutenir le même candidat par matraquage massif.
- La deuxième hypothèse, c'est l'effet mimétique. Les médias s'observent beaucoup les uns les autres et il y a un effet moutonnier. En l'occurrence, un magazine fait sa couverture sur Emmanuel Macron, puis les autres journaux suivent à leur tour.
- La troisième possibilité, c'est la volonté de l'actionnariat. Tel actionnaire veut vendre du Macron, comme autrefois tel autre actionnaire de grand média a voulu vendre du Sarkozy. C'est peut-être en raison de ses multiples positionnements extrêmement favorables aux intérêts des 0,1% les plus riches du pays. Emmanuel Macron est quelqu'un qui dit qu'un jeune devrait avoir envie de devenir millionnaire, qu'il faut supprimer l'ISF pour les grands investisseurs, et ainsi de suite. Ce qui ne manque pas de trouver un certain écho. Et, comme ministre, il a défendu une ligne très favorable aux grands groupes privés, c'est un fait.
Son exposition médiatique
n'est-elle pas due, plus simplement, au fait qu'Emmanuel Macron fait vendre des
journaux, qu'il fait de l'audience à la télé ? Bref, qu'il intéresse les
consommateurs de médias ?
Au
démarrage, la curiosité initiale des gens n'était pas suffisante. C'est le
matraquage médiatique massif qui, par "effet de simple exposition", a
suscité artificiellement l'intérêt des gens et abouti à ces niveaux d'audience.
Et puisque l'intérêt fabriqué ainsi est artificiel, cela revient à piper les
dés de la démocratie. C'est un danger. Il y a pourtant des pistes pour protéger
le pluralisme démocratique dans notre pays. Il faudrait engager une réflexion
sur les quotas.
Quelles pistes proposez-vous ?
Les
médias de l'audiovisuel sont aujourd'hui encadrés par une règle des quotas de
temps de parole directe des partis et des personnalités politiques. Nous
pourrions élargir ces quotas à la presse écrite, ce qui n'est pas le cas
aujourd'hui. Après tout, avoir sa ligne éditoriale est une chose ; refuser
d'interviewer tel ou tel candidat ou l'interviewer beaucoup moins, c'en est une
autre.
Autre proposition : dans l'audiovisuel, le CSA ne fait pas de contrôle
des temps d'expression des médias au sujet des candidats. Il faudrait élargir les quotas d'équité, non seulement
au temps de parole des candidats, mais aussi à l'expression des médias
eux-mêmes qui leur est consacrée. C'est techniquement possible, et c'est
probablement la seule façon d'éviter le problème du matraquage médiatique.
Une presse en liberté
conditionnelle ?
La
question n'est pas la liberté de la presse, puisque cette réforme des quotas ne
remettrait pas en cause la liberté de ligne éditoriale des médias. L'idée
serait seulement de leur imposer une répartition équitable du volume
d'articles, d'interviews, de vidéos, d'éditoriaux, qu'ils consacrent aux
différentes offres politiques. Car sinon, à cause de "l'effet de simple
exposition", un matraquage médiatique autour de tel candidat peut aboutir
à des déséquilibres colossaux dans les élections.
Le
cas extrême, c'est Donald Trump. Il a été hyper-médiatisé au début de la
campagne des primaires du Parti républicain : très au-delà du raisonnable,
très au-delà de ce que son caractère nouveau ou transgressif pouvait
objectivement justifier. In fine, "l'effet de simple exposition" qui
en a résulté a abouti à lui donner une énorme dynamique. Plusieurs médias
américains ont d'ailleurs engagé une réflexion sur leurs pratiques.
Les victoires de François Fillon
et de Benoît Hamon ne montrent-elles pas qu'un candidat peut gagner sans
matraquage médiatique, voire en étant sous-médiatisé ?
Non, car dans les deux cas, le candidat n'a fini par percer que quand
la campagne électorale audiovisuelle a arrêté de le sous-médiatiser. Pour
François Fillon, le décollage commence quand les trois débats lui donnent enfin
une exposition consistante après des mois de surexposition d'un duel
Juppé-Sarkozy annoncé comme inéluctable. Pour Benoît
Hamon, le décollage commence quand il est enfin l'invité
d'un format long, L'Emission politique, et la montée en puissance intervient pour lui aussi avec les trois
débats, après un duel Valls-Montebourg annoncé comme inéluctable.
Votre étude sur le matraquage
médiatique au bénéfice d'Emmanuel Macron porte sur 2016. Mais début 2017, la
bulle Macron continue-t-elle ?
La primaire de la gauche, puis les affaires de François
Fillon, ont créé une parenthèse en janvier-février. Nous
observons donc que les parts de voix d'Emmanuel Macron à la fois dans les
médias et sur les réseaux sociaux redescendent dans les deux cas, grosso modo,
autour de 20%.
J'attends toutefois la fin de février pour calculer si le matraquage
médiatique a repris, mais il semble que ce soit le cas si je regarde les
couvertures de plusieurs magazines ces toutes dernières semaines… Il faudrait
que des médias se calment
dans leur volonté obsessionnelle de nous vendre Emmanuel Macron :
autrement nous ne serions même plus dans le matraquage médiatique, mais dans le
gavage d'oie !
Qui plus est, c'est le matraquage d'une marque mais jusqu'à présent, il
n'y a pas grand-chose derrière. La consultation des fiches thématiques de son
site Internet montre que les propositions concrètes restent maigres.
A quelques semaines seulement du premier tour, on ne peut toujours pas
identifier le cap vers lequel Emmanuel
Macron veut nous emmener. Le candidat n'a exposé
clairement ni sa vision, ni ses valeurs, sans même parler de son programme –
même si le programme est beaucoup moins important pour les gens que la vision
et les valeurs. Je ne vois chez lui qu'un seul exemple de cap clair : son
positionnement en faveur d'une Europe fédérale. Mais c'est le cas d'à peu près
tout le monde en dehors de l'extrême droite et des altermondialistes :
bref, à ce jour le "macronisme" reste à l'état gazeux.
Source tempsreeel.nouvelobs.com
Photo Emmanuel Macron, le 2
décembre 2016 à Deauville lors du Women's Forum Global Meeting
(GOUHIER-WF/WOMEN'S FORUM/SIPA)
Par Thomas Guénolé.
Thomas Guénolé est politologue, enseignant à
Sciences Po Paris et à Paris II, auteur de "La Mondialisation malheureuse" (éditions First,
2016) et "Petit guide du mensonge en politique" (Fayard, 2017,
réédition).
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