Vote obligatoire = moralisme socialiste
Claude Bartolone a
remis son rapport intitulé « Libérer l’engagement des Français et refonder le
lien civique. La République par tous et pour tous » au chef de l’État. On sait
que le Président de l’Assemblée nationale ne fait pas partie de l’aile la plus
moderniste du Parti socialiste. Son rapport le confirme, à commencer par ses
propos introductifs très dirigés qui, citation de Bourdieu à l’appui,
critiquent l’« individualisme » et prône l’« égalité réelle » entre autres
perles.
Parmi ses
propositions, la mesure 4.7 entend « instaurer
le vote obligatoire pour tous les électeurs ». Claude Bartolone explique
que la citoyenneté n’est pas seulement un droit, «
c’est aussi un devoir » et que l’«
appartenance républicaine » se traduit par le vote.
Au-delà des visées
politiciennes qui ne tromperont personne et de l’invocation rituelle aux
valeurs de la République (à quand le camembert républicain ?) de la part de
ceux qui entendent politiser tout ce qui peut l’être, une telle proposition
témoigne du désarroi socialiste au troisième anniversaire de l’élection de
François Hollande.
Certes, le rapport ne
manque pas de rappeler que le vote obligatoire n’est pas inconnu en droit
constitutionnel français puisque les membres du collège électoral sénatorial
(mais eux seuls) y sont soumis. Certes, il ne manque pas de rappeler que
certains pays, européens ou autres, l’ont instauré, parfois il y a près ou plus
d’un siècle déjà, mais la Grèce socialiste s’en porte-t-elle mieux pour autant
?
À l’origine du vote
obligatoire se trouve l’idée, liée à la « souveraineté nationale », selon
laquelle l’électorat n’est pas un droit, mais une fonction. Or, la modernité
démocratique a fait du droit de suffrage un droit strictement individuel : si
j’ai le droit de voter, j’ai aussi le droit de ne pas le faire. Manifestement,
cette conception est insupportable aux yeux des socialistes, surtout lorsque
les citoyens, pour paraphraser l’expression amusée de Brecht, votent mal…
Avant tout, la
proposition du vote obligatoire témoigne de l’aveuglement d’un certain nombre
d’hommes politiques contemporains qui, au lieu d’agir sur les causes, entendent
traiter des conséquences d’un problème. En l’espèce, l’abstentionnisme, hormis
lors de l’élection présidentielle, est globalement croissant. Il s’explique,
par-delà la question technique de l’inscription sur les listes électorales, de
deux manières principales.
La première, sur
laquelle Claude Bartolone se concentre dans l’essentiel de son rapport, c’est
l’absence d’intégration « sociale » des électeurs potentiels ou leur faible
intégration. La seconde, qu’il néglige en fait, c’est le déséquilibre entre
l’offre et la demande électorales. Si les citoyens ne votent pas, la faute en
incombe à l’incompétence d’une grande partie de nos hommes politiques depuis
plus de quatre décennies. Claude Bartolone évince totalement la « rationalité »
de bien des électeurs : je ne vote pas car je n’y ai aucun intérêt. Pourquoi
perdre son temps à prendre connaissance des programmes indigents des partis
politiques ? Pourquoi perdre son temps à écouter des individus dont l’action
n’a pas prise sur la réalité ?
En politique, comme
dans la sphère économique, c’est l’offre qui crée la demande. Culpabiliser les
électeurs, faire du moralisme à la petite semaine, invoquer pompeusement les
valeurs de la République, ne changera rien à l’affaire.
Source contrepoints.org
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