Besoin de changer de régime ?
De nouvelles élections régionales et hivernales
bousculant le calendrier traditionnel approchent et cela doit nous amener
encore à évaluer notre démocratie et nous poser la question, dans quel régime
vivons-nous ?
Un régime politique figé dans un nouveau monde
Ayant l’impression de
vivre une époque charnière, en pleine destruction créatrice « schumpéterienne »
où des pans entiers de notre économie vont s’effacer tranquillement pour céder
la place à de nouvelles pratiques économiques, on se doit de réfléchir aux
possibles transformations de la vie politique qui n’échappera pas aux
impulsions données par la troisième grande révolution technologique. À chaque
révolution Industrielle on a vécu une mutation de la pratique de l’énergie et
une amélioration des moyens de transports et de communication influençant
nécessairement l’environnement économique, politique et social.
I. 1830 : Machine à
vapeur (énergie) – Chemin de fer (possibilités économiques accrues) – rotative
(circulation de l’information par l’écrit et développement de la presse) –
Régimes impériaux ou grandes monarchies
II. 1900 : Électricité
& pétrole (énergie décuplée, ère de grande consommation) – automobile
(transport individuel et liberté individuelle accrue) – téléphone (des
frontières s’effacent) – Avènement des républiques inclues dans de grandes
démocraties libérales
III. 2000 : Énergies
décarbonées (smartgrid) – Internet & NTIC (Révolution de l’information et
de la communication) – Ubiquité (on peut être ailleurs en étant chez soi) – ? ?
? dans quel régime allons/souhaitons nous vivre ?
Un régime politique, c’est quoi ?
Eh bien, pour les plus
pessimistes ce n’est ni plus ni moins que la façon dont vous allez être mangés
par vos gouvernants, et il faut avouer que parfois la rhétorique alimentaire
n’est pas qu’une vue de l’esprit quand on découvre le cynisme de certains élus
! Pour les légalistes cela représente la manière dont sont organisés et exercés
les pouvoirs au sein d’une entité politique donnée, sous sa forme la plus
institutionnelle. Enfin, pour certains, c’est une notion tout à fait abstraite
qui se résume au fait que notre régime, c’est le meilleur ! Puisqu’on nous le
dit depuis notre plus tendre enfance (note de l’auteur : cela vaut bien entendu
pour tous les lecteurs nés après 1945).
Le régime politique
d’un pays se définit par l’application de quatre grands domaines à savoir :
– l’autorité donnée
aux gouvernants versus les droits et les devoirs de chacun,
– le processus de
sélection ou de choix de nos dirigeants censés représenter le reste des
habitants,
– la structure interne
des gouvernants ou leur mode d’organisation,
– puis enfin les
moyens de contrôle et de limitation du pouvoir donnés à ceux qui tirent les
ficelles.
Partant de cela on a
tendance à classifier les régimes en allant du pire au meilleur, le pire étant
le régime totalitaire comme le nazisme, communisme soviétique et autres
fascismes, auquel fait suite une version édulcorée avec le régime autoritaire,
qu’on a beaucoup vu en Afrique et en Amérique du Sud, se caractérisant par un
gouvernement élu mais par des élections pipées et avec un seul parti. Enfin au
sommet de la pyramide, la Démocratie Libérale où le mot libéral signifie
liberté (liberté individuelle, droit des minorités), rien d’économique
la-dedans… La démocratie libérale étant constituée par la séparation bien
distincte des pouvoirs (législatif, exécutif et judiciaire) chère à Montesquieu et aux
Lumières à l’aide d’un système de gouvernance très rythmé et des élections
ouvertes dans un État de
droit dont la constitution ne change pas à chaque changement de
gouvernants.
Un peu de sémantique
Revenons à l’idéal
démocratique. Démocratie vient du grec démos,
le peuple, et kratos, le pouvoir. Le
peuple gouverne mais à notre stade d’évolution, il gouverne par des
représentants élus à qui il doit faire nécessairement confiance. En somme, le
peuple possède tous les pouvoirs par définition mais il les prête à des
représentants élus par lui.
Qu’est-ce que la
République dans tout ça ? Le terme de République vient de res publica, qui veut dire « le bien public »
ou « la chose publique ». Et cette chose publique nous appartient à tous, à
charge pour nous d’organiser les affaires de la cité, de notre pays, dans un
système organisé. Certaines monarchies sont des républiques (Suède, Danemark,
Angleterre) où le peuple est souverain quant à sa représentation politique.
Il convient néanmoins
de bien distinguer Démocratie et République. La Démocratie signifie que le
peuple est souverain en matière de politique, en matière d’organisation de la
vie de la cité ou d’édiction de règles communes. La République, quant à elle, est
une garantie institutionnelle qui vise à organiser le pouvoir pour le peuple
par le peuple en visant l’intérêt commun plutôt que le particulier grâce à un
mode de gouvernance structuré que nous connaissons aujourd’hui. Démocratie et
République s’étayent mutuellement et se renforcent, mais si la seconde ne va
pas sans la première, la Démocratie en revanche, si fragile soit-elle, peut
très bien se passer de la République. Et si nos moyens technologiques nous
permettaient d’atteindre cet idéal ? Pour cela il faudrait imaginer un monde
organisé par tous ou tous auraient leur mot à dire.
De même, vous l’aurez
compris, la République peut aisément corrompre l’idéal démocratique en se
substituant à lui par jeu de mot et incompréhension. La République Populaire de
Chine en est le parfait exemple. En somme, la République peut devenir un Empire
sans en revêtir le nom… Cela fait extrêmement peur, en effet. Dans le notion de
« par le peuple, pour le peuple »
il faut plutôt comprendre par une partie du peuple désignée par le peuple pour
le peuple. En revanche, la démocratie signifie littéralement « le pouvoir par le peuple.
Bien entendu, un
régime politique s’inscrit dans son temps et son époque. Lorsqu’il fallait huit
jours sous Louis XIV pour qu’une information ou un individu se déplace entre
Marseille et Paris on se doute bien qu’une démocratie telle qu’on la connaît
était impossible à mettre en place. La liberté suppose une bonne communication
entre tous. L’avènement de l’Internet et la prodigieuse capacité à communiquer
en temps réel au niveau international devrait nécessairement apporter du
changement ; or, la cinquième république tient bon…
Défiance
Alors, pourquoi cette
notion nous apparaît abstraite et distante ? En effet, en France et en théorie
il n’y a aucune frontière entre les gouvernants et les gouvernés, les premiers
étant une partie des seconds comme dans toute grande démocratie qui se respecte.
Et pourtant, malgré toute la paix sociale que cette notion doit nous apporter,
on constate que des centaines de milliers de nos concitoyens râlent après les
gouvernements successifs et râlent après la République française. Dans le fond,
les concitoyens ressentent un décalage entre leurs ambitions personnelles et
leurs gouvernants. Un véritable gap se
fait sentir entre eux et nous, et la société s’électrise. Les
jeunes gérants de startups interpellent les députés, bon nombre de Français se
détournent de leurs institutions, et pire, les ridiculisent. Le degré de
confiance des citoyens envers leurs élus est tombé à son niveau le plus bas, à
tel point qu’il existait bien plus de supporters de la monarchie en plein 18ème
siècle que de Français confiants dans leurs représentants pourtant élus. Nous
devrions être fiers de posséder nos outils de gouvernance et nous sentir
extrêmement libres, mais ce n’est pas le ressenti que nous avons. Quelque chose
cloche.
À ce stade du récit,
si vous êtes encore là, vous devez vous dire que non, nous ne vivons pas
pleinement dans une démocratie. Et vous avez raison. À chaque fois que le
peuple se voit limité dans ses décisions, alors la démocratie recule. L’exemple
du non à l’Europe pourtant ratifié
en tant que oui par les gouvernants
européens est un exemple manifeste de l’atteinte au droit le plus entier du
peuple : celui de décider. Il arrive très souvent que votre avis personnel sur
une question précise de la vie de la cité ne soit pas pris en compte. La réforme
des rythmes scolaires, la probable application de la GPA, la décision ou non de
partir en guerre en Syrie sont autant de sujets qui divisent les Français et où
ces derniers doivent s’en remettre aux gouvernants élus sans qu’aucun avis ne
soit demandé. Le cadre républicain et notre démocratie libérale imposent des
limites strictes pour nous faire penser que le plus grand nombre, la fameuse
majorité, décide.
Quelles alternatives au régime actuel ?
Nous nous devons de
réfléchir, au moins, à notre mode de gouvernance. Si la démocratie totale est
un but en soi, nous savons qu’elle n’est pas encore totalement possible de par
nos limites techniques et technologiques. Mais certains courants réfléchissent
à des alternatives comme la Démocratie
Liquide prônée par les différents partis
pirates. Le parti pirate nous vient d’Allemagne et place l’individu au
centre. Il y a effectivement un lien entre le web et ce mode de gouvernance qui
implique que chacun puisse donner son avis sur tout et très souvent.
Sans aller chercher
dans l’avenir ou dans un concept « fluide » et « liquide », nous avons
l’exemple du gouvernement helvétique. En Suisse, les votations interviennent
souvent et le gouvernement se renouvelle tous les 5 ans en permettant à tous
les courants politiques d’être représentés. La particularité de ce régime est
que les citoyens sont très impliqués dans les processus de décisions grâce à
l’usage intensif de la démocratie directe. Depuis 1848, les Suisses ont eu
recours 563 fois au référendum, et ce de plus en plus (plus de 340 fois depuis
1979). L’un des derniers en date, en février 2014, a dit oui à une limitation de l’immigration à
50,3%. Ces référendums peuvent intervenir de manière obligatoire pour modifier
la constitution et de manière spontanée si 50 000 personnes parviennent à se
réunir 100 jours après l’édiction d’une loi pour tout simplement l’annuler.
Imaginez un peu cela en France… Enfin, un référendum d’initiative populaire
peut être déclenché si 100 000 signatures sont réunies en 18 mois pour tenter
de modifier la constitution. De fait, si les partis sont présents pour
s’occuper de politique, de grands mouvements de foule peuvent très facilement
imposer leur point de vue. D’ailleurs, connaissez-vous le nom d’un seul homme
ou femme politique Suisse ? Cherchez bien… Non ! Effectivement, ce ne sont pas
des célébrités. La Suisse est une forme de démocratie liquide ou plutôt fluide.
À titre de
comparaison, les Français ont eu recours au referendum neuf fois, dans la
douleur, depuis 1958 et les Suisses 400 fois.
Alors, que faire ?
Oui, nous avons besoin
de plus de démocratie car notre République est devenue une République
corporatiste, soumise à tel ou tel lobby dont les plus connus sont ceux de
l’industrie pharmaceutique, des fonctionnaires, sortes de prélats de l’ordre
républicain, des taxis, des médecins, des notaires ; en approfondissant, on se
rendra compte que les banques sont un frein au crowdsourcing en limitant les
sommes à lever par la foule ou bien encore les industries du livre qui
maintiennent des prix exorbitants grâce à la loi des 5% de remise maximum. La
liste est longue, avec des instances publiques qui refusent de permettre la
réutilisation des données pourtant publiques nécessaires aux industries du big
data… Nous entrons dans un domaine certes économique mais force est de
constater que nos lois et notre République brident les entrepreneurs où qu’ils
soient au profit de corporations archaïques.
Sur un plan social,
notre mode d’organisation se noie dans une gestion de la vie de la cité par
près de 6 millions d’employés publics complètement désolidarisés des solutions
technologiques de gestion. L’impossible réforme de la perception de l’impôt en est
un témoin marquant. Une véritable confiscation de l’énergie créatrice par le
prélèvement de taxes dépassant les 50% est toujours à l’œuvre ; chacun sait que
ce que nous faisons ne fonctionne pas. Nous coulons et nous croulons sous la
dette, seul remède connu à la République malade.
Nous sommes une grande
démocratie, nous devons faire confiance au peuple. Pour aller vers le chemin
d’une meilleure représentativité nous n’avons aujourd’hui pas d’autre choix que
le vote, mais pas n’importe quel vote. Pas celui qui est véhiculé par les médias
trop corrompus et subventionnés par le pouvoir, la presse zombie, mais celui
qui vient de la terre, de la cité. Nous devrons élire des personnes qui portent
les valeurs que nous aimons ; ces personnes existent mais elles ne se doutent
pas qu’elles peuvent jouer un rôle.
Votre désir de changer
le monde et votre bulletin de vote sont deux armes de création massive, faites
en bon usage !
Source contrepoints.org
Photo : Buste Marianne (Crédits marycesyl, licence Creative
Commons)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire