Patrick de Carolis et l’affaire Bygmalion
Suspecté de “favoritisme” envers Bygmalion,
Patrick de Carolis, l’ex-président de France Télévision s’éloigne de l’antenne.
« Mis en cause de façon totalement injustifiée
à l’occasion des prestations réalisées par la société Bygmalion au profit de
France Télévisions et dans l’attente de ma mise hors de cause définitive, j’ai
décidé de suspendre mon activité à l’antenne de France 3, le temps de défendre
mon honneur. »
Jeudi 5 juin, Patrick de Carolis — poussé par
la direction de France Télévisions — a tiré les conséquences de ce qui est
devenu « l’autre » affaire Bygmalion. Car il y a l’affaire politique — celle
des fausses factures de l’UMP et du financement de la campagne de Nicolas
Sarkozy, et une seconde, médiatique. L’ex-président de France Télévisions a été
mis en examen par le juge Van Ruymbeke pour « favoritisme » envers Bygmalion,
dirigée par son ancien collaborateur direct, Bastien Millot. Le départ de l’antenne
du populaire présentateur de Des racines et des ailes n’est que le point
d’orgue d’un dossier qui soulève nombre de questions.
Quelle est l’influence des politiques sur France Télévisions ?
Quand, en
2005, sous la présidence Chirac, le producteur de
Des racines et des ailes est nommé à la tête de France Télévisons, le
fait qu’il ait coécrit un livre avec Bernadette Chirac ne peut pas lui nuire.
Mais il cherche aussi à s’attirer les bonnes grâces du ministre du Budget,
grand argentier de l’audiovisuel public, Jean-François Copé. Autour de lui, à
la holding, le nouveau président de France Télévisions se constitue une garde
rapprochée de « Copé boys », issus de son cabinet : Bastien Millot, à 33 ans,
devient directeur de la stratégie et du développement, et Damien Cuier, directeur
financier. En 2007, Nicolas Sarkozy est élu. Aussitôt débarque Camille Pascal,
ex-directeur de cabinet de Dominique Baudis au CSA. Promu secrétaire général de
France Télévisions, il deviendra, quand il en partira, la plume… de Nicolas
Sarkozy. Et comme on reste en famille, c’est une parente de Bastien Millot qui
s’occupe de la communication personnelle de Patrick de Carolis. Encore
aujourd’hui, c’est elle qui envoie ses communiqués aux journalistes.
Il n’est
pas rare, le mot est faible, que d’opportuns ponts s’établissent ainsi entre
l’audiovisuel public et le pouvoir politique. Il y a quelques jours, Martin
Ajdari, le monsieur Finances de Rémy Pflimlin, est devenu directeur de cabinet
de la ministre de la Culture et de la Communication Aurélie Filippetti. Sans
que cela fasse sursauter quiconque. Il a retrouvé au ministère Kim Pham, lui
aussi ex-directeur général adjoint de France Télévisions. Avec son cabinet «
pur politique », Patrick de Carolis a néanmoins poussé le bouchon plus loin que
d’autres. A partir de 2007, après la démission du directeur général, Thierry
Bert, haut fonctionnaire et ex-chef de l’Inspection général des finances, les
politiques ont pris le pouvoir sur l’administration de la télévision publique.
Et les verrous ont sauté.
Où sont passés les garde-fous ?
En 2008,
quand Bastien Millot quitte France Télévisions (d’abord un simple détachement)
pour diriger sa nouvelle société Bygmalion, il négocie auparavant des contrats
pour surveiller l’e-réputation de France Télévisions, répondre au courrier des
téléspectateurs, puis, plus tard, s’occuper « des éléments de langage » et
effectuer de la veille stratégique. Bygmalion percevra ainsi 1,2 million
d’euros, entre 2008 et 2013. Il n’est pas le seul collaborateur à conserver des
contrats avec son ex-employeur. Dans la plainte initiale déposée en 2011 par le
syndicat CGC de France Télévisions — qui, le premier, a soulevé le lièvre
Bygmalion —, il est cité plusieurs autres cas problématiques. Travailler pour
son ex-employeur n’est pas illégal en soi. Encore faut-il respecter les
procédures et écarter les risques de conflit d’intérêt.
Or,
précisément, les procédures sont au cœur d’une bataille très juridique. Les
personnalités mises en examen avancent pour leur défense que France Télévisions
n’est pas soumise à l’ordonnance européenne du 6 juin 2005 obligeant les
entreprises publiques à mettre en concurrence leurs prestataires. Pourtant,
dans une lettre envoyée dès 2005 à Patrick de Carolis, les ministres de la
Culture et de l’Economie engageaient déjà le groupe à s’y conformer « comme Radio France » . Des procédures ont
certes été progressivement mises en place. Mais avec une marge
d’interprétation. Plus les sommes sont petites, plus la liberté d’application
se fait grande. Que ce soit avec Bygmalion ou avec d’autres. Par exemple, en
2009, les cabinets de conseil Bain et Ineum, chargés de réfléchir moyennant
environ 14 millions au remaniement de l’organigramme, n’ont pas été soumis à un
quelconque contrôle de l’Etat, alors que c’est obligatoire au-delà de 2
millions. Comment cela a t-il été possible ? L’enveloppe globale a été
découpée, de façon à ne pas atteindre la somme fatidique. Découpée, comme
l’avaient été les contrats avec Bygmalion.
Pourquoi l’équipe de direction actuelle a-t-elle gardé le
silence ?
Il a été
assourdissant. Quand Rémy Pflimlin succède à Patrick de Carolis en 2010, il
fait annuler deux contrats Bygmalion, mais en maintient deux autres :
l’e-réputation de France Télévisions finalement rompu en 2012 et le courrier
des lecteurs, en 2013. Pas de trace d’une mise en concurrence dans le dossier
du juge. Dans sa déposition (que Télérama a
consultée comme toutes les autres), le directeur financier Martin Ajdari
explique qu’il a fallu du temps pour faire le ménage, en raison de « l’assez grande désorganisation qui a suivi la mise
en place d’une entreprise unique ». Depuis, les deux contrats ont été
attribués à deux sociétés différentes. Economie : 35 % dans un cas et 45 % dans
l’autre…
De son
côté, Patrick de Carolis n’a pas souffert longtemps de son départ de la
présidence de France Télévisions. Il a très vite récupéré environ un tiers de
la production de Des racines et des ailes,
avant d’en reprendre lui-même la présentation lors de la dernière saison. Une
remise en selle flamboyante. Plus étonnant, Patrick de Carolis Consulting a
aussi signé, et sans mise en concurrence apparente là-encore, des missions de
conseil pour France Télévisions… y compris une sur
Des racines et des ailes pour un montant d’environ 160 000 euros. Un
producteur payé pour se conseiller ? On applaudit.
Et la suite ?
Dans son
audition, Patrick de Carolis affirme avec force ne pas avoir été « l’ordonnateur » de ces contrats avec
Bygmalion, renvoyant la balle à son ancien secrétaire général Camille Pascal,
également mis en examen. Lequel explique n’avoir fait qu’exécuter la demande de
son patron et du directeur financier. Il faut dire que les risques sont importants,
car le juge Van Ruymbeke est une pointure… L’affaire Bygmalion et ses fausses
factures à l’UMP est énorme. Et n’a pas fini de faire des victimes car de
nombreux points restent à éclaircir. Selon Le Point, Bygmalion aurait versé de
l’argent à Patrick de Carolis, après son départ de la présidence de France
Télévisions : 119 000 euros, pour deux missions… Cela ressemble fort à du
renvoi d’ascenseur. Les mises en examen se multiplient. Jean-François Copé a
quitté la tête de l’UMP, Bastien Millot a perdu ses chroniques médias (chez
Morandini, sur Europe 1) et lâché Bygmalion en 2013 pour devenir… avocat.
Patrick de Carolis renonce aujourd’hui à son émission chérie… et sans doute à
bien plus. Rémy Pflimlin perd tout espoir — s’il en avait encore — d’être
candidat à sa succession en 2015. L’affaire Bygmalion est aussi l’affaire France
Télévisions.
Source telerama.fr
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