Assez de commémorations, de l’action!
Je ne sais pas si vous
avez remarqué mais on assiste en ce moment à une très nette accélération de la
fréquence des cérémonies et des commémorations : pour le centenaire de la
Grande Guerre, pour l’abolition de l’esclavage, pour le débarquement du 6 juin,
pour Oradour… etc. Moins le Président agit, et plus il nous récite des discours
sur un ton monocorde. Dans un mois, pour le 14 juillet, il invitera
l’Algérie à défiler sur les Champs-Elysées… Donc ça va encore commémorer à
plein tube et barboter dans le “devoir de mémoire” avec une frénésie de
discours “d’espoir, d’espérance et de volonté” par lesquels le Président normal
essayera désespérément de se hisser à la hauteur des géants des Grandes
Guerres.
Mais une chose est de
faire des discours et de commémorer le passé ou la mémoire ; une autre est de
gagner les batailles qui aujourd’hui ne sont plus militaires mais économiques.
Pour cela, il faut de grands hommes, de la détermination et du courage… Et, de
ce côté là, notre Président normal n’est
à l’évidence pas superbement armé…
Mais où est “l’ordre de mobilisation” de l’État ?
La France est en
pleine déroute financière et, pour gagner la guerre économique qui fait rage,
il faut évidemment des généraux-en-chef autrement plus compétents, actifs et
déterminés que ceux que nous avons. Comme Eisenhower a préparé et lancé l’ordre
du débarquement — les Français attendent qu’on leur annonce qu’un “ordre de
mobilisation” générale de l’État a enfin été lancé, pour le mettre à la diète,
le mettre en ordre de marche, et surtout lui permettre de commencer à gagner
des batailles qui ne manquent pas : bataille de l’emploi, bataille des dépenses
publiques, bataille de la dette, bataille de l’éducation, bataille de la
formation professionnelle, bataille de la sécurité, bataille de l’immigration
etc…
Mais rien ne vient et,
pendant que le pays continue à s’enfoncer dans une crise de confiance, notre
dirigeant “normal” continue à pratiquer la méthode Coué et à nous jouer la
petite musique du “tout va très bien” : il fait des discours, commémore et célèbre
le passé mais rien de décisif n’intervient, rien ne bouge. Il attend 2017 qui
est la seule date qui le préoccupe et en attendant les médias distraient le
Peuple : les cérémonies du débarquement sont retransmises en direct des plages,
puis c’est Roland Garros, puis Oradour-sur-Glane, et puis la coupe du monde, et
bientôt il y aura aussi les bals du 14 juillet, puis (si les intermittents le
veulent bien) les festivals de l’été. Au diable les problèmes : des jeux !
Bref personne ne voit
à l’horizon le grand plan du débarquement qui devrait permettre à l’espérance
de sortir des tranchées où tous les politiciens sont terrés, pour remettre le
pays en mouvement et commencer enfin à reconstruire ce qui ne tourne pas rond.
Au contraire, les médias complices font tout pour chloroformer l’opinion et
faire oublier qu’il y a une crise, oublier qu’on est en guerre en Centrafrique
et au Tchad, oublier que les retraites ne sont plus garanties, oublier qu’il y
a plus de 5 millions de chômeurs, oublier que l’État ne s’est toujours pas
réformé… Les médias organisent les jeux du cirque et diffusent des nouvelles
dérisoires sur les petites phrases de tel ou tel politicien… Tous “commémorent
la mémoire”, mais ils font tout pour oublier le présent et le futur : ambitions
minables de taupes dérisoires immobiles au fond de leurs trous…
Ils attendent quoi pour réformer ? Une guerre ?
Tout le monde a en
mémoire toutes ces villes détruites en totalité ou en partie pendant la
dernière guerre : Brest, Caen, Le Havre, Lorient, Saint-Nazaire, Saint-Lô,
Évreux, Saint-Malo, Rouen…. C’était il y a 70 ans. Imaginez toutes ces ruines
et l’effort immense que cela a représenté pour tout reconstuire ! Que ferait
aujourd’hui Hollande si Pôle emploi avait été bombardé et n’existait plus ? Il
faudrait bien le reconstruire, alors qu’attend-il ? Et si le système de
formation professionnelle avait été détruit, il faudrait bien le rebâtir !
Qu’attend-il ? Et si les ministères de l’État-mammouth avaient été détruits
sous les bombes, il faudrait bien se débrouiller sans eux. Alors qu’attend-il
pour les supprimer ? Et si le régime des intermittents du spectacle (ou des
cheminots) avait été pulvérisé par des stukas ? Si tout avait été détruit, il
faudrait bien tout reconstruire sur des bases nouvelles en évitant de recréer
les mêmes rigidités… Qu’attend-il ? Qu’il le fasse Bon Dieu. Qu’attend-il
exactement pour réformer : une guerre ? Une guerre civile avec 5 millions de
chômeurs qui cassent des vitrines ?
Le problème est
évidemment qu’on a affaire à des petits nains, et que seules les façades de nos
institutions donnent l’illusion de tenir à peu près debout. Mais elles sont
vermoulues et pourries de l’intérieur. Il faudrait tout reconstruire et
refonder mais nos soit disant “dirigeants” n’osent rien toucher et laissent
tout en l’état. En fait ils tremblent de peur à l’idée de changer quoi que ce
soit. N’est pas Eisenhower, Churchill ou de Gaulle qui veut ! Avec le recul
historique, évidemment, on se demande comment il a été possible qu’une
génération imagine une chose aussi invraissemblable que le débarquement de juin
44 ! Alors que des gens comme Hollande sont impuissants devant le régime des
intermittents du spectacle, des taxis, des cheminots (qui obligent à raboter
les quais)… ! Mon Dieu où iraient-il se cacher si on était en pleine guerre ?
Eux qui ont tellement peur du front resteraient assurément planqués “à
l’arrière”.
Le “Silence des permissionnaires”
Dans Les Fleurs de Tarbes, Jean Paulhan évoque le
“Silence des permissionnaires”, ce silence des poilus de la Grande Guerre qui,
disposant de huit jours de permission, passaient brusquement du “front” à
“l’arrière”… Ces permissions avaient des aspects joyeux et lumineux (les retrouvailles
en famille) mais aussi des moments sombres de cafard et de désillusions liées
au fossé des perceptions entre les gens du front et ceux de l’arrière. Eux
sortaient de l’horreur des tranchées, de la boue des trous d’obus, des
barbelés, et ils mesuraient tout à coup l’irréalité de la vie de l’arrière. Ils
découvraient les “planqués” et les “embusqués” qui se prélassaient sur les
grands boulevards ou aux terrasses des brasseries, s’amusaient dans les bars,
au théâtre ou au music-hall…
Il y avait deux
raisons à ce silence des permissionnaires : le caractère ineffable de l’horreur
qu’ils vivaient dans les tranchées, bien sûr ; mais surtout la conscience que
parler n’aurait servi à rien car ceux de “l’arrière” ne comprendraient même
pas. “Ne nous parlez plus de vos histoires de tranchées, on en a les oreilles
rebattues” disaient les gens de l’arrière à partir de 1916…. Le silence n’était
donc pas seulement lié à une faille du langage des poilus qui revenaient du
front, mais à une volonté de ne pas entendre ce ceux qui étaient restés à
l’arrière.
L’abîme entre le
“front” et les planqués de “l’arrière”
Quand je regarde ce
qui se passe aujourd’hui, je comprends ce fossé : d’un côté des gens qui sont
au front, (ceux qui se battent dans leurs entreprises pour garder leur emploi,
les millions de chômeurs qui s’entassent à Pôle emploi, les pauvres qui se répandent
comme une lèpre, les exclus de la croissance, les petits retraités qui
n’arrivent plus à boucler leurs fins de mois)… et de l’autre les “planqués et
les embusqués” des médias et de la politique qui restent à l’arrière et
continuent à faire semblant de ne pas entendre, de ne pas comprendre, et
essayent de se persuader, en se bouchant les oreilles et en fermant les yeux,
que tout va bien et que tout va s’arranger…
Cette dissociation des
“deux mondes” me sidère de plus en plus. Cette incroyable déconnexion des
hommes politiques coupés du réel et qui — pour éviter de prendre peur —
bidouillent les statistiques, mentent sur les chiffres, découpent les chômeurs
en tranches et en catégories pour en diminuer le nombre apparent. Bref refusent
de “voir” la réalité de la guerre au front. Planqués à l’arrière, ils passent
leur temps à faire des discours et célèbrent le devoir de mémoire. Mais ils
sont dans l’incapacité totale de comprendre ce qui se passe au front. Ils
commémorent l’action des géants du passé qui les ont précédés, mais sont
incapables, eux, de la moindre action. Ils sont comme tétanisés, tergiversent,
désertent, renoncent, reculent, fuient, abandonnent… Pendant que la crise jette
des millions de gens dans la détresse et le chômage, ils restent déconnectés,
médiocres, dérisoires, sans la moindre prise sur les événements.
”Les médias ne reflètent plus ce qui se passe dans le monde”
“Les médias ne
reflètent plus ce qui se passe dans le monde, mais ce qu’ils veulent qu’il se
passe dans nos têtes”. La formule est ravageuse mais juste. Ils devraient
décortiquer les indices économiques, passer au crible les dépenses excessive de
l’État, afficher où en est la dette, démonter (entre autres) les notions de
capitalisme, ou d’austérité, dire combien coûtent les guerres en centrafrique
et au tchad, mesurer les conséquences exactes de l’immigration — bref dans tous
les domaines faire sauter les verrous de l’omerta, de la langue de bois et de
la complaisance… Et faire avancer la transparence et éclairer les choix des
citoyens. Mais non, ils préfèrent passer les plats du Pouvoir qui les
subventionne… Ils parlent donc de matches de foot, d’affaires politiques
insignifiantes, des querelles d’egos minuscules ou de vedettes du showbizz
minables… La France mérite mieux que ces collabos du dérisoire !
Vous je ne sais pas
mais moi le “silence des permissionnaires” me bouleverse. Pierre Teilhard de
Chardin — qui était brancardier au Chemin des Dames et donc en première ligne
de l’horreur — a décrit comment les poilus sombraient dans une “nostalgie du front”.
Terriblement déçus par les gens de l’arrière, ces pauvres permissionnaires
préféraient repartir au front, vers leurs camarades de tranchées, loin des
“enracinés de l’arrière” avec qui ils n’avaient plus rien à partager.
Aujourd’hui, je pense
qu’il y a des millions de personnes (et pas seulement des chômeurs, des
petites gens ou des déshérités) qui ont le même mépris pour les politiques et
les journalistes des médias : planqués et embusqués…
Source contrepoints.org
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