Finkielkraut : l’agité de l’identité
Avec son nouvel essai, «l’Identité
malheureuse», Alain Finkielkraut occupe tous les écrans, toutes les ondes,
toutes les gazettes depuis une semaine. Un condensé de toutes les obsessions
réactionnaires du moment.
Avec son nouveau
livre, Alain Finkielkraut vient de s'exposer à un douloureux supplice de
Tantale. Intitulé l'Identité malheureuse - choix étrangement autoparodique -,
celui-ci tourne en effet autour de toutes les obsessions douloureuses de
l'auteur sans manifestement parvenir à les soulager.
Ces obsessions, quelles sont-elles ?
Le voile et « l'immigration de peuplement » en
train de changer le visage de la France, la sempiternelle dénonciation des
bobos entêtés de « diversité » et des
élites hexagonales animées par la haine de la France, une petite musique de
plus en plus entêtante depuis le milieu des années 2000 et qui aura pulvérisé
le « front républicain » autant que fait
exploser les tirages de feuilles hier encore confidentielles comme Valeurs
actuelles.
Un crooner échaudé. Thèse générale : la France se déteste et ne
célèbre les identités que lorsque celles-là sont exotiques. Son surmoi
littéraire s'est par ailleurs effondré, et, manque de bol, les immigrés
auxquels elle est aujourd'hui confrontée lui offrent le visage inédit de
«l'Autre haineux». Tout n'est pas faux dans ce bouillon, à commencer par le
concept de «romantisme pour autrui» qui
restera comme la trouvaille du livre.
Tout y est d'autant
moins critiquable que l'auteur donne l'impression constante de ne jamais
arriver à y vider son sac, celui-là même qu'il déballait par exemple le 22
septembre dernier aux auditeurs de RCJ, en se lançant dans une défense
enflammée de la «préférence nationale» et en s'extasiant sur le fait que le
second de Marine Le Pen soit allé s'incliner sur la tombe du général de Gaulle.
Le problème, c'est que tel un
crooner qui devrait enfin apparaître en pleine maîtrise de ses
standards, Finkielkraut ne semble plus oser pousser la chansonnette, ou si peu, tant il donne le sentiment de fuir
le pénible miroir qui lui fut tendu après ses déclarations incontrôlées de 2005
sur les émeutes de banlieue. Ainsi avons-nous droit, dans l'Identité malheureuse, à une longue
rétrospective sur l'affaire du voile de Creil, en 1989, à des récapitulatifs
appliqués sur les visions opposées de la nation française chez Barrès et Renan,
à d'éternelles anecdotes ébouriffantes sur la barbarie collégienne, le tout
agrémenté de coups de sang dérisoires contre le langage de routier de la miss
Météo de Canal + ou des films déjà oubliés comme La guerre est déclarée, de
Valérie Donzelli.
Avec ce feel good book
réactionnaire, aux formules souvent bien frappées, Finkielkraut arrachera la
prochaine une du Point et pourra aisément faire la roue jusqu'à Noël devant des
critiques complaisants qui le présenteront comme le dernier poste avancé de la
haute culture européenne. C'est ainsi. Les médias aiment Finkielkraut, car
Finkielkraut aime les médias : à la suite d'un développement sur Pascal, il
peut tout à fait citer Christophe Barbier.
Lorsque l'auteur se réclame avec
insistance de Lévi-Strauss pour appuyer sa propre vision apeurée de l'identité
nationale, on se pince toutefois. S'il est une chose que le géant de
l'ethnologie incarnait, contrairement à Finkielkraut qui se vantait récemment
de penser « sous le choc des événements »,
c'est bien le refus du narcissisme occidental et le regard distancié de celui
qui sait mettre plusieurs siècles d'épaisseur et de calme entre les événements
et lui.
Photo Alain Finkielkraut - JEROME MARS/JDD/SIPA
Source marianne.net
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