Tom Cruise, célèbre membre de l'«église» de la Scientologie, inaugure, en 2004, un centre à Madrid. REUTERS/Paul Hannaa
J'ai
testé la scientologie et c'était pas bien: le rendez-vous
Second contact avec les fidèles de Ron Hubbard.
Le
lendemain, je débarque donc rue Jules César, entre Bastille et Gare de Lyon.
L’entrée affiche sans complexe Scientologie et à l’accueil pas de vigile mais
une vieille dame souriante qui me demande avec qui j’ai rendez-vous. Cinq
minutes plus tard, Christelle arrive, toujours aussi sympa. Elle m’offre un
verre d’eau, m’emmène dans un petit bureau, ferme la porte et brusquement, elle
se transforme en succube maléfique prête à propager la désolation dans ma vie.
Heureusement,
je m’étais préparée à cet entretien, je savais que les résultats des tests sont
toujours négatifs –personne ne réussit jamais l’ocatest sans être déjà
scientologue, rapport aux thétans extraterrestres qui nous habitent. Mais sur
des gens qui débarquent sans savoir à quoi s’attendre, je n’ose même pas
imaginer quel effet ça peut avoir. C’est une espèce de séquence de torture
psychologique pour vous mettre dans un état de faiblesse et de vulnérabilité
absolue.
Christelle-la-succube
me sort le graphique de mon état mental:
Et
elle m’explique: «vous voyez cette ligne?
Ce qu’il y a au-dessus de cette ligne, c’est ce qui va bien.» Je
regarde le schéma, elle me montre la ligne notée +30. Je lui dis: «ok. Mais là, y’a rien au-dessus de cette ligne…» Elle
me regarde. Je la regarde. Et je comprends qu’elle pense très fort «effectivement, c’est difficile à accepter mais ta
vie est merdique» mais à la place elle me répond «oui, chez vous, il n’y a rien au-dessus de cette
ligne». Ensuite, elle passe à l’analyse de mon état point par point en
suivant le graphique. «Les autres ne font
pas confiance à votre jugement. Ils ne vous considèrent pas comme crédible.»
Au
bout de cinq minutes, j’avais déjà envie de lui demander si on pouvait
installer une corde au néon et m’apporter un tabouret. «On vous critique souvent non? Vous êtes opprimée par
des personnes?» Comme je dis non, elle insiste: «Sur votre lieu de travail alors? On vous fait des
reproches, on dit des choses sur vous, derrière votre dos peut-être… On vous
lance des piques, non?»
Au
bout de dix minutes, je lorgne sur l’agrafeuse en me demandant s’il y a un
espoir pour que j’arrive à m’ouvrir les veines avec et faire disparaître de la
surface de la terre l’horrible sous-merde que je suis et qui pollue tout ce
qu’il y a de bon et de beau dans le monde.
Heureusement,
Christelle devait être une débutante parce qu’elle avait l’air d’être mal à
l’aise dans son rôle de tortionnaire. Elle lisait les feuilles qu’on lui avait
imprimées mais dès qu’elle les quittait des yeux, elle se mettait à bafouiller,
devenait hésitante et surtout scrutait mes réactions. (Quand j’ai demandé à
avoir lesdites feuilles, elle a refusé.)
Mon
dézinguage dure déjà depuis 30 minutes, je suis dans un état qui oscille entre
l’apathie et le désespoir quand elle m’annonce sur un ton définitif: «Ce point indique que vous n’avez pas de cœur. Vous
manquez complètement de sensibilité. Vous êtes incapable de vous mettre à la
place des autres et de les comprendre.» Là, je tique. Comment avec
les réponses que j’ai faites peut-elle dire d’Emmanuelle Poulet qu’elle n’a pas
de cœur? En fait, elle me désigne le point du graphique intitulé «critique» et
je comprends que c’est parce que j’ai avoué avoir parfois un avis en sortant du
ciné qu’elle en déduit que j’ai la sensibilité d’un mur en béton armé.
La
première partie de l’entretien se résume donc à une Christelle-Walkyrie montée
sur un bulldozer psychologique pour me défoncer la gueule. Le seul point qui
n’est pas abordé, c’est la sexualité. La polémique au sujet de la scientologie
se concentre souvent sur son statut de religion ou de secte. Je ne compte
évidemment pas trancher ce débat-là, mais au bout de 30 minutes dans leurs
locaux, leurs méthodes paraissent déjà plus que contestables.
Ensuite,
vient l’embrigadement, avec l’entrée en scène du «good cop». Un conseiller qui
va me proposer des solutions, s’il est encore possible de sauver la raclure de
chiotte que je suis. C’est un homme avec une voix douce, il est posé, il a
l’air gentil. Et surtout il arrive, en tout cas en apparence, en ayant rien à
voir avec mon test. Il ne l’a pas lu (mais c’est évidemment impossible à
vérifier). C’est presque comme s’il passait dans le couloir et que tiens, il
avait envie de me donner un coup de main. Il jette un œil à mon graphique, mais
d’un air très détaché, et il le repose avant de me dire solennellement: «Ce test, ce n’est pas vous.» Il me
montre du doigt la ligne haute du graphique (celle qui en l’occurrence chez moi
est absolument vide) et me dit «vous, vous
êtes là».
Je
passe donc en quelques secondes du statut de raclure de chiotte à celui d’être
de lumière, et après ce qu’on m’a foutu dans la gueule, je suis ravie, je bois
ses paroles. Cet homme-là me veut du bien, c’est évident, pas comme l’autre
barge de Christelle.
En
gros, mes problèmes, ce n’est pas moi, il faut juste que je m’en débarrasse
pour devenir mon véritable moi. Et ces problèmes, ce sont les engrammes. Au mot
engramme, je me dis que ça va commencer à devenir marrant. Je demande
benoîtement que sont les engrammes. Ce sont de vieilles images douloureuses qui
continuent de me faire souffrir et entravent ma personnalité. A quoi je fais
remarquer qu’en fait, en français, ça s’appelle des traumatismes. «Oui, voilà,
c’est la même chose». Il oublie de me préciser que des «images du passé» pour
les scientologues, ça inclut celles de nos vies antérieures et celles des
extraterrestres, mais c’est vrai que pour une première séance, il vaut mieux y
aller en douceur.
Le
problème de ce monsieur c’est qu’il est très gentil mais également complètement
démago. Quand je lui demande si la scientologie c’est une religion, il me
répond: «Non, le principe de la
scientologie c’est qu’il n’y a que vous qui savez ce qui est bon pour vous.» Alors
là, je tiens un énorme scoop.
Après,
vient le plus beau moment de cet entretien, où il entreprend de m’expliquer la
différence entre le spirituel et le psychisme.
- Fermez les yeux.
- Ok.
- Visualisez l’image d’un chat.
Je
vous jure sur toutes les connexions internet du monde, qu’il m’a dit ça mot
pour mot.
- Vous voyez le chat?
- Oui.
- Maintenant, dites-moi: qui regarde le chat?
Là,
chers lecteurs, je vous demande de faire vous-mêmes l’exercice avant de lire la
suite, et de répondre en votre fort intérieur à cette question essentielle: qui
regarde le chat. Vous allez vivre une expérience spirituelle intense.
Personnellement, j’ai eu un moment de doute avant d’oser répondre:
- Heu… moi?
- Oui ! C’est vous ! Vous comprenez? Le chat, c’est
le mental. Et le moi ou le vous qui regarde le chat c’est le spirituel, l’âme,
le souffle de la vie, peu importe comment on l’appelle.
Ci-dessus: si l’âme regarde le chat alors le chat
regarde-t-il l’inconscient?
Cette
démonstration de l’existence du spirituel est absolument inepte mais elle vient
après plus d’une heure de quasi harcèlement. Ils sont tellement redoutables
dans leur méthode pour prendre les gens au piège qu’il est presque étonnant
qu’ils ne contrôlent pas déjà la terre entière. En France, le nombre de
scientologues est estimé entre 2000 et 40.000 (autant dire que la fourchette
est très large) mais dans le monde, l’Eglise est en pleine expansion. Elle a
ouvert la première Eglise idéale, 8.000 m2 au cœur de Bruxelles, et surtout
elle a fait polémique en 2010 en étant très présente à Haïti après le
tremblement de terre.
Les
scientologues qui se sont rendus à Haïti, qualifiés de «ministres volontaires» ont prodigué des
soins alternatifs aux victimes, soins qui devaient leur permettre de «remettre l’esprit en communication avec le corps».
Méthodes auxquelles les médecins présents sur place se sont opposés. Sous des
prétextes humanitaires, il n’est pas étonnant que l’Eglise de scientologie
tente d’aller convertir dans les pays où les habitants sont dans la
détresse.
J’avais
montré un tel enthousiasme face à la brillante démonstration du chat que deux
minutes plus tard, j’avais devant moi une fiche d’inscription à une séance
collective pour le week-end suivant, 5 DVD et 10 bouquins. J’ai poliment
décliné. Il n’empêche que le lendemain, je me suis sentie déprimée, avec une
sensation d’écœurement dès que je repensais à ces deux entretiens. J’ai hésité
à me rendre à la première séance de thérapie qu’on m’offrait gratuitement mais
l’impression d’inquisition malsaine, de forcing émotionnel et de manipulation
m’ont découragée. Mon spirituel me disait qu’il fallait que mon aventure
scientologue s’arrête là.
Par Titiou
Lecoq
Source slate.fr/story/36859/scientologie-rendez-vous
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