dimanche 4 mars 2018

Billets-Héritage de Johnny Hallyday : deux conceptions juridiques différentes



Héritage de Johnny Hallyday : deux conceptions juridiques différentes

Droit de léguer ou droit d’hériter ? Pourquoi ne pourrions-nous pas, en France, organiser notre succession selon nos propres souhaits ?

Si l’on considère que l’État est le garant de la morale, ne faudrait-il pas protéger les descendants de la tentation d’oisiveté et de prodigalité ? Et en quoi l’intérêt des descendants serait-il supérieur aux liens d’affection ? Pourquoi ces derniers ne pourraient-ils pas primer sur les liens du sang ?

L’héritage de Johnny allume le feu
Depuis quelques jours, le testament de Johnny Hallyday a réussi à allumer le feu. Ayant décidé, en vertu du droit californien, de léguer l’ensemble de ses biens à son épouse Laeticia, le chanteur – même disparu – continue de bousculer la tradition.
Car en vertu du droit français, ce sont ses enfants, Laura Smet et David Hallyday, qui auraient dû se partager une partie des fruits légués par le chanteur. Sur fond de drame familial, ce sont deux conceptions juridiques de l’héritage qui s’affrontent.

« L’ordre moral » contre la propriété privée
Fondé sur le respect de la propriété privée, le droit californien laisse à chacun le droit absolu de céder son héritage à la personne, physique ou morale, de son choix. Consacré dans le Code civil, protecteur de la famille et des liens du sang, le droit français impose qu’une part de l’héritage revienne sans exception aux enfants. C’est le principe de la « réserve héréditaire ». Quelle que soit la volonté du défunt, ses enfants ne pourront être déshérités.

Dans l’affaire Hallyday, c’est en s’appuyant sur un règlement européen de 2015 que Johnny Hallyday, résident californien depuis plusieurs années, a pu faire le choix d’appliquer à son cas les règles successorales en vigueur en Californie. Au détriment de ses enfants qui semblent bien déterminés à questionner son statut de résident américain.

Mais en vertu de quel principe fondamental, ne pourrions-nous pas, en France, organiser notre succession selon nos propres souhaits ? En quoi l’intérêt des descendants serait-il supérieur ? Pourquoi les liens d’affection ne pourraient-ils pas primer sur les « liens du sang » ?

La famille est une institution privée et une construction sociale évolutive et propre à chacun. Elle ne devrait, à ce titre, ni faire l’objet d’une vision préconçue, ni refléter une certaine morale, ni influencer le droit civil.

Ces dernières années, le droit français s’est adapté en ce sens aux évolutions de la société : les réformes adoptées en 2001 et en 2006 ont amélioré le respect de la liberté testamentaire du défunt et le traitement des familles recomposées. Retirons désormais complètement l’État des histoires de famille !

Pour un droit de léguer plutôt qu’un droit d’hériter
Si l’on considère que l’État est le garant de la morale, ne faudrait-il pas protéger les descendants de la tentation d’oisiveté et de prodigalité qui guette lorsque l’on hérite soudainement de milliers d’euros ? Si l’on considère que l’État est le défenseur d’une certaine vision de la famille, ne devrait-il pas sanctionner une progéniture ingrate et sans scrupule ? Dans La Comédie Humaine, rappelons-nous l’histoire du pauvre Père Goriot qui subvint aux besoins de ses filles tout au long de sa vie mais mourut seul dans une mansarde sans un sou…

Chassons plutôt la morale du droit. Comme le résume Robert Nozick, la question n’est pas tant de savoir si les gens ont un « droit d’hériter » mais plutôt de savoir si les gens ont un « droit de léguer » et de « choisir quelles autres personnes pourraient posséder à leur place », sans jugement moral.

Il arrive parfois que certains originaux défraient la chronique en faisant de leur chien, leur chat ou leur singe, l’heureux légataire de jolies fortunes. Dans une émission, Karl Lagerfeld aurait confié vouloir céder une partie de ses biens à sa chatte Choupette… Mais l’on devrait accepter les errements de l’individu pour permettre à d’autres choix « vertueux » de s’exprimer.

Les plus fortunés, à l’image d’un Bill Gates ou de l’industriel philanthrope Andrew Carnegie, lèguent plus souvent une majeure partie de leur fortune à des œuvres philanthropiques ou bien font construire des bibliothèques, mettant ainsi leur « droit de léguer » au profit de l’ensemble de la communauté.

Alors pour garantir pleinement la liberté patrimoniale de chacun – que « l’idole des jeunes » a récemment illustrée – attaquons-nous, sans réserve, à la « réserve héréditaire ».

Source contrepoints.org
Par Delphine Granier.

Cet article a initialement été publié dans Challenges

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