Héritage de Johnny Hallyday : deux conceptions
juridiques différentes
Droit de léguer ou
droit d’hériter ? Pourquoi ne pourrions-nous pas, en France, organiser notre
succession selon nos propres souhaits ?
Si l’on considère que
l’État est le garant de la morale, ne faudrait-il pas protéger les descendants
de la tentation d’oisiveté et de prodigalité ? Et en quoi l’intérêt des
descendants serait-il supérieur aux liens d’affection ? Pourquoi ces derniers
ne pourraient-ils pas primer sur les liens du sang ?
L’héritage de Johnny allume le feu
Depuis quelques jours,
le testament de Johnny Hallyday a réussi à allumer le feu. Ayant décidé, en
vertu du droit californien, de léguer l’ensemble de ses biens à son épouse
Laeticia, le chanteur – même disparu – continue de bousculer la tradition.
Car en vertu du droit
français, ce sont ses enfants, Laura Smet et David Hallyday, qui auraient
dû se partager une partie des fruits légués par le chanteur. Sur fond de drame
familial, ce sont deux conceptions juridiques de l’héritage qui s’affrontent.
« L’ordre moral » contre la propriété
privée
Fondé sur le respect
de la propriété privée, le droit californien laisse à chacun le droit absolu de
céder son héritage à la personne, physique ou morale, de son choix.
Consacré dans le Code civil, protecteur de la famille et des liens du sang, le
droit français impose qu’une part de l’héritage revienne sans exception aux
enfants. C’est le principe de la « réserve héréditaire ». Quelle que
soit la volonté du défunt, ses enfants ne pourront être déshérités.
Dans l’affaire
Hallyday, c’est en s’appuyant sur un règlement européen de 2015 que Johnny
Hallyday, résident californien depuis plusieurs années, a pu faire le choix
d’appliquer à son cas les règles successorales en vigueur en Californie. Au
détriment de ses enfants qui semblent bien déterminés à questionner son statut
de résident américain.
Mais en vertu de quel
principe fondamental, ne pourrions-nous pas, en France, organiser notre
succession selon nos propres souhaits ? En quoi l’intérêt des descendants
serait-il supérieur ? Pourquoi les liens d’affection ne pourraient-ils pas
primer sur les « liens du sang » ?
La famille est une
institution privée et une construction sociale évolutive et propre à chacun.
Elle ne devrait, à ce titre, ni faire l’objet d’une vision préconçue, ni
refléter une certaine morale, ni influencer le droit civil.
Ces dernières années,
le droit français s’est adapté en ce sens aux évolutions de la société : les
réformes adoptées en 2001 et en 2006 ont amélioré le respect de la liberté
testamentaire du défunt et le traitement des familles recomposées. Retirons
désormais complètement l’État des histoires de famille !
Pour un droit de léguer plutôt qu’un droit d’hériter
Si l’on considère que
l’État est le garant de la morale, ne faudrait-il pas protéger les descendants
de la tentation d’oisiveté et de prodigalité qui guette lorsque l’on hérite
soudainement de milliers d’euros ? Si l’on considère que l’État est le défenseur
d’une certaine vision de la famille, ne devrait-il pas sanctionner une
progéniture ingrate et sans scrupule ? Dans La
Comédie Humaine, rappelons-nous l’histoire du pauvre Père Goriot qui
subvint aux besoins de ses filles tout au long de sa vie mais mourut seul dans
une mansarde sans un sou…
Chassons plutôt la
morale du droit. Comme le résume Robert Nozick, la question n’est pas tant de
savoir si les gens ont un « droit d’hériter » mais plutôt de savoir
si les gens ont un « droit de léguer » et de « choisir quelles autres personnes pourraient posséder à
leur place », sans jugement moral.
Il arrive parfois que
certains originaux défraient la chronique en faisant de leur chien, leur chat
ou leur singe, l’heureux légataire de jolies fortunes. Dans une émission, Karl
Lagerfeld aurait confié vouloir céder une partie de ses biens à sa chatte Choupette…
Mais l’on devrait accepter les errements de l’individu pour permettre à
d’autres choix « vertueux » de s’exprimer.
Les plus fortunés, à
l’image d’un Bill Gates ou de l’industriel philanthrope Andrew Carnegie,
lèguent plus souvent une majeure partie de leur fortune à des œuvres
philanthropiques ou bien font construire des bibliothèques, mettant ainsi leur
« droit de léguer » au profit de l’ensemble de la communauté.
Alors pour garantir
pleinement la liberté patrimoniale de chacun – que « l’idole des
jeunes » a récemment illustrée – attaquons-nous, sans réserve, à la
« réserve héréditaire ».
Source contrepoints.org
Par Delphine Granier.
Cet article a initialement été
publié dans Challenges
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