Le volcan équatorien Tungurahua en novembre 2010. REUTERS/Carlos Campana
J’ai
testé la scientologie et c’était pas bien: le test
Tout premier contact avec les fidèles de Ron Hubbard.
Pour
mieux comprendre où je suis allée foutre les pieds, rappelons que la
scientologie est une philosophie spirituelle qui prétend aider à mieux vivre au
quotidien –c’est la partie qu’on appelle la dianétique– et qui a été inventée
par un auteur de romans de science-fiction nommé Lafayette Ron Hubbard. D’un
point de vue spirituel, la théorie de la scientologie se résume à peu près à:
Il y a 75 millions
d’années, Xenu, un extraterrestre qui dirigeait une confédération galactique,
s’est trouvé face à un problème de sur-population. Il décida alors de se
débarrasser des habitants en trop en les envoyant sur terre où il les extermina
à coup de bombes H. Une solution simple et efficace mais qui a engendré un
léger problème pour nous autres, humains: les âmes de ces extraterrestres,
appelées des thétans, vivent maintenant à l’intérieur de nous et nous
parasitent à travers des images mentales négatives nommées engrammes. Le but de
la scientologie est de nous aider à nous en débarrasser pour redevenir de
véritables êtres humains.
(Ci-dessus: prospectus de l’Eglise de scientologie)
Bizarrement, quand
j’ai annoncé que je voulais tester la scientologie, j’ai senti une vague
d’inquiétude autour de moi, de mes collègues de Slate à ma mère qui aurait
préféré que j’aille tester des spas en Normandie. L’Eglise de scientologie fait
peur mais est-ce justifié? Je ne vais pas laisser planer un suspens
insoutenable: oui, j’ai tout bonnement passé un des pires moments de ma vie.
Pour
aller à la rencontre de nos amis les scientologues zinzins, j’ai commencé par
faire le test de personnalité en ligne, aka l’ocatest pour Oxford Capacity
Analysis mais qui en réalité n’a aucun lien avec l’université d’Oxford. Sur les
200 questions posées, il y a les choses attendues sur la vie et le rapport aux
autres. Des questions assez cash, comme celle pour déterminer si vous êtes une
authentique langue de pute:
«30.
Eprouvez-vous du plaisir à raconter aux gens le dernier scandale concernant vos
associés?».
Personnellement
oui et je l’assume, surtout si ce sont des scandales qui incluent des
perversités sexuelles, et, je veux rien laisser sous-entendre mais à la
rédaction de Slate, c’est pas ce qui manque… Malheureusement, je n’ai pas pu
répondre ça, on peut seulement cocher oui, non ou incertain. Trois choix un peu
limités quand on voit le foutraque de questions.
Foutraque au milieu duquel on
trouve des questions sociétales:
«9.
Estimez-vous que l'on devrait dépenser plus d'argent pour la sécurité sociale?»
Comme
ça, d’entrée de jeu, en 9e question, ça m’a légèrement désarçonnée.
88. Si nous
envahissions un autre pays, ressentiriez-vous de la sympathie pour les
objecteurs de conscience de ce pays-ci?
D’abord
soyons clairs avec la syntaxe. On parle de le quel pays? De le pays-ci ou de le
pays-là? Et puis, je refuse de répondre, je sens que c’est une question piège.
101. La
jeunesse actuelle jouit-elle de plus d'opportunités que n'en avait la
génération précédente?
Mais
qu’est-ce que ça vient foutre au milieu d’un test de personnalité?
129. Êtes-vous
favorable à la discrimination raciale et à la distinction des classes sociales?
Cette
question-là peut s’expliquer par la «philosophie» de la scientologie qui classe
les individus en fonction de leur pureté, selon leur capacité à avoir éliminé
les thétans extra-terrestres qui sommeillent en eux. Autant dire que mon
opinion de «le racisme c’est moche» laisse la porte ouverte à toutes les
invasions extra-terrestres intergalactiques.
140. Lorsque
vous votez, votez-vous systématiquement pour le même parti plutôt que d’étudier
les candidatures et les questions faisant l’objet du suffrage?
Je
suppute que Ron Hubbard n’était pas un fervent lecteur de Schumpeter.
192. Vous
sentez-vous souvent affligé(e) par le sort des victimes de guerre et celui des
réfugiés politiques?
Mais
pas du tout, ils avaient qu’à faire comme moi et naître dans un meilleur pays.
59.
Considérez-vous que le système moderne des prisons sans barreaux soit voué à
l'échec?
Heu… Incertain?
Il y a les questions aussi
absurdes que «de quelle couleur était le cheval blanc de Henri IV?»:
72. À l'idée
d'une perte de dignité, êtes-vous perturbé(e) ?
Mais
alors absolument pas, qui pourrait être perturbé par ce genre de perspective?
123. Votre
opinion est-elle influencée par l’observation des choses à partir du point de
vue de votre expérience, de votre occupation ou de votre formation?
Non
puisque pour me faire une opinion j’arrive à sortir de moi-même grâce au
dédoublement de personnalité.
143. Avez-vous
pour habitude de critiquer un film ou un spectacle que vous avez vu ou un livre
que vous avez lu?
Dans
un élan de folie, j’ai répondu oui, ce qui, vous allez le voir, va me coûter
très cher.
Notons que les deux questions
concernant les enfants étaient… surprenantes.
98.
Useriez-vous de châtiment corporel sur un enfant de dix ans s'il refusait de
vous obéir?
Franchement,
pourquoi attendre qu’il ait dix ans?
149. Vous
arrive-t-il jamais d'être mal à l'aise en compagnie d'enfants?
Oui.
Surtout quand ils sont nus.
L’argent évidemment:
52.
Achèteriez-vous à crédit dans l’espoir de pouvoir continuer à honorer les
paiements?
Ça
a le mérite d’être clair.
Bonus
La question hommage à Michel Leeb
:
144. Lorsque
vous racontez une anecdote amusante, pouvez-vous aisément imiter les mimiques
et les façons de parler de l'incident original?
Ma
question préférée de tous les questionnaires du monde, Proust n’a qu’à
retourner mourir:
3.
Feuilletez-vous des indicateurs de chemin de fer, des annuaires ou des
dictionnaires, rien que pour le plaisir?
J’ai
répondu non, et figurez-vous que d’après mes recherches, la réponse qui selon
les scientologues prouve que vous êtes en bonne santé mentale c’est de dire que
oui, bien sûr, je regarde les horaires de la SNCF pour le plaisir, d’ailleurs
tout le monde le sait, le site de la SNCF c’est celui où on se détend le plus,
mais j’ai aussi un faible pour celui de la RATP.
Pour
toutes les questions psy, j’ai répondu en fonction du personnage que j’avais
créé et que j’avais appelé Emmanuelle Poulet (j’aime introduire un brin de
fantaisie dans mon travail). J’avais prévu qu’Emmanuelle Poulet était déprimée
et totalement dévouée aux autres, d’ailleurs elle travaille dans le secteur
social. Donc j’ai répondu positivement aux questions qui laissaient penser que
j’étais en pleine dépression et celles qui insistaient sur l’attention que je
porte aux autres. C’était pas très compliqué vu leur formulation :
«10. Est-ce que
les autres vous intéressent beaucoup?»
Bah
là, par exemple, j’ai répondu oui.
«13. Vous
intéressez-vous volontiers aux conversations des autres?»
Oui,
tout à fait.
En lisant les questions, on se
rend compte que la plupart sont formulées de manière à répondre oui. Ex:
«96.
Réglez-vous vos dettes ou respectez-vous vos promesses lorsque c'est possible?»
«20.
Considérez-vous que vous puissiez donner un jugement valable?»
«42.
Prenez-vous des précautions raisonnables pour éviter les accidents?»
«68.
Prenez-vous plaisir à exercer des activités de votre choix?»
Il
paraît peu probable qu’on réponde non, je ne tiens pas mes promesses, mon
jugement est nul, je m’ennuie quand je fais ce que j’aime. En faisant le test,
on a donc plutôt une impression positive. Comme il est dans l’intérêt de
l’Eglise de scientologie que votre résultat à l’ocatest soit mauvais, ça peut
paraître paradoxal.
Mais
en réalité, ces questions servent un double intérêt. D’abord, elles vont créer
un effet de surprise quand on découvrira que le bilan général de notre état est
catastrophique. Effet de surprise qui aide à déstabiliser la personne. Ensuite,
ces questions donnent plus de poids au résultat final. On n’a pas la sensation
d’avoir été manipulé pour nous forcer à faire des réponses négatives qui
justifieraient ensuite un mauvais résultat. Si le résultat est malgré tout
négatif, c’est qu’il doit bien y avoir quelque chose qui cloche profondément
chez nous.
J’avais
rempli le test depuis à peine dix minutes quand mon téléphone a sonné. C’était
une certaine Christelle de l’Eglise de scientologie qui souhaitait convenir
d’un rendez-vous au centre pour l’analyse de mon test. Et là, j’ai commencé à
me sentir mal à l’aise parce que Christelle était super chaleureuse.
En
fait, elle était tellement sympa que j’avais un début de culpabilité à l’idée
de la rouler dans la farine. Je me suis dit que c’était moche de lui faire ça.
Que j’allais voir comment se passerait l’entretien mais que s’il n’y avait rien
de spécial je n’allais pas faire un papier pour faire un papier et taper
gratuitement sur Christelle et son organisation qui finalement ne veulent que
sauver l’humanité. Je vous avoue qu’après le rendez-vous, j’ai considérablement
changé d’avis sur Christelle que je soupçonne d’avoir été élue reine de la
méchanceté sur la planète de Xenu.
Par Titiou
Lecoq
Source slate.fr/story/36855/scientologie-test
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