mardi 20 mars 2018

Billets-J’ai testé la scientologie et c’était pas bien: le test



Le volcan équatorien Tungurahua en novembre 2010. REUTERS/Carlos Campana

J’ai testé la scientologie et c’était pas bien: le test

Tout premier contact avec les fidèles de Ron Hubbard. 

 Pour mieux comprendre où je suis allée foutre les pieds, rappelons que la scientologie est une philosophie spirituelle qui prétend aider à mieux vivre au quotidien –c’est la partie qu’on appelle la dianétique– et qui a été inventée par un auteur de romans de science-fiction nommé Lafayette Ron Hubbard. D’un point de vue spirituel, la théorie de la scientologie se résume à peu près à:
Il y a 75 millions d’années, Xenu, un extraterrestre qui dirigeait une confédération galactique, s’est trouvé face à un problème de sur-population. Il décida alors de se débarrasser des habitants en trop en les envoyant sur terre où il les extermina à coup de bombes H. Une solution simple et efficace mais qui a engendré un léger problème pour nous autres, humains: les âmes de ces extraterrestres, appelées des thétans, vivent maintenant à l’intérieur de nous et nous parasitent à travers des images mentales négatives nommées engrammes. Le but de la scientologie est de nous aider à nous en débarrasser pour redevenir de véritables êtres humains.
(Ci-dessus: prospectus de l’Eglise de scientologie)

Bizarrement, quand j’ai annoncé que je voulais tester la scientologie, j’ai senti une vague d’inquiétude autour de moi, de mes collègues de Slate à ma mère qui aurait préféré que j’aille tester des spas en Normandie. L’Eglise de scientologie fait peur mais est-ce justifié? Je ne vais pas laisser planer un suspens insoutenable: oui, j’ai tout bonnement passé un des pires moments de ma vie.
Pour aller à la rencontre de nos amis les scientologues zinzins, j’ai commencé par faire le test de personnalité en ligne, aka l’ocatest pour Oxford Capacity Analysis mais qui en réalité n’a aucun lien avec l’université d’Oxford. Sur les 200 questions posées, il y a les choses attendues sur la vie et le rapport aux autres. Des questions assez cash, comme celle pour déterminer si vous êtes une authentique langue de pute:
«30. Eprouvez-vous du plaisir à raconter aux gens le dernier scandale concernant vos associés?».
Personnellement oui et je l’assume, surtout si ce sont des scandales qui incluent des perversités sexuelles, et, je veux rien laisser sous-entendre mais à la rédaction de Slate, c’est pas ce qui manque… Malheureusement, je n’ai pas pu répondre ça, on peut seulement cocher oui, non ou incertain. Trois choix un peu limités quand on voit le foutraque de questions. 
Foutraque au milieu duquel on trouve des questions sociétales:
«9. Estimez-vous que l'on devrait dépenser plus d'argent pour la sécurité sociale?»
Comme ça, d’entrée de jeu, en 9e question, ça m’a légèrement désarçonnée. 
88. Si nous envahissions un autre pays, ressentiriez-vous de la sympathie pour les objecteurs de conscience de ce pays-ci?
D’abord soyons clairs avec la syntaxe. On parle de le quel pays? De le pays-ci ou de le pays-là? Et puis, je refuse de répondre, je sens que c’est une question piège.
101. La jeunesse actuelle jouit-elle de plus d'opportunités que n'en avait la génération précédente?
Mais qu’est-ce que ça vient foutre au milieu d’un test de personnalité?
129. Êtes-vous favorable à la discrimination raciale et à la distinction des classes sociales?
Cette question-là peut s’expliquer par la «philosophie» de la scientologie qui classe les individus en fonction de leur pureté, selon leur capacité à avoir éliminé les thétans extra-terrestres qui sommeillent en eux. Autant dire que mon opinion de «le racisme c’est moche» laisse la porte ouverte à toutes les invasions extra-terrestres intergalactiques.
140. Lorsque vous votez, votez-vous systématiquement pour le même parti plutôt que d’étudier les candidatures et les questions faisant l’objet du suffrage?
Je suppute que Ron Hubbard n’était pas un fervent lecteur de Schumpeter.
192. Vous sentez-vous souvent affligé(e) par le sort des victimes de guerre et celui des réfugiés politiques?
Mais pas du tout, ils avaient qu’à faire comme moi et naître dans un meilleur pays.
59. Considérez-vous que le système moderne des prisons sans barreaux soit voué à l'échec?
Heu… Incertain?
Il y a les questions aussi absurdes que «de quelle couleur était le cheval blanc de Henri IV?»:
72. À l'idée d'une perte de dignité, êtes-vous perturbé(e) ?
Mais alors absolument pas, qui pourrait être perturbé par ce genre de perspective?
123. Votre opinion est-elle influencée par l’observation des choses à partir du point de vue de votre expérience, de votre occupation ou de votre formation?
Non puisque pour me faire une opinion j’arrive à sortir de moi-même grâce au dédoublement de personnalité.
143. Avez-vous pour habitude de critiquer un film ou un spectacle que vous avez vu ou un livre que vous avez lu?
Dans un élan de folie, j’ai répondu oui, ce qui, vous allez le voir, va me coûter très cher.
Notons que les deux questions concernant les enfants étaient… surprenantes.
98. Useriez-vous de châtiment corporel sur un enfant de dix ans s'il refusait de vous obéir?
Franchement, pourquoi attendre qu’il ait dix ans?
149. Vous arrive-t-il jamais d'être mal à l'aise en compagnie d'enfants?
Oui. Surtout quand ils sont nus.
L’argent évidemment:
52. Achèteriez-vous à crédit dans l’espoir de pouvoir continuer à honorer les paiements?
Ça a le mérite d’être clair.
Bonus
La question hommage à Michel Leeb :
144. Lorsque vous racontez une anecdote amusante, pouvez-vous aisément imiter les mimiques et les façons de parler de l'incident original?
Ma question préférée de tous les questionnaires du monde, Proust n’a qu’à retourner mourir:
3. Feuilletez-vous des indicateurs de chemin de fer, des annuaires ou des dictionnaires, rien que pour le plaisir?
J’ai répondu non, et figurez-vous que d’après mes recherches, la réponse qui selon les scientologues prouve que vous êtes en bonne santé mentale c’est de dire que oui, bien sûr, je regarde les horaires de la SNCF pour le plaisir, d’ailleurs tout le monde le sait, le site de la SNCF c’est celui où on se détend le plus, mais j’ai aussi un faible pour celui de la RATP. 
Pour toutes les questions psy, j’ai répondu en fonction du personnage que j’avais créé et que j’avais appelé Emmanuelle Poulet (j’aime introduire un brin de fantaisie dans mon travail). J’avais prévu qu’Emmanuelle Poulet était déprimée et totalement dévouée aux autres, d’ailleurs elle travaille dans le secteur social. Donc j’ai répondu positivement aux questions qui laissaient penser que j’étais en pleine dépression et celles qui insistaient sur l’attention que je porte aux autres. C’était pas très compliqué vu leur formulation :
«10. Est-ce que les autres vous intéressent beaucoup?»
Bah là, par exemple, j’ai répondu oui.
«13. Vous intéressez-vous volontiers aux conversations des autres?»
Oui, tout à fait.
En lisant les questions, on se rend compte que la plupart sont formulées de manière à répondre oui. Ex:
«96. Réglez-vous vos dettes ou respectez-vous vos promesses lorsque c'est possible?»
«20. Considérez-vous que vous puissiez donner un jugement valable?»
«42. Prenez-vous des précautions raisonnables pour éviter les accidents?»
«68. Prenez-vous plaisir à exercer des activités de votre choix?»
Il paraît peu probable qu’on réponde non, je ne tiens pas mes promesses, mon jugement est nul, je m’ennuie quand je fais ce que j’aime. En faisant le test, on a donc plutôt une impression positive. Comme il est dans l’intérêt de l’Eglise de scientologie que votre résultat à l’ocatest soit mauvais, ça peut paraître paradoxal.
Mais en réalité, ces questions servent un double intérêt. D’abord, elles vont créer un effet de surprise quand on découvrira que le bilan général de notre état est catastrophique. Effet de surprise qui aide à déstabiliser la personne. Ensuite, ces questions donnent plus de poids au résultat final. On n’a pas la sensation d’avoir été manipulé pour nous forcer à faire des réponses négatives qui justifieraient ensuite un mauvais résultat. Si le résultat est malgré tout négatif, c’est qu’il doit bien y avoir quelque chose qui cloche profondément chez nous. 
J’avais rempli le test depuis à peine dix minutes quand mon téléphone a sonné. C’était une certaine Christelle de l’Eglise de scientologie qui souhaitait convenir d’un rendez-vous au centre pour l’analyse de mon test. Et là, j’ai commencé à me sentir mal à l’aise parce que Christelle était super chaleureuse. 
En fait, elle était tellement sympa que j’avais un début de culpabilité à l’idée de la rouler dans la farine. Je me suis dit que c’était moche de lui faire ça. Que j’allais voir comment se passerait l’entretien mais que s’il n’y avait rien de spécial je n’allais pas faire un papier pour faire un papier et taper gratuitement sur Christelle et son organisation qui finalement ne veulent que sauver l’humanité. Je vous avoue qu’après le rendez-vous, j’ai considérablement changé d’avis sur Christelle que je soupçonne d’avoir été élue reine de la méchanceté sur la planète de Xenu.
Par Titiou Lecoq
Source slate.fr/story/36855/scientologie-test

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