Le Brexit va nous renvoyer face à nos ports
Les Anglais vont profiter du Brexit
en matière portuaire pour attirer des flux venus du Commonwealth, les
transformer sous-douane, avant de profiter des accords négociés avec l’Union
pour inonder le marché unique.
Le Brexit c’est
maintenant. Plus de six mois après, le choc est passé et l’on voit de ce côté
de la Manche que les Anglais vont vraiment le faire. Nous, Européens, mais
surtout Français, analysons ce que nous qualifions de catastrophe. Certes
l’idée d’une perfide Albion venant chatouiller notre rapport de force avec
l’Allemagne nous gênait, mais nous nous étions habitués.
Aujourd’hui, nous
analysons et nous spéculons sur le devenir de l’île et pour être francs, nous
la voyons déjà couler sans son ancrage au continent. Sans l’Union européenne,
la place financière londonienne n’a pas d’avenir, les négociations d’accords
commerciaux vont prendre des années et paralyser le pays, les barrières
douanières vont enfermer le pays, les capitaux vont fuir (tout comme les
Écossais, nos vieux alliés de circonstance), le chômage va grimper (comme en
France), la récession va mettre à mal le pays et peut-être même que la peste
bubonique fera son retour (nous venger d’Azincourt).
Pourtant, alors que
nous pérorons et ergotons, l’Angleterre gagne le tournoi des six nations et
travaille déjà au post-Brexit. Certes les Anglais sont des « boutiquiers »
comme disait Napoléon, mais c’est là leur force et l’agilité de leur empire sur
les affaires. Point de politique colbertiste, point de noblesse dans les
relations commerciales ; simplement des forces dynamiques qui cherchent des
solutions pour en faire commerce.
L’ouverture maritime, une question-clé
L’exemple des ports
est très révélateur de cet état de fait. Antoine Fremont, directeur de
recherche à l’Institut français des sciences et technologies des transports, de
l’aménagement et des réseaux, constate que sur la façade nord européenne qui
concentre les principaux ports européens, « La
question de la marginalisation du Havre est posée ». La logistique en
France, c’est 10 % du PIB et les ports sont les principaux points d’entrées et
sorties des flux.
Marseille est le
premier port de la Méditerranée, Rouen, le premier port céréalier d’Europe et
Le Havre est le premier port à conteneur du pays. Mais, alors que les ports
français progressent nominalement en matière de flux depuis une décennie, en
proportion, ils perdent des parts de marché au profit des ports du Nord. Des
ports du Nord, héritiers de la Ligue hanséatique, cette autre communauté de
boutiquiers.
Les candidats à la
présidentielle semblent faire peu de cas de l’économie maritime et de son
potentiel. La mer, dans les programmes, reste le symbole des énergies
renouvelables, et la pêche est la seule industrie qu’on lui prête. Le
colbertisme délaisse ses ports alors même que Le Havre fête ses 500 ans et
réclame des investissements en infrastructure.
Les atouts et les défis de Felixstowe
Il est à noter que
dans la course aux conteneurs que se livrent les ports de l’Europe du Nord,
Felixstowe, principale porte maritime anglaise, n’est pas vraiment mieux loti.
Pourtant les Anglais sont déjà en train de mettre en place des possibilités que
leur offre le Brexit pour développer leurs ports et faire mieux que rester dans
la course.
Traditionnellement, on
dit que la compétitivité d’un port tient tout d’abord de sa géographie.
Singapour, Panama, Tanger en sont les meilleurs exemples. Ensuite, le marché, à
la fois d’import et d’export est un impératif qui a été décliné avec le principe
de hub qui est une interface entre deux marchés distincts. Ainsi, Le Havre,
port naturel du bassin parisien bénéficie du premier marché européen.
Viennent ensuite
l’infrastructure et la performance qui y est liée. On note ainsi une course au
gigantisme avec des tirants d’eau de plus en plus importants et des cadences de
manutentions à la hausse. Les autres facteurs traditionnels de compétitivité sont
la fiabilité du service, la stabilité politique et sociale, la sûreté et la
bonne gouvernance des ports et des services vers le marché qu’on appelle
hinterland.
Ce que les Anglais ont
noté c’est que les points précités, le port de Felixstowe, comme le port du
Havre les possède ; ce ne sont donc que des prérequis. La logistique évolue et
ce n’est plus le port qui décide de l’orientation des flux. Ces derniers se font
de porte à porte et peu importe au chargeur quel est le port de passage, tant
que la marchandise arrive à destination en temps, en quantité et en qualité
demandés. Ainsi l’importance doit être donnée au service réactif, agile et de
porte-à-porte. Pour autant, cela ne veut pas dire que l’on doit absolument se
débarrasser des flux qui transitent. Il faut les capter avec des services
logistiques, de la transformation et de la valeur ajoutée ; c’est-à-dire
enchâsser le port dans un environnement propice au commerce.
Développer des places d’affaires… et des ports francs
Enchâsser les
activités portuaires dans un environnement d’affaires propice à l’attractivité
des flux, c’est ce que compte faire l’Angleterre post-Brexit. Les armateurs ne
sont plus les clients des ports. Leurs navires font escale là où il y a du
flux. Et il y a du flux là où les transitaires et les chargeurs le font passer,
là où ils sont implantés, là où ils ont leurs habitudes. Pour attirer ces flux,
on ne parle plus de ports, mais de complexes industrialo-portuaires. On
développe des places d’affaire avec des possibilités financières, des accords
douaniers, des accords de libre-échange, des infrastructures physiques et
informatiques, des outils marketing et des formations.
Le Havre n’est pas en
reste avec la Soget ou l’IPER qui sont des fleurons mondiaux, mais les Anglais
vont aller plus loin pour profiter du Brexit. Et l’Angleterre n’a pas attendu
que Theresa May envoie sa lettre à l’Union. Dès après le vote, un travail de
fond a été mené par des parlementaires anglais afin de trouver des solutions de
repositionnement du pays dans le commerce international. Parmi ces solutions,
les ports francs, ceux-là même qui ont fait les belles heures de Marseille,
Bordeaux, et Lorient, et continuent d’alimenter la quasi-totalité des plus
grands ports du monde ont retenu l’attention du gouvernement.
Les Anglais vont donc
profiter d’un statut de port franc qui est quasi banni de l’Union
européenne pour attirer des flux venus du Commonwealth, les transformer
sous-douane, avant de profiter des accords négociés avec l’Union, trop affolée
de laisser partir le Royaume, pour inonder le marché unique. Cette stratégie
devrait assurer à Felixstowe et aux autres ports, des flux, des emplois, de la
croissance, et finalement tout l’inverse de ce que nous prédisons en regardant
de l’autre côté de la Manche.
La brume nous empêche
de voir qu’on s’active de l’autre côté, mais surtout, il nous faut réaliser que
la mondialisation est une mondialisation de boutiquier. Notre colbertisme,
teinté d’une méfiance des valeurs de l’argent, a du mal à y trouver sa place.
Cet héritage de notre vieux fond catholique en délicatesse avec le commerce ne
voit de la noblesse qu’au travers des vaisseaux et ports de guerre, donc des
armateurs et des infrastructures. Nos ports sont d’ailleurs dirigés par des
ingénieurs des ponts, pas des commerçants comme dans la Hanse.
Or le commerce
international peut se cristalliser autour d’infrastructures majeures si des
forces dynamiques sont libres de venir s’accrocher autour du catalyseur.
L’enchâssement d’une zone franche portuaire n’est possible qu’au sein d’un
écosystème dynamique comme le montrent les exemples de Tanger-Med, de Shenzhen
ou de Dubaï. Mais c’est ce type d’infrastructure qui crée un cluster pérenne
car il permet de faire du commerce et donc créer des emplois. À l’inverse créer
des infrastructures pour attirer des flux c’est créer un port dans le désert
des Tartares… et ce ne sont pas les Anglais qui feraient ça.
Source contrepoints.org
Par Alexandre Lavissière.
Alexandre Lavissière, Enseignant-chercheur en management,
Laboratoire Métis, École de Management de
Normandie
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