Penelopegate : vraiment tous pourris ?
On est en droit de se demander si
ceux qui nous ressassent la litanie du « tous pourris » n’auraient pas en fin
de compte raison au vu du nombre d’affaires qui font sans cesse l’actualité.
Avec le
« Penelopegate », nous découvrons une nouvelle affaire, réelle ou
supposée, qui jette une fois de plus le doute sur la moralité de notre
personnel politique. Au regard de la suite continue d’affaires plus ou moins
comparables, impliquant de façon dramatiquement récurrente chefs de partis,
députés, ministres et parfois même ex-Président, on est en droit de se demander
si ceux qui nous ressassent la litanie du « tous pourris » n’auraient
pas en fin de compte raison.
Et peu à
peu, s’installe l’idée que, d’une façon ou d’une autre, l’objectif de nos
gouvernants est d’abord de se servir avant de servir le bien commun. Cette idée
procède-t-elle d’un fantasme ou correspond-elle à une réalité ? La
psychologie sociale nous fournit des pistes pour essayer d’aborder cette
question avec un certain recul.
De l’erreur fondamentale à
l’erreur ultime
C’est à partir des années 1940 que Fritz Heider jette les
bases d’une théorie qui compte parmi les plus importantes de la psychologie
sociale, la théorie de l’attribution causale.
S’intéressant à la manière dont nous tentons de donner du sens aux actions
d’autrui, Heider avance que nous aurions une nette préférence pour les
explications renvoyant aux caractéristiques internes des personnes, au
détriment des explications renvoyant à des contingences externes (les
circonstances).
En d’autres termes, lorsque nous nous interrogeons sur
les causes du comportement d’autrui, nous aurions tendance à les rechercher
dans la personnalité, les motivations ou les aptitudes de l’auteur du
comportement plutôt que dans les éventuelles circonstances pouvant expliquer
l’adoption de ce comportement. En 1977, l’Américain Ross appellera ce phénomène
« l’erreur fondamentale » en
supposant qu’il s’agissait là d’un biais universel de raisonnement. Mais des
recherches ultérieures montreront que ce biais peut être sérieusement modulé
par deux facteurs (Pettygrew, 1979).
Le
premier concerne la nature des relations entre l’acteur et l’observateur,
tandis que le second concerne la désirabilité sociale du comportement
(comportement valorisé, positif, etc.) que l’observateur tente d’expliquer. Par
exemple, lorsque l’observateur entretient une relation négative avec l’acteur,
il aura encore plus tendance à expliquer les comportements socialement
indésirables de ce dernier à partir de causes dites internes (personnalité,
motivations, aptitudes).
On devine alors que beaucoup de nos concitoyens, déçus
par l’action de nos gouvernants, doivent souvent commettre cette « erreur
ultime » lorsqu’ils sont confrontés aux
malversations réelles ou supposées d’un responsable politique. Ce qui les
conduit naturellement à inférer que puisque ce responsable est supposé avoir
commis un acte socialement indésirable, ce ne peut être qu’en raison de sa
malhonnêteté ou de sa cupidité.
L’oubli du contexte
Le corollaire de l’erreur fondamentale est tout aussi
intéressant que le phénomène lui-même. Le fait de privilégier des causes liées
à des dispositions personnelles pour expliquer un comportement s’accompagne en
effet d’un aveuglement étonnant concernant le contexte dans lequel ce
comportement s’est produit. Par exemple, quand après avoir assisté au
déroulement d’un jeu de quizz, des observateurs doivent estimer le niveau de
culture générale des joueurs, ils le jugent plus élevé chez le questionneur que
chez le questionné, oubliant totalement que le premier posait les questions,
mais détenait aussi les réponses (Ross, Amabile & Steinmetz, 1977).
Ce
phénomène d’aveuglement devrait attirer notre attention sur la validité des
explications que nous apportons aux comportements parfois répréhensibles de nos
responsables politiques. Lorsque nous expliquons ces comportements en nous
appuyant sur la malhonnêteté supposée de leurs auteurs, ne cédons-nous pas nous
aussi à l’erreur fondamentale ? Ne sommes-nous pas étrangement aveugles au
contexte dans lequel ces comportements apparaissent ?
Acteurs et observateurs
Les chercheurs qui se sont intéressés à l’explication des
comportements ont assez rapidement constaté que nous n’expliquons pas nos
propres comportements de la même façon que nous expliquons le comportement
d’autrui. Généralement, lorsque nous sommes acteurs du comportement nous
accordons beaucoup plus d’importance au contexte que lorsque nous sommes
spectateurs (Jones & Nisbett, 1972).
Plus précisément, il semble que l’acteur d’un comportement explique davantage
ce dernier par les raisons qui le motivent, raisons qui renvoient souvent aux
normes dominantes dans un contexte donné (Deschamps & Clémence, 2000).
Supposez
alors que vous vous trouviez vous-même dans un contexte où le flou législatif,
le manque de contrôle et les usages autorisent de possibles arrangements sans
le moindre risque, n’en profiteriez-vous pas ? Et n’en feriez-vous pas
profiter vos proches qui vous sont les plus chers ? En d’autres termes, il
n’est pas impossible d’envisager que certains contextes encouragent
l’apparition de certains comportements, indépendamment des dispositions
personnelles de leurs auteurs.
Vraiment, tous pourris les
politiques ?
Probablement
pas… Il n’y a aucune raison de supposer que le monde politique attire, plus que
d’autres, des personnalités malhonnêtes ou cupides. Mais tout porte à croire
que, comme cela pourrait se passer ailleurs, des réglementations trop souples
et des contrôles inexistants favorisent chez certains l’adoption de
comportements répréhensibles qui finissent par entrer dans les usages.
Il est
frappant à ce propos de constater à quel point nos politiques ont été peu
nombreux à s’exprimer à propos du « Penelopegate ». Eux qui sont
pourtant si prompts à s’indigner quand cette indignation sert leur intérêt
partisan. On a même vu, sur un plateau de télévision, un ancien député
socialiste expliquer devant son collègue des Républicains que François Fillon
pourrait dire à propos de son épouse « Elle
ne faisait que repasser mes pantalons », on ne pourrait rien lui
reprocher.
On
devine l’esprit de corps que révèle une telle scène et l’on ne peut que
redouter son impact sur l’opinion. Heureusement, ou malheureusement peut-être,
ceux-là mêmes qui crient au « tous pourris ! » se retrouvent
parfois à leur tour pris la main dans le pot de confiture.
Source contrepoints.org
Photo François Fillon by Fondapol (CC BY-NC-ND 2.0)
Par Pascal Moliner.
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