Fillon a définitivement atteint le point
Chirac
On sait maintenant que Fillon a
atteint le point Chirac, celui au-delà duquel n’importe quelle affaire devient
neutre dans le parcours politique du candidat.
François Fillon a atteint le point
Chirac, celui où plus aucune attaque sur la probité n’atteint la personne.
L’affaire de ses costumes en donne la preuve.
Les costumes de Fillon, la nouvelle boule puante ?
Il paraît que Fillon
s’est fait offrir des costumes de luxe pour une somme globale de 50.000 euros,
pendant plusieurs années. Le donateur est anonyme (probablement pas pour
Fillon, mais pour le commun des mortels). L’affaire est présentée comme un
nouveau scandale, mais elle ne semble pas affecter la campagne à ce stade.
Pourtant, et à
certains égards, elle soulève plus de questions que l’emploi de Pénélope. Vous
en connaissez beaucoup, vous, des gens, qui reçoivent des costumes à plus de
5.000 euros et qui trouvent ça naturel ? Là encore, on se met dans la peau d’un
chef d’entreprise qui reçoit des cadeaux de ce genre. L’administration fiscale
ne tarderait pas à lui demander des comptes pour savoir s’il s’agit ou non
d’avantages en nature non déclarés.
Visiblement, François
Fillon ne connaît pas les contraintes qui pèsent sur les entrepreneurs.
Dans le même temps, on
peut quand même se demander qui balance la boule puante.
Qu’appelle-t-on le point Chirac ?
Bref, on sait
maintenant que Fillon a atteint le point Chirac, celui au-delà duquel n’importe
quelle affaire devient neutre dans le parcours politique du candidat. Le
candidat des Républicains est désormais tellement blindé après le Penelopegate
que deux camps sont immuables et irréconciliables : ceux qui considèrent que,
quoiqu’il arrive ou quoiqu’il dise, il est un pourri ; et ceux qui considèrent
que, quoique ses détracteurs inventent sur lui, il est victime d’un complot.
C’est, rappelons-le,
dans cette configuration que Chirac a gagné la présidentielle de 2002. Sa
réputation était absolument exécrable et, entre les scandales des frais de
bouche, des emplois fictifs et des valises de liquide qui lui étaient apportées
par des seconds couteaux, plus personne ne pouvait avoir le moindre doute sur
la distance sibérienne qui le séparait de l’honnêteté. Malgré tout, 80% de
Français ont voté pour lui au second tour.
L’atteinte de ce point
s’explique largement par l’intensité outrancière du feu subi par Fillon au mois
de février sur la situation professionnelle de sa femme. Désormais, il a
franchi un cap. L’opinion s’est forgée, sur ce compte, une idée qui ne peut plus
bouger. Toute affaire nouvelle ne fait que confirmer l’opinion forgée
auparavant.
Quelle est l’origine politique du point Chirac ?
Dans certains pays,
spécialement au nord de l’Europe, aucun homme politique n’aurait pu survivre à
ce genre d’affaires. La démission en aurait été la seule issue.
En France, il existe
une tolérance tout à fait différente vis-à-vis des dérapages des élus. Elle
trouve probablement ses racines dans l’Ancien Régime. On a tous en mémoire
l’affaire Fouquet, du nom de « ministre des Finances » de Louis XIV
qui fut emprisonné pour corruption. La cause de sa chute ne tenait pas à la
corruption elle-même, mais à l’ampleur symbolique qu’elle avait prise. Les
fêtes de Fouquet étaient plus riches que celles du Roi lui-même.
Ainsi va l’esprit
courtisan en France. Historiquement, les élus, qui ont succédé à la noblesse,
considèrent qu’ils ont le droit de se « servir » et l’opinion
publique ne leur en garde pas forcément rancune. D’une certaine façon,
c’est cet obscur souvenir d’une tolérance vis-à-vis de la prévarication des
nobles que les Français convoquent lorsqu’un point Chirac est atteint.
Y a-t-il un délitement caché de l’opinion publique ?
Reste à savoir si
cette apparente passivité vis-à-vis d’un François Fillon au-delà du point
Chirac cache un délitement en profondeur de son électorat. Au-delà de son
simple cas, les boules puantes qu’il se prend sur sa probité détériorent-elles
encore un peu plus l’adhésion des citoyens au régime et les poussent-elles à
des votes de rupture ? À des stratégies dangereuses pour la démocratie ?
Source contrepoints.org
Par Éric Verhaeghe.
Éric Verhaeghe est président de
Triapalio. Ancien élève de l'ENA, il est diplômé en philosophie et en histoire.
Écrivain, il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril
2012). Il anime le site "Jusqu'ici tout va bien" http://www.eric-verhaeghe.fr/
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