vendredi 21 février 2020

Ma vie d’expat’ au Québec

Ma vie d’expat’ au Québec

Le témoignage de Didier : « Quand, à l’aller, l’avion atterrit à Paris, j’arrive chez moi. Quand, au retour, l’avion atterrit à Montréal, j’arrive chez moi. »


 Montréal-abdallahh(CC BY 2.0)

Le choc au sortir de l’avion, ce fut le froid. Pas le froid comme tel, à peine – 20, mais l’humidité. Glaçante et envahissante.

Dans le taxi où je m’étais réfugié, une conversation à bâtons rompus avec le chauffeur. Qui me reprocha, à moi et à tous les autres maudits Français, de les avoir abandonnés en 1763. Que répondre à cela ?

Au volant de sa grosse Dodge confortable et puissante, il ne tarissait pas d’éloge pour les petites Toyota qui commençaient à envahir les rues de Montréal. J’ai senti que je le décevais en ne partageant pas son enthousiasme.

Quelques heures plus tard, mes valises défaites, j’ai voulu aller respirer l’air de la ville. Je ne suis pas allé loin : trop d’incompatibilité entre mes chaussures de Parisien et la neige. Alors, je me suis arrêté dans le premier restaurant.

Un restaurant ? Non, un casse-croûte. Hot dog, hamburger, poutine, club sandwich, coke, seven up, café. Par curiosité, j’ai demandé un hot dog steamé. Toute une aventure…
Bienvenue en Amérique française !

Je l’aime, cette Amérique française. Dès ma descente d’avion. Je pensais y rester le temps d’une expérience, j’y ai passé ma vie.


anne beaumont-ALong Prine Albert(CC BY-SA 2.0)

Question travail, je n’ai pas été dépaysé. Journaliste j’étais, journaliste je suis resté.
À l’époque, entre la France et le Québec, il n’y avait pas vraiment de différence entre l’art et la manière de faire un journal et de pratiquer le métier. La culture journalistique était la même de part et d’autre de l’Atlantique.
À deux ou trois nuances près.

Celle de l’expérience. Mes quatre années de pratique en France et ma carte professionnelle comptaient pour rien aux yeux de mon employeur. Il m’a donc fallu commencer au bas de l’échelle, avec salaire à l’avenant.

Celle des relations entre collègues. Du rédacteur en chef au messager de la salle de rédaction, tout le monde était à tu et à toi. Relations décontractées et amicales à tous les étages. En apparence. Et il ne faut jamais se fier aux apparences.

Surtout, celle des mots : « Heille, chose, ferais-tu un follow up pour l’édition d’après-midi ? » Ou un round up. Ou un recast

On est au Québec. La sauvegarde de la langue française y est une lutte de tous les instants. Sauf au travail. Sauf chez le garagiste. Sauf avec le plombier.

Une anecdote. Quand je suis arrivé à Montréal, c’était le début de l’année. Le temps des soldes. Avec cette affiche sur la vitrine d’un magasin de tissu de la rue Sainte-Catherine : « Grand écoulement de blanc à la verge ».

Je suis resté à l’emploi du même quotidien pendant une quarantaine d’années et j’y ai fait une carrière intéressante. Les conditions de travail n’y étaient ni meilleures ni pires qu’en France, elles y étaient différentes.

Par exemple, le syndicalisme. En France, dans le journal où je travaillais, j’avais le choix d’être syndiqué ou de ne pas l’être. Sur le conseil des collègues, j’avais choisi de l’être et d’adhérer au Syndicat national des journalistes. Cette adhésion n’avait aucune incidence sur ma façon de fonctionner.

Au Québec, la question ne se posait pas : j’ai été obligé d’adhérer à l’unique syndicat de la salle de rédaction, syndicat affilié à une influente confédération. Cette adhésion comportait son lot de contraintes, notamment sur l’organisation rigide du temps de travail. Quant au coût de cette adhésion, il m’avait stupéfait et scandalisé : 3 % de mon salaire brut, prélevé automatiquement par l’employeur sur ma fiche de paye.

Au Québec, employeur et employés syndiqués sont liés par un contrat de travail appelé convention collective. Tous les trois ans, il faut négocier le renouvellement de cette convention collective et l’échelle des salaires. Parfois ça bloque. Et quand ça bloque, ça peut déboucher sur un arrêt de travail. Arrêt de travail provoqué les employés, c’est une grève, ou par l’employeur, c’est un lock out.

J’ai vécu deux grèves dans mon journal. L’une a duré dix mois. Oui, dix mois ! L’autre, tout juste deux mois.

Vivre une grève de dix mois, voilà une expérience que je ne souhaite à personne. C’est long, c’est débilitant, c’est dévastateur.

Les Français et les Québécois ont en commun l’usage du français. Paradoxalement, cette langue les rapproche tout en les séparant.

Une langue, ce sont des mots. Et nous n’utilisons pas les mêmes mots. Cela peut déboucher sur des situations cocasses. Comme celle de cette Française qui, au supermarché, demandait à voix haute : « Où sont passés mes gosses ? ». Les gens, derrière elle, se sont esclaffés.

Souvent, les Québécois reprochent aux Français de céder aux sirènes de l’anglais. J’ai cessé depuis longtemps de me laisser intimider par ce genre de reproches en me servant d’une pirouette : « Vous avez raison. Les Français stationnent leurs voitures dans un parking tandis que vous, les Québécois, vous parkez vos chars dans un stationnement ! »

Et c’est bien volontiers que je laisse mes amis québécois prendre une marche, pêcher un lac, skier une montagne ou rouler un char. Mais je dois confesser ceci : mon niveau d’anglais s’est considérablement amélioré depuis que je vis au Québec.

Depuis lors, j’ai compris que la langue française n’appartient pas aux Français, mais à tous ceux qui la parlent. Il y a autant de façons de la parler que de peuples qui l’utilisent. Ma façon de parler ne vaut pas mieux que celle des Québécois. Et réciproquement.

Que ce soit à cause de la langue ou que ce soit à cause du savoir-faire professionnel, vivre au Québec peut se révéler une expérience confrontante pour un Français. Malgré ses certitudes, et Dieu sait si les Français en ont, il n’a pas toujours raison.
Celui qui est capable de dépasser cette confrontation en sort grandi.

Vivre longtemps dans un pays ne veut pas dire être de ce pays. Un Français vivant au Québec restera toujours un Français. À cause de sa mentalité, à cause de son accent, à cause de ses goûts, à cause de ses références, à cause de ses souvenirs, à cause de ses émotions.

Après avoir séjourné une quinzaine d’années au Québec, j’ai pris le temps de réfléchir sérieusement à la question : qui suis-je, un Français ou un Québécois ?

Ayant ruminé la question tout un été, j’ai trouvé une réponse satisfaisante. À savoir que je suis un Français vivant au Québec et heureux d’y vivre. Depuis je m’assume comme tel et je m’en porte parfaitement bien. Et honni soit qui mal y pense.

Quand, à l’aller, l’avion atterrit à Paris, j’arrive chez moi. Quand, au retour, l’avion atterrit à Montréal, j’arrive chez moi. Autant à l’aller qu’au retour, j’en suis fort aise !


ERIC SALARD-Quebec(CC BY-SA 2.0)

Malgré des hivers interminables, malgré une fiscalité ahurissante, malgré des moeurs souvent rock and roll, malgré une cuisine discutable, malgré le prix astronomique des vins vendus par un monopole d’État, malgré l’invraisemblable pénurie de médecins, la vie au Québec est agréable.

Cette vie est agréable parce que les Québécois sont des gens chaleureux et attachants.

Pourquoi riait-on de la Française qui cherchait ses gosses ? Parce qu’au Québec le mot « gosse » est un synonyme de testicule.

Source contrepoints.org

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