vendredi 21 février 2020

Ma vie d’expat’ à Londres

Ma vie d’expat’ à Londres

Le témoignage de Jacques : « Toujours Français, mais plus vraiment chez moi en France. Plus british que beaucoup d’Anglais, mais toujours un petit peu étranger. Expatrié. »

Lorsqu’un homme est fatigué de Londres, il est fatigué de vivre ; car il y a à Londres tout ce que la vie peut offrir.


Pablo Fernandez-(CC BY-NC-ND 2.0)

Une présentation ?
Un témoignage ? Exercice difficile, je n’ai pas l’habitude de parler de moi – il y a bien des sujets ô combien plus intéressants ! Jacques, Vendéen de coeur, si ce n’est d’origine. Célibataire, bien que partageant la vie d’une jeune demoiselle depuis dix ans déjà – on ne rajeunit pas.

Quel est votre métier ?
Actuaire. Peu connaissent, du moins en France ; c’est dommage, un métier qui gagne à être connu, bien que la définition de l’Académie française ne soit pas particulièrement entraînante : spécialiste des calculs appliqués aux questions d’assurances, de finances et aux prévisions sociales.

Aujourd’hui je suis londonien, londonien depuis un peu plus de cinq ans déjà. Les chiffres diffèrent, ne sont pas réellement connus : sommes nous 200 000 ? 300 000 Français à Londres ? Peu importe, la présence française est indéniable. Proximité de la métropole, proximité de Paris : pour certains, l’occasion d’être à l’étranger sans vraiment y être : après tout, Londres-Toulouse est souvent plus rapide que Paris-Toulouse !

Souvent, l’apprentissage de l’anglais est l’argument avancé : pour beaucoup de professions, techniques en particulier, l’anglais n’est plus vraiment une langue étrangère. Dans une certaine mesure, comme le français l’a été, comme le latin l’a été encore avant, l’anglais est désormais la langue de la science, de la communication, des affaires. Et y a-t-il réellement un moyen d’apprendre une langue autrement que de vivre dans le pays ?

Mais cela n’explique pas la présence de tant de Français expatriés ; d’autres raisons reviennent régulièrement, citons en vrac : la City, capitale financière du monde, offrant de nombreuses opportunités aux jeunes diplômés ; une certaine flexibilité du marché du travail ; une économie qui est repartie ; un optimisme ambiant. Laquelle de ces raisons m’a-t-elle attiré ? Eh bien peut-être toutes, peut-être aucune. Aujourd’hui encore je ne sais pas trop si j’ai choisi Londres, ou si Londres m’a choisi !

Pourquoi être parti ?
Je n’ai jamais voulu travailler en France. Lors de ma première réelle recherche d’emploi (je ne compte pas la fin des études en apprentissage), j’ai choisi avec soin les entreprises qui m’intéressaient, en ai retenu six : 5 à l’étranger, 1 en France… mais qui pouvait envoyer ses employés dans les filiales étrangères au bout de quelques mois. Et je suis parti.

Pourquoi l’Angleterre ?
Partir fut étonnamment facile. Le fait que ce soit l’Angleterre a beaucoup aidé : la perfide Albion n’a-t-elle pas été notre meilleur ennemi durant plus d’un demi-millénaire ? Terre d’accueil de nombreux réfugiés français au cours des siècles, nos histoires sont tellement entrelacées que le choc culturel n’est pas si grand. Même si le diable est dans les détails ! Nous n’avons pas vu les mêmes programmes étant enfants, nous n’avons pas lu les mêmes classiques, nous n’avons pas les mêmes supermarchés : ne sous-estimez pas le temps que j’ai passé en vain à essayer de trouver ma marque de lessive habituelle, celle que ma mère prenait et sa mère avant elle !

J’aime l’Angleterre, ses villes, ses comtés, ses traditions. J’aime les Anglais, la langue anglaise, l’humour anglais, à froid, ironique. Et, surtout, j’aime Londres. J’aime la City, en particulier. L’atmosphère, bruyante, tourbillonnante, agitée. Vivante. Si je devais résumer Londres en un mot, ce serait celui-ci : cette ville est vivante. Des grues, partout. Des gratte-ciel côtoient l’église du XVIIème, l’horrible édifice du XXème, le pub du XVIIIème, immuable. Les édifices disparaissent, de nouveaux apparaissent ; des compagnies se créent, grandissent, meurent. La tradition côtoie la nouveauté, l’accueille, l’embrasse, comme en témoignent les 300 ans de traditions de la Lloyd’s, hébergée au sein d’une usine, d’un « musée Pompidou ».


Mariano Mantel-(CC BY-NC 2.0)

D’un point de vue professionnel, la différence avec la France est frappante. Une structure plus horizontale, un certain pragmatisme, une flexibilité incomparablement supérieure, un bulletin de salaire ô combien simplifié – juste trois lignes, rien de plus : brut, impôt sur le revenu, cotisations sociales. C’est lorsque je discute avec mes amis de promotion que je réalise ma chance : je n’ai pas leur bureaucratie, leurs grilles ; mais j’ai eu l’opportunité de prendre la tête d’une équipe après seulement quatre ans d’expérience : le travail fourni a joué, bien plus que les cheveux gris (et heureusement ! Je n’aurai plus de cheveux bien avant qu’ils ne grisonnent…)

Avez-vous rencontré des difficultés ?
Certes, tout n’est pas rose. Je ne citerai pas le système de trains/transports (que je trouve en fait globalement bon, meilleur que le réseau parisien !), mais le système de santé. Le système de santé anglais m’insupporte : collectivisé, fonctionnarisé, relativement inefficient pour le peu que j’ai eu à l’utiliser. Des réformes timides ont été passées, nous avons désormais la possibilité de choisir notre médecin traitant (auparavant, on dépendait d’un cabinet selon le secteur géographique…). Mais on est loin d’un système libre. De manière globale, je préférais le fonctionnement français. Ceci dit, j’ai cru comprendre que dernièrement la France sabotait joyeusement son système de santé… Le passé est sans doute de mise !

Vous sentez-vous encore Français ? Pourquoi ?
C’est une question difficile. Assez personnelle ; bien que je pense que tous les expatriés se la posent à un moment donné.

J’ai eu pendant les premiers mois la très nette impression d’arriver à l’étranger lorsque l’avion se posait à Gatwick, ou que l’Eurostar avait passé le tunnel. Puis, un jour, je ne saurais dire quand, je rentrai de deux semaines de vacances. Le vol avait été long. En passant la douane, une pensée ma traversé : « Enfin rentré à la maison ! ». Sensation étrange.


Pub Old Bank of England-Alessandro Grussu(CC BY-NC-ND 2.0)

Quelques mois plus tard, dans l’Eurostar, encore, rêvassant en regardant par la fenêtre. Je vois défiler la campagne françsaise. Pour la première fois depuis que je suis né, une pensée fugace me traverse l’esprit : je suis à l’étranger. En France. C’est une sensation étrange. I am a Londoner. Pour la première fois depuis que je suis parti, ces mots prennent tout leur sens.

Ma décision est prise, depuis un moment maintenant. Elle l’était sans doute avant cette réalisation. Je ne rentrerai pas. Hier, j’ai commencé les démarches pour devenir sujet de Sa Majesté, Queen Elizabeth the Second.

Malgré tout, je serai toujours Français. La France a une culture forte, quoique semblant être méprisée, oubliée, abîmée par la génération actuelle. Après tout, non seulement les plus grands auteurs ont écrit en langue française (les Hugo, Gide, évidemment, mais aussi les Dostoievski, Ionesco) mais nous avons conquis le monde ! Ou du moins la moitié, les Anglais ayant eu l’autre…

Toujours Français, mais plus vraiment chez moi en France. Plus British que beaucoup d’Anglais, mais toujours un petit peu étranger. Expatrié. Peut-être le seul point à retenir de ce texte beaucoup trop long : je ne regrette rien, j’aime la City, je ne compte pas rentrer en France ; je recommande cette expérience à tous. Mais, pour que ce soit une expérience réellement réussie, il faut la vivre pleinement, s’intégrer entièrement. Et, avant de franchir le pas, il faut avoir conscience de ce qu’expatrié veut dire. Partir, c’est mourir un peu.


Source contrepoints.org

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire