Longue vie au rire et à la liberté
Cette tentative sanglante de supprimer la satire
échouera, affirme un célèbre historien britannique.
L’assassinat
de la satire ne prête nullement à rire. Le terrifiant carnage commis à Charlie Hebdo vient nous rappeler, si besoin
était, que l’irrévérence est la sève vitale de la liberté. C’est lui rendre
hommage, quoique de façon détournée, de constater que les monstres à l’origine
de ce massacre ont si peur des assauts du rire que la seule voix qu’ils ont
trouvée pour les réduire au silence est celle des balles.
Les
publications comme Charlie Hebdo font
leur beurre de l’impertinence et de la licence, parfois de la grossièreté, mais
elles sont là pour nous rappeler qu’il ne faut jamais tenir le droit à
l’irrespect pour acquis. Il y a plus de trois siècles déjà que dans la
tradition européenne rire et liberté marchent main dans la main, affirmant
ensemble un droit des plus précieux, le droit à la dérision. La caricature fit
son apparition comme une arme dans les interminables guerres de religion qui
opposèrent catholiques et protestants.
Pour les
protestants, l’imprimerie apparut comme étant la réponse à l’iconographie de
l’Eglise catholique, qui était à leurs yeux l’instrument de conversion des
hérétiques et des sceptiques. Les partisans de la Réforme inventèrent ainsi une
anti-iconographie qui faisait des papes des monstres fantastiques et des rois
des ministres de la mort. Le premier grand caricaturiste moderne fut Romeyn de
Hooghe, recruté par Guillaume III à la fin du XVIIe siècle dans sa guerre
totale contre Louis XIV.
De Hooghe
lui fournit des dessins grand format où il représentait le conflit contre le
monarque français comme un combat entre la liberté et le despotisme religieux.
Au siècle suivant, la caricature connut un âge d’or dans le sillage des guerres
de religion : tous les coups étaient permis. Il incomba aux Britanniques de
réinventer la politique par l’humour et ils se mirent à l’ouvrage avec une
énergie débordante et une férocité jamais égalée.
Charlie Hebdo comme
porte-drapeau de la vie et du rire
La satire
était devenue la bouffée d’oxygène de la vie politique, un éclat de rire
salutaire qui se répandait dans les cafés et les tavernes par le biais de
caricatures diffusées tous les jours de la semaine. James Gillray, le plus
grand des caricaturistes de l’époque, était tellement demandé que Hannah
Humphrey, son éditrice, louait des albums entiers de ses meilleurs dessins pour
des soirées ou des week-ends.
Personne
ne pouvait rester de marbre en feuilletant ses dessins : devant un prince de
Galles bouffi après une nuit d’excès, un William Pitt, le Premier ministre,
dépeint comme un champignon vénéneux poussant sur un tas de fumier, ou encore
la reine Charlotte, les seins nus et flasques offerts à tous les regards,
tentant de retenir le Premier ministre et le Lord Chancellor. Gillray n’a été
arrêté qu’une seule fois – pour un dessin où l’on voyait des politiques
embrasser le postérieur d’un nouveau-né royal, mais il n’a jamais fait de
prison.
Il prenait
toutes les libertés mais n’était jamais inquiété. Cette grande tradition de la
satire fut transmise par ses héritiers en Grande-Bretagne, et ensuite en
Amérique et en Europe : Daumier et Cruikshank ; les fondateurs de Krokodil et
de Private Eye, de Spitting Image et du Canard enchaîné, mais aussi de Charlie
Hebdo. Hier, on a tenté d’étrangler nos rires. Mais, si les tartufes ont réussi
à tuer des dessinateurs, ils ne pourront jamais réduire à néant la satire et la
caricature. Bien au contraire.
Désormais,
Charlie Hebdo sera le porte-drapeau de
tous ceux qui choisissent la vie et le rire plutôt que le culte mortifère des
ténèbres moralisatrices. Malgré le sang, le chagrin et la colère, nous avons un
devoir envers les morts de Charlie : ne jamais oublier que ces déséquilibrés
ont beau être des assassins, ils n’en sont pas moins des guignols.
Dessin de Bado
Source courrierinternational.com
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