dimanche 11 janvier 2015

Billets-Longue vie au rire et à la liberté


Longue vie au rire et à la liberté

Cette tentative sanglante de supprimer la satire échouera, affirme un célèbre historien britannique.
 
L’assassinat de la satire ne prête nullement à rire. Le terrifiant carnage commis à Charlie Hebdo vient nous rappeler, si besoin était, que l’irrévérence est la sève vitale de la liberté. C’est lui rendre hommage, quoique de façon détournée, de constater que les monstres à l’origine de ce massacre ont si peur des assauts du rire que la seule voix qu’ils ont trouvée pour les réduire au silence est celle des balles.

Les publications comme Charlie Hebdo font leur beurre de l’impertinence et de la licence, parfois de la grossièreté, mais elles sont là pour nous rappeler qu’il ne faut jamais tenir le droit à l’irrespect pour acquis. Il y a plus de trois siècles déjà que dans la tradition européenne rire et liberté marchent main dans la main, affirmant ensemble un droit des plus précieux, le droit à la dérision. La caricature fit son apparition comme une arme dans les interminables guerres de religion qui opposèrent catholiques et protestants.

Pour les protestants, l’imprimerie apparut comme étant la réponse à l’iconographie de l’Eglise catholique, qui était à leurs yeux l’instrument de conversion des hérétiques et des sceptiques. Les partisans de la Réforme inventèrent ainsi une anti-iconographie qui faisait des papes des monstres fantastiques et des rois des ministres de la mort. Le premier grand caricaturiste moderne fut Romeyn de Hooghe, recruté par Guillaume III à la fin du XVIIe siècle dans sa guerre totale contre Louis XIV.

De Hooghe lui fournit des dessins grand format où il représentait le conflit contre le monarque français comme un combat entre la liberté et le despotisme religieux. Au siècle suivant, la caricature connut un âge d’or dans le sillage des guerres de religion : tous les coups étaient permis. Il incomba aux Britanniques de réinventer la politique par l’humour et ils se mirent à l’ouvrage avec une énergie débordante et une férocité jamais égalée.

Charlie Hebdo comme porte-drapeau de la vie et du rire
La satire était devenue la bouffée d’oxygène de la vie politique, un éclat de rire salutaire qui se répandait dans les cafés et les tavernes par le biais de caricatures diffusées tous les jours de la semaine. James Gillray, le plus grand des caricaturistes de l’époque, était tellement demandé que Hannah Humphrey, son éditrice, louait des albums entiers de ses meilleurs dessins pour des soirées ou des week-ends.

Personne ne pouvait rester de marbre en feuilletant ses dessins : devant un prince de Galles bouffi après une nuit d’excès, un William Pitt, le Premier ministre, dépeint comme un champignon vénéneux poussant sur un tas de fumier, ou encore la reine Charlotte, les seins nus et flasques offerts à tous les regards, tentant de retenir le Premier ministre et le Lord Chancellor. Gillray n’a été arrêté qu’une seule fois – pour un dessin où l’on voyait des politiques embrasser le postérieur d’un nouveau-né royal, mais il n’a jamais fait de prison.

Il prenait toutes les libertés mais n’était jamais inquiété. Cette grande tradition de la satire fut transmise par ses héritiers en Grande-Bretagne, et ensuite en Amérique et en Europe : Daumier et Cruikshank ; les fondateurs de Krokodil et de Private Eye, de Spitting Image et du Canard enchaîné, mais aussi de Charlie Hebdo. Hier, on a tenté d’étrangler nos rires. Mais, si les tartufes ont réussi à tuer des dessinateurs, ils ne pourront jamais réduire à néant la satire et la caricature. Bien au contraire.

Désormais, Charlie Hebdo sera le porte-drapeau de tous ceux qui choisissent la vie et le rire plutôt que le culte mortifère des ténèbres moralisatrices. Malgré le sang, le chagrin et la colère, nous avons un devoir envers les morts de Charlie : ne jamais oublier que ces déséquilibrés ont beau être des assassins, ils n’en sont pas moins des guignols.

 Dessin de Bado
Source courrierinternational.com

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