Djihadisme : quand « Timbuktu » dit tout !
Juste avant les fêtes de fin d’année 2014 est
sorti Timbuktu, le dernier film du réalisateur mauritanien d’Abderrahmane
Sissako, en compétition à Cannes mais ignoré lors du palmarès. Pourtant, il
s’agit d’un film capital, dont l’importance s’est – malheureusement – encore
accrue avec les événements tragiques du 7 au 9 janvier. Séance de rattrapage,
donc !
De Bamako à Tombouctou
En 2006, Sissako
surprend le monde du cinéma avec son film Bamako,
où l’on suit un procès fictif de la société civile africaine contre les
instances financières internationales, accusées de condamner tout le continent
à la misère. Sissako situe son procès dans la cour intérieure d’une maison des
quartiers populaires de Bamako. Autour et même parmi les avocats, juges et
témoins, la vie quotidienne continue sa routine. Les femmes lavent et font
sécher le linge, un mariage interrompt les délibérations et, dans la maison,
une tragédie familiale est en train de se produire. Cette imbrication des plans
et des récits veut évidemment renforcer la dimension politique du film mais
montre surtout que Sissako est d’abord un conteur qui veut et sait parler des
gens.
Le soir dans Bamako, une fois les tables et chaises du
procès rangées, les habitants de la maison regardent la télévision dans la
cour. Au programme, une parodie de western spaghetti, « Death in
Timbuktu », où le justicier Danny Glover (également coproducteur de Bamako) poursuit une bande de truands
quasi-burlesques (parmi lesquels Eliah Souleimane) qui assassinent au jugé les
habitants de la ville. Aujourd’hui, impossible de regarder cette étrange
séquence sans faire le lien direct avec Timbuktu
– il faut d’ailleurs remarquer que le réalisateur centre son dernier film sur
la même ville malienne de Tombouctou.
Ici encore, on voit
débarquer des hommes armés dans la ville : mais il ne s’agit plus
d’invasion de cowboys américains à cheval mais de djihadistes en pick-up. Ils
ont l’air de déambuler maladroitement dans les rues étroites et sur les toits.
Ils parlent de Zidane et de foot, fument en cachette – tout en décrétant en
même temps l’interdiction… du foot et de la cigarette ! Dans la mosquée,
ils se font rabrouer et congédier par le cheikh à cause de leur ignorance des
préceptes de l’Islam. Certains parmi eux n’arrivent même pas à se faire
comprendre en arabe et doivent communiquer en français ou en anglais avec leur
co-djihadistes. On en rirait presque. Tout comme l’on a envie de rire de cette
accumulation de téléphones portables, véritable objet fétiche des djihadistes
comme de la population, toujours en quête, d’une dune à l’autre, du
« réseau » providentiel !
Comme le spectateur du
film, la population de Tombouctou hésite avant de prendre la mesure de la
situation. Le foot est interdit ? Eh bien on jouera sans ballon ! Ce
qui donne sans doute la plus belle et plus émouvante séquence d’un film qui en
compte tant. La musique est prohibée ? On en fait derrière les portes fermées
le soir, quand le son semble venir de partout et de nulle part.
Violence réelle et violence symbolique
Pourtant, quelque
chose de très inquiétant est en train de se passer. Au début du film, le
réalisateur nous avait déjà avertis, à travers métaphores et
métonymies qu’il manie avec autant de maîtrise que l’art du récit : une
gazelle qui fuit devant un pick-up plein de djihadistes hilares en train de lui
tirer dessus, des masques traditionnels africains réduits en miettes par des
salves de kalachnikov – cocktail de violence réelle et de violence symbolique,
qui donne déjà la tonalité et le message du film.
Kidana et Satima,
jeune couple Touareg vivent quant à eux dans le désert, pas loin de la ville.
Contrairement aux autres, ils sont restés, avec leur fille Toya, bercés dans
l’illusion de « vivre comme avant ». Leur plus grande richesse ?
Une vache nommé GPS (!), gardée par le petit berger Issan. Tout bascule lorsque
GPS se coince dans les filets du pêcheur Amadou, qui l’abat. Kidane doit venger
GPS et son honneur, autre scène inoubliable dont la beauté n’est surpassée que
par le tragique.
Mais, comme les
habitants de la ville, Kidane finit par tomber, lui aussi, dans d’autres
filets : ceux des djihadistes. Son destin est doublement funeste, car il
est également victime d’un règlement de compte entre nomades et sédentaires du
Sahel. Il devient ainsi le symbole de toute la perversité des nouveaux maîtres
qui profitent des rivalités ancestrales pour régner.
Conte moral et politique
On a reproché au
réalisateur un regard à la limite de la bienveillance vis-à-vis des djihadistes
au début de son film, alors que dans la seconde partie, toutes leurs horreurs
sont exposées sans ménagement. Il est vrai qu’au départ, la subtilité de la narration,
qui avance à pas feutrés, comme les personnages du film, peut tromper. Sissako
tisse soigneusement sa toile par petites séquences, comme autant de fragments
d’un conte moral et politique, où le magnifique paysage de l’Afrique sahélienne
le dispute à la beauté des visages et des postures.
Mais il ne s’agit
nullement d’un leurre, encore moins d’une contradiction. Sissako témoigne de sa
parfaite compréhension de la véritable nature de l’islamisme djihadiste. Un
islamisme qui prend son temps avant d’exercer sa véritable terreur ; qui
recrute des « paumés » de toutes origines (y compris
française, dans le film comme dans la réalité) ; qui prône le
littéralisme coranique mais adore les derniers gadgets de la
postmodernité ; qui s’accompagne de pur et simple gangstérisme et
notamment de la prédation des femmes ; qui masque ses méfaits sous la Loi
prétendue d’une religion dont il ignore le B.A-BA ; des djihadistes
qui sont, en somme, des humains ordinaires – Sissako insiste à juste titre sur
ce point – mais qui ont décidé d’éteindre, en eux et dans les autres, la part
solaire de l’humain. « La banalité du mal », ou Hannah Arendt à
Tombouctou !
Le totalitarisme de notre temps
En ce sens, et c’est
le message centrale du film, un message que seul un musulman peut délivrer sans
être accusé de « stigmatisation » : le djihadisme d’aujourd’hui n’est
ni plus ni moins qu’une forme nouvelle du totalitarisme. Timbuktu résonne aussi, à travers le
parallélisme des scènes de tueries, comme un repentir de Sissako par rapport à Bamako. Non, ce n’est pas – ou ce n’est
plus – le FMI ou le capitalisme mondial qui frappe l’Afrique au cœur et à
l’âme, mais la terreur islamiste.
De même que l’histoire
militaire est remplie d’états-majors en retard d’une guerre, de même l’histoire
politique est pleine de responsables et de commentateurs en retard d’une
menace. Alors que tant d’entre eux sont obsédés par une possible résurrection du
fascisme des années 30, des loups, d’une autre engeance mais d’un même
appétit, sont entrés dans la ville. À Tombouctou comme à Paris.
Et c’est aussi pour
cette raison et pour cette mise en garde qu’il faut voir Timbuktu. De toute urgence.
- Timbuktu, drame franco-mauritanien d’Abderrahmane Sissako (sortie le 10 décembre 2014), avec Pino Desperado, Toulou Kiki, Abel Jafri et Fatoumata Diawara, durée 97 mn.
Source trop-libre.fr
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