Qui veut effacer son passé numérique ?
La Cour de justice européenne a estimé le 13
mai que les moteurs de recherche devront effacer certaines données à la demande
d'un usager si ces informations nuisent à son honneur. La presse internationale
réagit.
Accusé
d'assassinat, Miguel Carcaño purge à Séville une peine de prison de vingt et un
ans et trois mois. Jusqu'à maintenant, tout le monde avait accès à cette
information en cherchant son nom sur Google. "Imaginons qu'il demande, en
sortant de prison, la suppression de tous les résultats faisant référence à son
dossier pénal, arguant qu'ils nuisent à son droit à la protection des données
personnelles. Le feriez-vous ? Oui d'après la Cour de justice européenne.
La
décision judiciaire controversée prise à Luxembourg attaque le fondement même
d'Internet. (...) La recherche est l'outil fondamental d'Internet, un outil de
lien. On dirait que les juges n'ont pas compris comment fonctionnait Internet.
Et ils doivent expliquer aussi pourquoi ils privilégient le droit à l'honneur
par rapport à celui à l'information", écrit le quotidien espagnol El
Mundo.
La
réaction de ce journal est partagée par plusieurs titres. Ce qu'il faut
comprendre, estiment-ils, c'est le fonctionnement technique d'Internet et des
moteurs de recherche : la capacité de relier des contenus préexistants en les
indexant et les proposant de manière ordonnée aux usagers d'après les mots clés
introduits.
- Google, le gardien du droit à l'oubli ?
"Google
en tant que moteur de recherche ne créé ni ne détruit des contenus. Il les
relie. Pourtant, on demande à Google qu'il devienne le gardien du droit à
l'oubli. Au-delà de la difficulté pratique de sa mise en place, cette décision
pourrait créer un antécédent limitant la liberté d'information ou
d'expression", écrit El País.
Pour le
britannique The Independent, cela
pourrait s'avérer un moyen utile pour refaçonner notre empreinte digitale,
alors que les défenseurs de la protection de l'information y voient une
victoire contre les puissants géants de l'Internet. "Le principe est
intéressant au niveau personnel, mais déstabilisant de manière générale. On ne
peut qu'espérer que la défense du droit individuel de modifier son empreinte
digitale n'empiète pas trop sur le web et filtre ainsi les informations
légitimes d'intérêt public".
- Attention, purge !
Le portugais Público salue la décision mais évoque le même problème : "La
décision de la Cour de justice est historique et à la fois insuffisante pour
empêcher que les erreurs du passé présentes dans le monde virtuel ne viennent
assombrir notre futur dans la vie réelle. Mais elle peut limiter les
dommages." "Jusqu'à quel point la société a-t-elle le droit de
connaître le passé délictueux ou illicite d'un citoyen ? Le débat reste
ouvert", conclut le quotidien catalan La Vanguardia dans son éditorial.
Côté
américain, les réactions au jugement de la Cour européenne de justice sont
nombreuses et fortes. "Cette nouvelle décision change la donne pour les
entreprises américaines", titre le quotidien USA Today. Il en résultera
"des changements fondamentaux dans le domaine de la protection de la vie
privée, mais aussi dans l'économie de l'information de manière générale",
déclare au journal Trevor Hughes, président de l'Association internationale des
experts de la protection de la vie privée.
"Le
désir de permettre aux gens d'effacer des informations embarrassantes est
compréhensible, mais la décision de la Cour de justice européenne pourrait
fragiliser la liberté de la presse et la liberté d'expression", estime le
New York Times dans son éditorial. Demander aux moteurs de recherche de
supprimer des millions de liens des résultats de recherche pourrait avoir de
fâcheuses conséquences. "Avec une telle purge, les Européens pourraient
être moins bien informés ; les journalistes et dissidents auront peut-être
plus de mal à faire entendre leur voix", écrit le journal.
Dessin
de Cost
Source Courrier International
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