jeudi 22 mai 2014

Billets-Piscine Molitor le bain d'essai


Vue plongeante sur le grand bassin de la piscine Molitor rénovée (Paris 16e)

Piscine Molitor le bain d'essai

A peine réouverte à Paris, lundi 19 mai, la nouvelle piscine Molitor Art déco, parfaite réplique de l'édifice municipal dessiné par Lucien Pollet en 1929, déchaîne les passions. La polémique va bon train et la mairie s'en mêle. Car si Molitor renaît avec éclat, c'est sous la forme d'un hôtel pseudo balnéaire ouvert aux plus fortunés : deux étages de chambres et suites – de 300 à 800 euros la nuit – ont été rajoutés au-dessus des cabines de bain du grand bassin. Le Club Molitor, ouvert à mille membres, avec droit d'entrée de 1 200 euros et cotisation annuelle de 3 300 euros, donne accès aux deux piscines – de 46 et 33 mètres de long.

Le complexe a fort belle allure. Mais la mairie de Paris réclame une ouverture significative au public à des tarifs réduits. Le directeur général de Molitor, Vincent Mézard, lui, défend la rentabilité de son projet économique financé à hauteur de 80 millions d'euros par Colony Capital « sans aide publique », précise-t-il.

  • « Ouvrir plus ? impossible»
En 2009, l'opérateur financier, qui a remporté l'appel d'offres municipal, s'est engagé dans l'opération, contre un bail emphytéotique de cinquante-quatre ans signé avec la mairie : « Ce bail nous donne toute liberté d'action, rappelle-t-il. On a tenu notre budget et la date d'ouverture. Nous accueillons, trois jours et demi par semaine, les scolaires. Ouvrir plus ? C'est impossible pour la qualité de la baignade. On a besoin de plafonner le nombre des habitués. »


Le restaurant de la piscine Molitor version 2014, avec vue sur le grand bassin et plafond Art déco. | DR

  • 120 à 180 euros la baignade « d'essai »
Bref, si l'on n'est ni hôte ni membre du Club, on s'en tient au restaurant, à un verre sur le toit-terrasse, avec vue sur le stade Jean-Bouin et sa résille signée Rudy Ricciotti, ou encore aux hammam, jacuzzi et massages proposés au spa, à prix forts. Mais pas question, pour autant d'avoir droit de piquer une tête dans l'une des deux piscines. A moins de casser sa tirelire : la baignade, tarifée entre 120 à 180 euros selon la saison, est qualifiée de « séance d'essai » pour ceux qui envisagent de devenir membre.
Jack Lang, l'ancien ministre de la culture qui a fait classer, le 27 mars 1990, Molitor à l'inventaire des monuments historiques afin d'éviter sa démolition, monte au créneau pour défendre ce bien public devenu privé : « Ce qui est choquant, c'est que cette piscine, qui appartient à la mémoire collective pour son architecture et son art de vivre, soit transformée en un club purement privé réservé à une minorité de ''happy few'', s'emporte-t-il. La municipalité aurait pu mettre la main à la poche. »


La piscine Molitor version 2014 est augmentée en hauteur de deux étages de chambres. En arrière plan, le nouveau stade Jean-Bouin réalisé par l'architecte Ruddy Ricciotti. | DR

Par comparaison, le stade Jean-Bouin, tout neuf et réservé à une vingtaine de matches de rugby par an, a coûté 190 millions d'euros à la ville. « Paris n'avait pas de terrain de rugby de qualité, argumente Jean-François Martins, adjoint à la maire de Paris en charge des sports et du tourisme. L'amortissement se fera sur cinquante ans », précise l'adjoint au sport et au tourisme.
Dans le cas de Molitor, il s'agit d'un rare patrimoine Art déco parisien, qui aurait pu être sauvé en agissant à temps. Cela a été le cas pour la piscine Pontoise dans 5e arrondissement, de la même époque et du même architecte.


La piscine Molitor à Paris en 1985. | GILLES RIGOULET

  • 1989 Jack Lang écrit à Jacques Chirac
Comment en est-on arrivé là ? En 1989, la piscine ferme : elle est dangereuse, le concessionnaire ne réalise pas les travaux nécessaires. La démolition est programmée. Le 1er septembre 1989, Jack Lang, alors ministre de la culture, écrit à Jacques Chirac, maire de Paris : « L'architecte des bâtiments de France vient à juste titre de refuser le permis de démolir. (...) Je suis, en ce qui me concerne, disposé à mettre en œuvre tous les moyens dont je dispose pour en assurer la sauvegarde et la mise en valeur. » Chirac lui répond : « La ville de Paris ne saurait assumer, sans participation financière de l'Etat, les conséquences d'un choix où elle n'a eu aucune part. »
Dialogue de sourds. Le temps passe, la ville ne fait rien pour sauver le site emblématique. Les projets d'hôtels, logements et commerces avec parkings s'enchaînent. Tous rejetés. Les empoignades sont musclées. Au Conseil de Paris, en 1998 : « La ville ne défend pas ses intérêts financiers tout en gaspillant son patrimoine. Pour quels intérêts ?, demande Laure Schneiter, conseillère municipale du Mouvement des écologistes indépendants (...) Vous allez dépenser des dizaines de millions pour le réaménagement du Parc des Princes. (...) Je voterai contre ce massacre. »

  • Trente ans d’abandon
La construction de 400 chambres pour un prix de cession dérisoire, 4 800 francs le m2, sur ce site de 12 000 m2, à un promoteur immobilier, est évitée de justesse. Bertrand Delanoë, nommé maire en 2002, relance l'affaire. Et signe, en 2008, avec Colony Capital. En 2009, après trente ans d'abandon, squattée, taguée, Molitor, rendez-vous des nuits underground, est dans un tel état de décrépitude qu'il faut démolir pour reconstruire. Dominique Cerclet, conservateur en chef de monuments historiques le confirme. Malgré cette opération, le site classé garde son « inscription » sur la liste des monuments historiques.


Piscine Molitor à Paris (16e). Les barrières du bord du bassin ont été moulées pour être reconstruites à l'identique. | DR

  • A l’identique dans les moindres détails
Reconstruire « jusqu'aux fondations », précise Vincent Mézard, ingénieur de formation qui s'est découvert une passion. « Elle était non pas désuète mais insalubre, les structures avaient été attaquées par le chlore et l'eau. » Dans les moindres détails, le directeur s'assure de la juste réplique, de la couleur jaune tango des murs aux carreaux de ciments des mosaïques bleues, jusqu'aux luminaires et faux plafond Art déco du restaurant, fabriqués exprès. Seuls sont sauvés les vitraux du bar et les garde-corps du bassin d'hiver.


Le bassin couvert de 33 mètres de la nouvelle piscine Molitor (Paris 16e). | DR

Fin mars, le slogan « Pool, Art and Life » lance l'opération médiatique orchestrée par Image 7 : l'anglais, c'est sans doute chic. Jusqu'au nom de l'hôtel, MGallery – pour Memorable Hotel By Accor –, qui accompagne la première campagne de réservation. Trois fois plus de clients que de chambres ont répondu à l'appel. Le succès promet. Rolland Garros est à deux pas ; comme le Parc des Princes, les serres tropicales du jardin d'Auteuil, menacées par l'agrandissement du fameux stade de tennis, ou encore l'hippodrome d'Auteuil.

  • Rendez-vous le 5 juin
Contrant la fronde, Vincent Mézard se dit prêt au dialogue avec la mairie et réfléchit à une « nouvelle offre dédiée à une clientèle de nageurs, mais jamais au tarif municipal », prévient-il.
Pour sa part, Jean François Martins rappelle que le projet global présenté par Colony Capital et Accor, qui a emporté la décision du Conseil de Paris et celle de Bertrand Delanoë, alors maire, comprenait « un bassin d'hiver accessible au grand public et aux scolaires. Cet élément, dit il, ne peut pas, par nature, être inscrit dans le bail, mais l'engagement est éthique et moral ». Rendez-vous est pris entre les deux parties, le 5 juin.

Source Le Monde.fr a le plaisir de vous offrir la lecture de cet article habituellement réservé aux abonnés

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