lundi 5 novembre 2018

Billets-Une gauche française passéiste


Une gauche française passéiste

A Rome comme à Paris, les partis de gauche sont déchirés entre l'obligation de “réformer” et la fidélité à leur identité idéologique. En Grande-Bretagne et en Allemagne, la rupture est consommée.
 
En Europe occidentale, tout revirement réformiste a un prix : il ravive la guerre des gauches. C'est aujourd'hui le cas en France et en Italie, derniers bastions idéologiques d'une gauche immobiliste et conservatrice qui redoute le moindre changement comme une profanation – voire une trahison – de son identité et applaudit la moindre résistance corporatiste en invoquant rituellement les principes sacrés bafoués par “l'usurpateur” de service.

Les pilotes d'Air France qui paralysent le pays pour protester contre les plans de développement de la filiale low-cost du groupe sont les alter ego transalpins des gardiens du temple italiens, investis d'une mission : défendre le dogme de l'article 18 [Matteo Renzi souhaite supprimer cet article du Code du travail qui protège les salariés en contrat indéterminé de tout licenciement abusif], une clause toujours plus éloignée de la réalité du monde du travail, de l'horizon existentiel des jeunes, des travailleurs des petits entreprises et des commerces, des anciens et des nouveaux précaires, des anciens et des nouveaux chômeurs.

Remède de cheval
Les virages réformistes ont un coût en terme de popularité et d'opinions favorables. Tony Blair a engagé une bataille interminable et impitoyable contre l'establishment de l'ancien Labour [le Parti travailliste britannique], aussi puissant que décrépit. Et c'est uniquement grâce à cette offensive courageuse qu'il a réussi à briser la longue hégémonie des Tories [le Parti conservateur] thatchériens.

Dans l'Allemagne de 2003, il a fallu toute la hardiesse du leader social-démocrate de l'époque, Gerhard Schröder, pour présenter un projet de réforme du marché du travail : “Nous allons réduire les prestations sociales de l'Etat, promouvoir la responsabilité individuelle et exiger une plus grande contribution de la part de tous.” Ce fut un remède de cheval pour la gauche allemande, qui s'est déchirée, ébranlée sur ses bases, et a payé un lourd tribut électoral. Mais il a contribué aux réformes dont l'Allemagne avait besoin et qui font aujourd'hui la différence avec les nations de l'Europe méditerranéenne et latine.

Maximalisme idéologique
C’est au tour de la France et de l'Italie, berceaux de la gauche “latine” et nations profondément marquées par leurs traditions politiques et syndicales, retranchées derrière leurs certitudes idéologiques. Là encore, la guerre entre les deux gauches s'annonce féroce et sanglante. La France de Hollande ne pourra sûrement pas se contenter de limoger trois ministres du gouvernement Valls, en particulier le ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg, remplacé par le nouveau ministre Emmanuel Macron, un socialiste au passé de banquier.

Sous Mitterrand déjà le maximalisme idéologique de la gauche française avait encaissé de sérieux coups. La gauche socialiste avait payé la rançon de son alliance avec le Parti communiste français au début du mitterrandisme. Cette phase avait été marquée par une guerre entre les deux gauches qui s'était provisoirement achevée par la défaite de la plus archaïque et conservatrice des deux.

Tabous coriaces
En Italie, Massimo D'Alema a été le premier à porter l'étendard d'un réformisme capable de défier les tabous et les veto d'un syndicat imperméable aux innovations les plus radicales dans le monde du travail : mais le bras de fer fut vigoureusement remporté par la Confédération générale italienne du travail [CGIL] de Sergio Cofferati qui, quelques années plus tard, en entraînant dans la rue l'ensemble de la gauche politique de l'époque, réussit à déjouer la tentative de Berlusconi pour modifier l'article 18 du Code du travail.

Aujourd'hui, la France et l'Italie se trouvent de nouveau à la croisée des chemins : braver des tabous coriaces apparemment invincibles ou bien se rabattre sur un compromis minimaliste qui pourrait peut-être préserver l'“âme” de l'ancienne gauche, mais décevrait une énième fois l'ambition d'une gauche moderne et enfin libérée de ses dogmes.

Dessin de Hachfeld (Allemagne)
Source courrierinternational.com

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