Une gauche française passéiste
A Rome comme à Paris, les partis
de gauche sont déchirés entre l'obligation de “réformer” et la fidélité à leur
identité idéologique. En Grande-Bretagne et en Allemagne, la rupture est
consommée.
En Europe
occidentale, tout revirement réformiste a un prix : il ravive la guerre des
gauches. C'est aujourd'hui le cas en France et en Italie, derniers bastions
idéologiques d'une gauche immobiliste et conservatrice qui redoute le moindre
changement comme une profanation – voire une trahison – de son identité et
applaudit la moindre résistance corporatiste en invoquant rituellement les
principes sacrés bafoués par “l'usurpateur” de service.
Les
pilotes d'Air France qui paralysent le pays pour protester contre les plans de
développement de la filiale low-cost du groupe sont les alter ego transalpins
des gardiens du temple italiens, investis d'une mission : défendre le dogme de
l'article 18 [Matteo Renzi souhaite supprimer cet article du Code du travail
qui protège les salariés en contrat indéterminé de tout licenciement abusif],
une clause toujours plus éloignée de la réalité du monde du travail, de
l'horizon existentiel des jeunes, des travailleurs des petits entreprises et
des commerces, des anciens et des nouveaux précaires, des anciens et des
nouveaux chômeurs.
Remède de cheval
Les
virages réformistes ont un coût en terme de popularité et d'opinions
favorables. Tony Blair a engagé une bataille interminable et impitoyable contre
l'establishment de l'ancien Labour [le Parti travailliste britannique], aussi
puissant que décrépit. Et c'est uniquement grâce à cette offensive courageuse
qu'il a réussi à briser la longue hégémonie des Tories [le Parti conservateur]
thatchériens.
Dans
l'Allemagne de 2003, il a fallu toute la hardiesse du leader social-démocrate
de l'époque, Gerhard Schröder, pour présenter un projet de réforme du marché du
travail : “Nous allons réduire les prestations sociales de l'Etat, promouvoir
la responsabilité individuelle et exiger une plus grande contribution de la
part de tous.” Ce fut un remède de cheval pour la gauche allemande, qui s'est
déchirée, ébranlée sur ses bases, et a payé un lourd tribut électoral. Mais il
a contribué aux réformes dont l'Allemagne avait besoin et qui font aujourd'hui
la différence avec les nations de l'Europe méditerranéenne et latine.
Maximalisme idéologique
C’est au
tour de la France et de l'Italie, berceaux de la gauche “latine” et nations
profondément marquées par leurs traditions politiques et syndicales,
retranchées derrière leurs certitudes idéologiques. Là encore, la guerre entre
les deux gauches s'annonce féroce et sanglante. La France de Hollande ne pourra
sûrement pas se contenter de limoger trois ministres du gouvernement Valls, en
particulier le ministre de l'Economie, Arnaud Montebourg, remplacé par le
nouveau ministre Emmanuel Macron, un socialiste au passé de banquier.
Sous
Mitterrand déjà le maximalisme idéologique de la gauche française avait
encaissé de sérieux coups. La gauche socialiste avait payé la rançon de son
alliance avec le Parti communiste français au début du mitterrandisme. Cette
phase avait été marquée par une guerre entre les deux gauches qui s'était
provisoirement achevée par la défaite de la plus archaïque et conservatrice des
deux.
Tabous coriaces
En Italie,
Massimo D'Alema a été le premier à porter l'étendard d'un réformisme capable de
défier les tabous et les veto d'un syndicat imperméable aux innovations les
plus radicales dans le monde du travail : mais le bras de fer fut
vigoureusement remporté par la Confédération générale italienne du travail
[CGIL] de Sergio Cofferati qui, quelques années plus tard, en entraînant dans
la rue l'ensemble de la gauche politique de l'époque, réussit à déjouer la
tentative de Berlusconi pour modifier l'article 18 du Code du travail.
Aujourd'hui,
la France et l'Italie se trouvent de nouveau à la croisée des chemins : braver
des tabous coriaces apparemment invincibles ou bien se rabattre sur un
compromis minimaliste qui pourrait peut-être préserver l'“âme” de l'ancienne
gauche, mais décevrait une énième fois l'ambition d'une gauche moderne et enfin
libérée de ses dogmes.
Dessin de Hachfeld (Allemagne)
Source courrierinternational.com
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