Le cerveau choisi le classement de ce qu’il doit
mémoriser
Jusqu’à ces deux
études séparées et publiées dans les PNAS il y a quelques jours, on croyait la
capacité de mémorisation du cerveau humain illimitée ou presque sans qu’on
n’ait jamais pu prouver cet a priori. On a en effet coutume de considérer qu’on
est loin, très loin, d’utiliser la totalité des potentialités de notre cerveau
et que par conséquent un meilleur apprentissage de nos capacités de
mémorisation pourrait éventuellement décupler notre aptitude à emmagasiner des
informations variées, utiles ou non. Or ces deux études montrent clairement
qu’il n’en est rien et que le cerveau se comporte sans que l’on en soit
conscient comme le disque dur d’un ordinateur. Comparer le cerveau à un disque
dur d’ordinateur n’est peut-être pas vraiment adapté mais au moins cela permet
d’expliquer comment les choses se passent dans la réalité selon ces deux
études. Quand on a atteint les limites de stockage d’un disque dur, on décide
d’éliminer les fichiers qui ne sont plus que rarement utilisés pour libérer de
l’espace de mémoire. Cette opération est faite délibérément. Le cerveau fait un
peu la même chose mais ce processus est totalement inconscient, et c’est ce
qu’ont montré ces deux études.
Dans la première
approche, 55 participants ont été soumis à un exercice de perception visuelle
durant lequel ils voyaient défiler pendant moins d’une seconde des images
montrant simultanément quatre photos. Quatre visages identiques, ou deux
visages et deux paysages, ou encore quatre objets identiques ou deux objets et
deux visages, tout en suivant l’activité cérébrale par imagerie fonctionnelle
par résonance magnétique nucléaire (fMRI). Immédiatement après avoir visionné
ces images, on demandait aux participants, toujours en cours d’examen par fMRI,
de nommer les images ou les photos dont ils se souvenaient, c’est-à-dire celles
que le cerveau avait mémorisé pendant l’exercice.
La perception visuelle
est traitée par le cortex visuel situé à l’arrière du cerveau dans la région
occipitale. Les informations sont stockées dans une autre partie du cerveau
appelée le cortex occipito-temporal et dans des régions discrètes de ce dernier
et séparées les unes des autres selon qu’il s’agit de photos de visages, de
maisons, d’objets ou de paysages, c’est ce qu’a montré la fMRI. L’activation de
ces différentes zones de mémorisation dépend, selon cette étude, de la nature
des images soumises aux sujets en cours d’étude. La mémorisation des visages
est par exemple systématiquement plus efficace si, sur une image, il y a deux
visages et deux paysages en comparaison d’une autre image avec seulement quatre
visages. Le cortex visuel effectue donc un tri et envoie pour mémorisation une
partie des informations que lui a envoyé la rétine. Toujours par fMRI, l’équipe
de chercheurs de l’Université d’Harvard a ainsi montré que le cerveau
effectuait de lui-même un classement des informations selon leur importance et
les stockait dans des zones du cerveau différentes les unes des autres.
En quelque sorte, le
cerveau s’arrange pour qu’il n’y ait pas « d’embouteillage » au niveau des
circuits neuronaux reliant ces zones du cortex relativement éloignées les unes
des autres en effectuant une sorte de tri totalement indépendant de notre volonté.
Dans une autre étude,
effectuée cette fois à l’Université du Texas à Austin, l’approche était
différente car la stimulation visuelle consistait à montrer des séries de trois
photos, des objets, des paysages ou des visages, et à demander aux
participants, après les deux premières photos, quelle était leur supposition
quant à la nature de la photo suivante, par exemple un visage, après deux
visages ou un objet après deux objets. Et parfois on montrait alors au sujet un
paysage alors qu’il aurait souhaité voir un visage. Le but du test était de
faire en sorte que chaque sujet se soumette en réalité à un classement des
photos qu’on lui montrait, le visage d’un homme ou d’une femme, ou encore une
scène prise à l’extérieur ou à l’intérieur d’une maison. Dix minutes après
avoir visionné ces groupes de 3 images successives, 144 illustrations au total
soit 48 séries de trois photos, on soumettait les participants à l’étude à un
test surprise en leur montrant à nouveau toutes les images qu’ils avaient
visionnées précédemment dans un certain ordre, mais en introduisant au hasard
dans la série 48 autres images qu’ils n’avaient jamais vues. On demandait alors
à chaque sujet au cours de cette deuxième partie du test d’identifier les
images dont ils se souvenaient et celles qu’ils n’avaient encore jamais vu en
essayant simultanément d’établir une note concernant le degré de certitude de
leur réponse. Il faut se souvenir pour bien comprendre la signification du
second test que lors de la première partie de l’investigation, les séries de
trois images étaient ordonnées pour que les sujets de l’étude anticipent la
nature de la troisième image qu’il leur était donnée de voir au cours du test.
Comme on pouvait s’y attendre un peu, au cours du second test surprise les divers
sujets soumis à l’étude arrivaient beaucoup moins bien à se souvenir des deux
images qu’ils avaient déjà vu quand la troisième image était hors contexte,
donc jamais vue auparavant.
Les chercheurs en ont
déduit que le cerveau est loin de tout mémoriser de manière identique et
effectue donc un classement suivant un certain ordre de priorité. Ce classement
a également pour but d’alléger les interconnexions entre les zones du cortex cérébral
et d’éviter ainsi un encombrement préjudiciable à la bonne qualité du processus
de mémorisation mais également de mettre « à la corbeille » des informations
jugées, de manière totalement inconsciente, « inutiles » afin de préserver un
espace de mémorisation suffisant. Peut-être un début d’explication de l’oubli
involontaire que l’on peut parfois constater et qui n’a rien à voir avec la
perte de mémoire.
Aussi incroyable que
cela puisse paraître, le cerveau gère donc automatiquement et inconsciemment le
processus de mémorisation. Pour en revenir à la comparaison avec un ordinateur,
ce serait un peu comme si on disait à ce dernier de trier tous les e-mails
reçus dans la boite de courrier électronique automatiquement sans qu’on
intervienne directement et de mettre à la corbeille tous les messages que
l’ordinateur classerait de lui-même comme indésirables, la corbeille se vidant
également automatiquement. Le cerveau est donc bien une incroyable machine à
traiter les informations avec ses propres critères dont on est totalement
inconscient !
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