Nous sommes le plus souvent endormi par la vie, le succès, le confort, mais aussi par les soucis quotidiens, nos petites occupations, nos loisirs « et chacun de nous meurt affairé » comme dit si bien Épicure. Le réveil arrive parfois, le plus souvent brutalement et dans la douleur : un accident, un drame ou une quelconque épreuve vient bouleverser notre petite tranquillité, notre petite indifférence paresseuse. Et là l’essentiel s’impose: malgré tout le réconfort de nos proches, y-a-t-il une raison à notre malheur? Un sens à notre existence? y-a-t-il une aide surnaturelle qui viendrait tout régler pour le mieux? y-a-t-il un réconfort absolu d’un Être tout aimant?
Être athée, c’est vivre sans ce réconfort, sans cette aide, sans réponse à nos questions de sens. Apprendre à vivre entre hommes, seul, sans Providence ni réconfort transcendant: voilà l’exigence morale de l’athée. Être athée c’est apprendre à voler de ses propres ailes, c’est être responsable de ses valeurs et de sa morale. Dure exigence, mais oh combien satisfaisante… Sincèrement, vivre sans notre illusion qu’il existe quelque part quelqu’un ou quelque chose qui correspond à nos désirs les plus forts c’est prendre un rude chemin, le plus étroit de tous et le moins emprunté. Pourquoi renoncer au réconfort et au sens? Pourquoi l’athéisme? Par lucidité, par amour du réel, même indifférent et silencieux qu’il est, par refus de se soumettre à nos illusions i.e. à prendre nos désirs les plus chers pour la réalité qui n’a pas l’habitude de coïncider avec nos désirs, même les plus infimes : que penser du désir de tous nos désirs? Être athée c’est avoir le bonheur comme fin et la vérité comme norme. C’est apprendre donc à être heureux dans la lucidité: telle est l’exigence première d’une âme philosophique, telle est la voie de la sagesse…
Être athée c’est comprendre qu’il n’y a qu’un seul monde, celui-ci, notre monde naturel si impitoyable et si indifférent à nos désirs; un monde silencieux qui n’a rien à dire qui n’écoute pas, un monde ou tout est hasard et nécessité. C’est comprendre qu’il n’y a qu’une seule vie, celle-ci. Apprendre à vivre seul sans dieux, c’est apprendre à mourir, toutes nos petites morts, jusqu’à la dernière. C’est apprendre que le devenir emporte tout, que rien ne dure éternellement et donc que rien ne mérite qu’on s’y cramponne, qu’on s’y enchaîne, pas même nos rêves…
Désespérance, la mort aura le dernier mot, qui n’en est pas un…
Être athée pourtant c’est s’apercevoir que tout est à faire, tout est à inventer. C’est prendre conscience que nous avons à charge de devenir humain, nous qui le désirons tant: humain, jamais trop humain… Être athée c’est apprendre à être responsable du seul monde que nous avons, à préserver ses richesses naturelles et culturelles et donc apprendre le respect de la diversité. Tolérance et miséricorde, nous sommes seuls, nous ne pouvons compter que sur nous…
Être athée enfin, c’est lutter. Lutter contre nos propres illusions, contre le fanatisme, l’intolérance et l’indifférence. C’est lutter pour un monde plus humain et en paix. Être athée c’est donc construire notre tour de Babel sans que les dieux viennent semer la discorde entre les hommes…
On pourrait se demander pourquoi tant de philosophie et tant d’athéisme? Et justement, à quoi bon tant penser si la vie n’en devenait plus heureuse, plus vertueuse et plus acceptable? Un maître en incroyance, athéisme et matérialisme, André Compte-Sponville aime à répéter la définition Épicure de la philosophie: «La philosophie est une activité qui, par des discours et des raisonnements, nous procure la vie heureuse.» Ayons donc la vie pour objet, la raison pour moyen, la vérité comme norme et le bonheur pour but. Pardonnons à Dieu ou au Destin de n’être pas et vivons du mieux que nous pouvons…
C'est un beau texte.
RépondreSupprimerCommentaire sincère.
merci pour ce texte que je m'empresse de distribuer.
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