La pub Shalimar
On a essayé de comprendre ce que pouvait bien
raconter la pub Shalimar
Diffusée dans les cinémas, une luxuriante
publicité pour le parfum Shalimar déclenche la colère des spectateurs.
Il est rare de voir une publicité sifflée et huée au
cinéma. C'est pourtant ce qui est en train d'arriver à la dernière réclame du
parfum Shalimar de Guerlain, qui suscite une avalanche de papiers meurtriers.
Diffusé juste avant le film, cet incroyable court-métrage
de 5 minutes 46 est un concentré d'essence de
symbolisme torride dont chaque seconde a coûté pas moins de 11 000 euros.
De quoi
parle ce film ? Personne ne sait vraiment. Essayons ensemble d'y voir plus
clair en revenant à l'essentiel : l'histoire. A l'origine, cette œuvre conte la
« légende de Shalimar », très inspirée de la destinée de la princesse indienne
Mumtaz Mahal, morte après avoir donné naissance à son quatorzième enfant, et
pour qui son mari, le Shah Jahan, fit ériger, en toute modestie, le mausolée du
Taj Mahal. L'amour sans mesure. Fort logiquement, l'action se déroule en Inde,
le pays du cricket (mais bien avant son invention), des sitars et des pigeons
qui volent au ralenti (sur une musique vibrante de Hans Zimmer proche, selon
les sensibilités, du Lacrimosa de Mozart
ou de l'hymne de la Ligue des Champions).
Que
voit-on à l'écran ? Une sublime princesse (Natalia Vodianova) censément morte
en couches qui passe énormément de temps à pavaner ses 45 kilogrammes de
blondeur et d'iris translucides dans une salle de bain grande comme le
Porte-avion Charles De Gaule et un empereur (Willy Cartier) énamouré à la
mâchoire taillée à la serpe qui chevauche – cils surkhôlés au vent – tout le
pays pour retrouver sa belle et jeter dans un lac un flacon de parfum aux
pouvoirs incroyables à côté duquel la gourde de potion magique d'Astérix ne
vaut pas tripette.
La suite ?
Eh bien, c'est à peu près tout. Pendant 5 minutes 46 secondes à 11 000 euros la
seconde il ne se passe rien d'autre : l'empereur chevauche dans les montagnes
et la poussière et les chemins, croise les éléphants d'Hannibal, se tache le
visage de boue comme un gros cochon, tandis que les pigeons volent au ralenti
et que la princesse, quand même très jolie pour une multipare morte après 14
grossesses, prend des bains dans un maillot une pièce en métal ou une fontaine
de bijou métallique, on ne sait plus. C'est froid, c'est beau, la princesse se
caresse beaucoup et l'empereur est élégant sur son cheval blanc. A la fin,
quand même, après cinq minutes de chevauchée sans encombre, sans humour, sans
astuce, il se passe un truc.
Shalimar de Guerlain. © DR
L'empereur Drogo retrouve sa princesse Khaleesi. Il ne lui parle pas. Elle ne lui dit pas qu'il a des
tâches de boue sur le visage. Ils s'embrassent. Mais ils s'embrassent
bizarrement, comme si l'un des deux avait marché dans une crotte de chien et
que personne ne voulait rompre le charme en parlant du problème. Juste après,
l'empereur affiche un minuscule sourire sûr de lui du mec qui va pécho et
applique la stratégie de tout bon dragueur. Il jette d'un geste auguste le
contenu du fameux flacon dans le lac avant de proposer à la princesse de faire un
tour de barque. Laquelle avance toute seule. Probablement grâce à un système de
motorisation sophistiqué caché sous la coque. La princesse semble un peu
effrayée parce que le prince ne vient pas avec elle, parce qu'elle est morte
aussi après tout, même si l'image indique le contraire, même si tout n'est ici
que métaphore et symbole.
Et là, attention, coucou, méga-surprise : soudain, le Taj
Mahal sort de l'eau. CADEAU. On pourra ergoter sur la logique de construire un
Taj Mahal sous l'eau pour finalement le faire émerger. L'amour a ses raisons
que la raison ne connaît pas, même quand elle cherche sur Google. D'ailleurs,
nonobstant la touche de sexisme, la musique un brin pompière, la pesanteur
appuyée d'un symbolisme qui, en poudre, déboucherait facilement les éviers et
l'étalage un tantinet immodeste d'un luxe clinquant pendant six minutes, c'est
une très belle histoire que cette légende de Shalimar. Selon ses concepteurs,
ce « chef-d’œuvre » raconte même « la plus belle histoire d'amour de tous les temps ». On veut bien les croire, même
si l'histoire de la famille de Claude-Michel avec Pounette, son épagneul
breton, 19 ans d'amour sans nuage, aurait pu
aussi donner un très beau film.
Photo Shalimar de Guerlain. © DR
Source Nicolas Delesalle Télérama
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