Automates tweeteurs et dragueurs
Sur les réseaux sociaux, une foule de robots se
font passer pour des militants, des journalistes ou des amoureux transis.
Depuis qu’Internet
existe, des programmes robots, ou bots,
tentent de se faire passer pour des êtres humains. Sur les chats, des robots
[appelés chatbots] accueillent les utilisateurs qui entrent dans
une salle de discussion en ligne et les expulsent lorsqu’ils se comportent mal.
Plus fourbes, les robots de spam envoient à l’aveugle des courriels proposant
des aubaines incroyables aux boursicoteurs ou d’obscurs comptes en banque au
Nigeria. Les “robots bimbos”, ou bimbots,
abreuvent les internautes de photos de femmes sculpturales pour les attirer
dans des arnaques de travail à domicile ou vers des produits pharmaceutiques
illégaux.Aujourd’hui vient le tour des robots sociaux. Ces imposteurs sont
programmés pour tweeter et retweeter. Ils ont leurs petites excentricités, du
bagout, et quantité d’anecdotes personnelles à vous raconter. Beaucoup sont
connectés à des bases de données liées à l’actualité, ce qui leur permet de
répéter des phrases capables de faire illusion auprès du public visé.
Desseins
sournois
Ils fonctionnent selon
des cycles de veille-sommeil, ce qui rend la supercherie encore plus difficile
à repérer, leur activité ne suivant pas un schéma répétitif qui trahirait leur
véritable nature. Certains robots sont même complétés par des profils Facebook,
Reddit ou Foursquare générés par un logiciel de gestion d’identité. L’illusion
est alors presque parfaite : ils laissent des traces dans le cyberespace à
mesure qu’ils accumulent amis et abonnés partageant leurs opinions.
D’après les
chercheurs, cette nouvelle catégorie de robots n’est pas seulement plus
sophistiquée, elle vise également des objectifs plus ambitieux : il s’agit
par exemple d’influencer des électeurs, d’orienter les cours de la Bourse,
d’attaquer des gouvernements, et même de flirter avec des personnes réelles ou
d’autres robots.
Les robots sociaux
sillonnent Internet pour une multitude de raisons. Un développeur australien a
mis au point un automate qui répond automatiquement aux tweets des
climato-sceptiques avec des contre-arguments et des liens renvoyant à des
études contredisant leur point de vue. Un ingénieur californien spécialisé en
sécurité a programmé un robot capable d’obtenir des réservations au State Bird Provisions, un restaurant très
prisé de San Francisco. Sur le web, n’importe qui peut s’acheter une armée de
robots mercenaires pour 250 dollars [moins de 190 euros].
Pour certains,
l’objectif est d’accroître leur popularité. Le mois dernier, des informaticiens
de l’université fédérale d’Ouro Preto, au Brésil, ont révélé que Carina Santos,
une journaliste comptant de nombreux abonnés sur Twitter, n’était pas une personne
réelle mais un robot de leur création. Se fondant sur la diffusion de ses
tweets, le site de mesure d’influence Twitalyzer a estimé que Carina Santos
avait plus d’influence qu’Oprah Winfrey sur Internet.
D’autres robots ont
des desseins plus sournois. En 2011, lors des élections législatives en Russie,
des milliers de robots “dormants” créés plusieurs mois auparavant sur Twitter
se sont soudainement mis à poster des centaines de messages par jour dans le
but de noyer la voix des opposants au Kremlin. Selon des chercheurs, le
gouvernement syrien aurait récemment mis en œuvre des techniques similaires.
Ces robots exploitent
le secteur en pleine expansion des médias sociaux. L’année dernière, le nombre
de comptes Twitter a atteint la barre des 500 millions. Certains
chercheurs estiment qu’en moyenne seuls 35 % de ceux qui suivent un compte
Twitter sont des personnes réelles. Plus de la moitié du trafic sur Internet
est générée par des sources non humaines comme des robots ou d’autres types
d’algorithmes. On estime que d’ici deux ans environ 10 % de l’activité sur
les réseaux sociaux proviendra d’automates se faisant passer pour des êtres
humains.
De
l’amour de robot
Les sites de
rencontres sont particulièrement propices à cette prolifération. Des escrocs
n’hésitent pas à abuser les internautes solitaires pour les inciter à envoyer
de l’argent à des prétendants virtuels ou les attirer vers des sites
pornographiques payants. Christian Rudder, cofondateur et directeur d’OkCupid,
explique que, après la refonte d’un site plus petit que sa société avait
racheté, il a constaté une forte diminution du nombre de robots, mais également
une baisse de 15 % de la fréquentation par des personnes réelles. Les
messages aguicheurs et autres mentions “j’aime”
postés automatiquement par les robots sur les pages des membres avaient en
effet créé l’illusion d’une activité et d’une intimité sur le site,
analyse-t-il. “Il y avait de l’amour dans
l’air. De l’amour de robot.”
En 2010, des
chercheurs de Truthy, un programme de l’université de l’Indiana qui traque les
robots et les tendances sur Twitter, ont découvert un réseau de comptes
étroitement liés qui envoyaient les mêmes messages et retweetaient ceux d’une
poignée de comptes. Durant la campagne pour les dernières élections de
mi-mandat aux Etats-Unis, deux comptes ont par exemple envoyé 20 000
tweets similaires renvoyant pour la plupart vers le site web de John Boehner,
alors chef de la minorité républicaine à la Chambre des représentants. Les
médias sociaux ne sont, pour l’essentiel, pas soumis aux lois sur le
financement des campagnes et sur la transparence. Pour l’instant, la Commission
électorale fédérale préfère ne pas s’aventurer sur ce terrain.
De leur côté, les
robots progressent, annonce Tim Hwang, directeur scientifique de la Pacific
Social Architecting Corporation, qui développe des robots et des technologies
capables d’influencer les comportements sociaux. “Nous
sommes convaincus que dans un futur proche des automates seront capables de
rassembler des foules, d’ouvrir un compte en banque et d’écrire des lettres, déclare-t-il. De véritables humains de substitution.”
Dessin
de Walenta, Pologne
Source Courrier International
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire