dimanche 1 septembre 2013

Billets-Entretien avec Kevin Spacey (House of Cards)


Entretien avec Kevin Spacey (House of Cards)

Il incarne Frank Underwood, politicien humilié, Machiavel des temps modernes dans “House of Cards”, qui démarre sur Canal+. Une série passionnante, politiquement dérangeante et savamment écrite.


Kevin Spacey dans le rôle de Frank Underwood. © Sony Pictures Television

Discret au cinéma, impliqué dans la vie théâtrale londonienne, l’acteur est à l’origine du lancement de House of Cards, thriller politique produit et réalisé, pour ses premiers épisodes, par David Fincher. Il y incarne le machiavélique Francis « Frank » Underwood, représentant démocrate au parlement américain qui, après avoir vu le poste de Secrétaire d’Etat – l’équivalent du ministre des Affaires étrangères – lui passer sous le nez, va s’appliquer à ruiner la carrière de tous ceux qui l’ont trahi. Une série haut de gamme, non sans quelques défauts, mais superbement produite et interprétée. House of cards qui a marqué l’entrée fracassante du site de VOD américain Netflix dans l’univers des séries est diffusée par Canal+.

  • Comment voyez-vous Frank ? Est-ce le « méchant » de l’histoire ?
C’est un homme diabolique et délicieux, un personnage clairement inspiré par les héros shakespeariens, Richard III et le Iago d'Othello, mais je ne le vois pas comme un « méchant ». D’ailleurs, je ne sais pas jouer la méchanceté pure et dure, je ne sais pas limiter un personnage à une seule couleur. Je joue les nuances de l’écriture.

  • Vous avez joué, l'an passé, Richard III au théâtre dans une mise en scène de Sam Mendes qui insistait sur les confidences du personnage au public. De même dans House of Cards, où Frank nous parle en regardant la caméra…
Cet effet fait des spectateurs des co-conspirateurs. A chaque représentation de Richard III, j’ai vu le public s’avancer sur le bord des fauteuils, tendre l’oreille, et se régaler d’être mis dans la confidence, d’avoir le sentiment de partager un secret. Les choses sont un peu différentes avec House of Cards, car je n’ai plus personne à regarder dans les yeux, juste l’objectif d’une caméra. Du coup, j’ai opté pour le ton de celui qui fait une confidence à un ami, dans un recoin de bar, plus simplement, plus intimement.

  • Jouer Richard III vous a-t-il aidé à jouer un homme politique ici ?
Le metteur en scène Sam Mendes voulait un personnage théâtral, puissant, qui remplisse l’espace de sa présence. Frank Underwood est plus subtil, moins excessif. Ceci étant dit, j’espère que dix ans passés avec le Old Vic (théâtre londonien dont Kevin Spacey assure aussi la direction artistique depuis 2003, ndlr) ont fait de moi un meilleur acteur.

  • Les machinations de Frank sont-elles à vos yeux crédibles ?
Il n’est inspiré d’aucun politicien réel, mais des hommes comme Frank ont existé, et existent toujours. Lyndon Johnson, par exemple, qui a succédé à Kennedy à la Maison blanche, a la réputation d’avoir été un fieffé salopard, un homme sans pitié… mais il a fait bouger pas mal de choses en peu de temps. Et ce genre de politicien est de plus en plus souvent réhabilité aujourd’hui. L’enjeu moral de House of Cards est là : peut-on se ranger aux côtés de Frank, malgré son machiavélisme, parce qu’il fait avancer les choses ? Et plus globalement, faut-il que nos dirigeants soient des gens bien sous tous rapports mais qui ne font passer aucune loi, qui ne changent rien à rien – comme ça a été le cas ces dernières années aux Etats-Unis – ou des types à la moralité discutable, mais qui font bouger les choses ?

  • La relation qui unit Frank à sa femme Claire est très ambiguë. On ne sait pas où ils vont, ni qui domine l’autre…
C’est une des questions centrales de la série : qu’est-ce qui fait tenir leur relation, pourquoi sont-ils ensemble et où veulent-ils aller ? Ce sont deux personnes qui ont trouvé dans l’autre quelque chose dont ils ont besoin. Reste à mettre le doigt dessus.


Kevin Spacey et Robin Wright, Frank et Claire Underwood. © Sony Pictures Television

  • Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans la fabrication de cette première saison ?
J’ai l’impression d’avoir joué une partie d’échecs en treize temps, avec David Fincher et Beau Willimon (le scénariste en chef de House of Cards, ndlr). Francis a toujours plusieurs coups d’avance sur ses opposants, et ça a été un boulot terrible de s’assurer qu’on savait précisément où on allait, ce qui se passait, ce qui allait se passer. House of Cards est une série où une intrigue peut disparaître pendant neuf épisodes, et soudainement réapparaître. J’ai été ravi que Beau Willimon se charge du scénario, parce que c’est un dramaturge. Or, si vous écrivez des pièces de théâtre, vous avez une notion forte de comment structurer un récit. C’est tout le défi d’une série, trouver la bonne structure narrative, pour accrocher le téléspectateur et le tenir en haleine.

  • Comment avez-vous concrètement appliqué ça à House of Cards ?
On ne perd pas de temps à présenter les personnages. On est dans l’histoire, tout de suite, il se passe des paquets de trucs dès les premiers instants. Comme nous savions que nous produirions au moins vingt-six épisodes, nous avons choisi d’attaquer fort, de plonger dans l’intrigue, et de prendre le temps, plus tard, de renforcer les personnages, d’apprendre à mieux les connaître. D’ailleurs, à l’heure où je vous parle, il y a encore beaucoup de choses que j’ignore sur mon propre personnage… House of Cards est une vaste trajectoire. Nous avons le temps de la raconter.

  • Comment décrire le travail avec David Fincher ?
Sublime. C’est un perfectionniste. J’aime être poussé, défié. Il est connu pour faire des tonnes de prises, et j’ai enfin compris pourquoi : il vous force, à l’usure, à donner le meilleur de vous même. Il se débarrasse peu à peu de tout le superflu, de toute votre frime d’acteur. Il distille chacune des scènes pour arriver à la façon la plus pure, la plus simple, la plus économique possible de raconter une histoire. C’est un type qui a bossé dans tous les secteurs de la fabrication d’un film. Il sait donc exactement comment obtenir le meilleur de chacun des techniciens. Quand David Fincher est obsédé par quelque chose, ce qui en sort est bon. Et je peux vous dire qu’il est méchamment obsédé par House of Cards… Il n’a réalisé que les deux premiers épisodes, mais il reste notre « gourou ». D’un point de vue stylistique, personne ne s’est écarté d’un iota des règles qu’il a établies.


© Sony Pictures Television

  • Vous faites du théâtre, de la télévision, mais moins de cinéma. En avez-vous marre d’Hollywood ?
Ce n’est pas aussi simple. Dans les années 90, j’étais très ambitieux, je voulais me bâtir une carrière cinéma. En 1999, il y a eu American Beauty, qui m’a offert exactement ce que je voulais. Du coup, je me suis tourné vers autre chose, et j’ai consacré plus de temps au théâtre, une activité beaucoup moins individualiste. Il s’agit juste de ne pas avoir l’impression d’être coincé, de pouvoir varier les plaisirs.

  • La télévision s’inscrit dans ce même mouvement ?
Comme David Fincher, ce n’est pas la première fois qu’on me propose de faire une série. Jusqu’ici, on ne se sentait pas prêts. On était peut-être nerveux face aux codes et aux limites de la télé. Quand la série était en projet, Netflix a battu tout le monde aux enchères, nous a fait aveuglément confiance, ne nous a même pas demandé de faire un pilote, nous a commandé directement vingt-six épisodes… c’est dingue ! Du coup, on n’a pas pu refuser.

  • En proposant d’un coup les treize épisodes de cette première saison de House of Cards, Netflix semble vouloir s’adapter aux nouvelles façons de regarder des séries…
Si vous demandez à vos amis ce qu’ils ont fait le week-end dernier, ils vont vous répondre qu’ils ont vu trois saisons de Breaking Bad ou deux saisons de Game of Thrones. Les gens mangent des séries par paquets d’épisodes, ils sont accros, ils ont besoin d’aller au plus vite au terme des arcs narratifs… C’est un choix très intéressant qu’a fait Netflix. J’ai joué récemment dans Margin Call, qui a été mis en ligne en même temps que sa sortie sur les écrans. Et les résultats ont été probants. J’ai l’impression que le cinéma et la télévision ont compris ce que l’industrie de la musique n’a pas voulu comprendre, et peuvent encore s’adapter aux nouveaux modes de consommation avant qu’il ne soit trop tard.

  • Ce rôle vous a-t-il donné des envies de politique ?
Mon Dieu… Si vous ne devez savoir qu’une chose de moi, c’est que j’aime créer, avancer, être dans le concret. Pourquoi voudriez-vous que j’aille me fourrer en politique, le meilleur endroit au monde pour ne rien arriver à faire, ne pas avancer ? J’en sortirais complètement frustré.

Propos recueillis par Pierre Langlais
Source telerama.fr


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