Entretien avec Kevin Spacey (House of Cards)
Il incarne Frank Underwood, politicien humilié,
Machiavel des temps modernes dans “House of Cards”, qui démarre sur Canal+. Une
série passionnante, politiquement dérangeante et savamment écrite.
Kevin Spacey dans le rôle de Frank Underwood. © Sony Pictures
Television
Discret au cinéma,
impliqué dans la vie théâtrale londonienne, l’acteur est à l’origine du
lancement de House of Cards, thriller politique produit et réalisé, pour ses
premiers épisodes, par David Fincher. Il y incarne le machiavélique Francis
« Frank » Underwood, représentant démocrate au parlement américain
qui, après avoir vu le poste de Secrétaire d’Etat – l’équivalent du
ministre des Affaires étrangères – lui passer sous le nez, va s’appliquer
à ruiner la carrière de tous ceux qui l’ont trahi. Une série haut de gamme, non
sans quelques défauts, mais superbement produite et interprétée. House of cards qui a marqué l’entrée
fracassante du site de VOD américain Netflix dans l’univers des séries est
diffusée par Canal+.
- Comment voyez-vous Frank ? Est-ce le « méchant » de l’histoire ?
C’est un homme
diabolique et délicieux, un personnage clairement inspiré par les héros
shakespeariens, Richard III et le Iago d'Othello,
mais je ne le vois pas comme un « méchant ». D’ailleurs, je ne sais
pas jouer la méchanceté pure et dure, je ne sais pas limiter un personnage à
une seule couleur. Je joue les nuances de l’écriture.
- Vous avez joué, l'an passé, Richard III au théâtre dans une mise en scène de Sam Mendes qui insistait sur les confidences du personnage au public. De même dans House of Cards, où Frank nous parle en regardant la caméra…
Cet effet fait des
spectateurs des co-conspirateurs. A chaque représentation de Richard III, j’ai vu le public s’avancer
sur le bord des fauteuils, tendre l’oreille, et se régaler d’être mis dans la
confidence, d’avoir le sentiment de partager un secret. Les choses sont un peu
différentes avec House of Cards, car je
n’ai plus personne à regarder dans les yeux, juste l’objectif d’une caméra. Du
coup, j’ai opté pour le ton de celui qui fait une confidence à un ami, dans un
recoin de bar, plus simplement, plus intimement.
- Jouer Richard III vous a-t-il aidé à jouer un homme politique ici ?
Le metteur en scène
Sam Mendes voulait un personnage théâtral, puissant, qui remplisse l’espace de
sa présence. Frank Underwood est plus subtil, moins excessif. Ceci étant dit,
j’espère que dix ans passés avec le Old Vic (théâtre londonien dont Kevin Spacey
assure aussi la direction artistique depuis 2003, ndlr) ont fait de moi un
meilleur acteur.
- Les machinations de Frank sont-elles à vos yeux crédibles ?
Il n’est inspiré
d’aucun politicien réel, mais des hommes comme Frank ont existé, et existent
toujours. Lyndon Johnson, par exemple, qui a succédé à Kennedy à la Maison
blanche, a la réputation d’avoir été un fieffé salopard, un homme sans pitié…
mais il a fait bouger pas mal de choses en peu de temps. Et ce genre de
politicien est de plus en plus souvent réhabilité aujourd’hui. L’enjeu moral de
House of Cards est là : peut-on se
ranger aux côtés de Frank, malgré son machiavélisme, parce qu’il fait avancer
les choses ? Et plus globalement, faut-il que nos dirigeants soient des
gens bien sous tous rapports mais qui ne font passer aucune loi, qui ne changent
rien à rien – comme ça a été le cas ces dernières années aux
Etats-Unis – ou des types à la moralité discutable, mais qui font bouger
les choses ?
- La relation qui unit Frank à sa femme Claire est très ambiguë. On ne sait pas où ils vont, ni qui domine l’autre…
C’est une des
questions centrales de la série : qu’est-ce qui fait tenir leur relation,
pourquoi sont-ils ensemble et où veulent-ils aller ? Ce sont deux
personnes qui ont trouvé dans l’autre quelque chose dont ils ont besoin. Reste
à mettre le doigt dessus.
Kevin Spacey et Robin Wright, Frank et Claire
Underwood. © Sony Pictures Television
- Qu’est-ce qui a été le plus difficile dans la fabrication de cette première saison ?
J’ai l’impression
d’avoir joué une partie d’échecs en treize temps, avec David Fincher et Beau
Willimon (le scénariste en chef de House of
Cards, ndlr). Francis a toujours plusieurs coups d’avance sur ses
opposants, et ça a été un boulot terrible de s’assurer qu’on savait précisément
où on allait, ce qui se passait, ce qui allait se passer. House of Cards est une série où une intrigue
peut disparaître pendant neuf épisodes, et soudainement réapparaître. J’ai été
ravi que Beau Willimon se charge du scénario, parce que c’est un dramaturge.
Or, si vous écrivez des pièces de théâtre, vous avez une notion forte de
comment structurer un récit. C’est tout le défi d’une série, trouver la bonne
structure narrative, pour accrocher le téléspectateur et le tenir en haleine.
- Comment avez-vous concrètement appliqué ça à House of Cards ?
On ne perd pas de
temps à présenter les personnages. On est dans l’histoire, tout de suite, il se
passe des paquets de trucs dès les premiers instants. Comme nous savions que
nous produirions au moins vingt-six épisodes, nous avons choisi d’attaquer fort,
de plonger dans l’intrigue, et de prendre le temps, plus tard, de renforcer les
personnages, d’apprendre à mieux les connaître. D’ailleurs, à l’heure où je
vous parle, il y a encore beaucoup de choses que j’ignore sur mon propre
personnage… House of Cards est une vaste
trajectoire. Nous avons le temps de la raconter.
- Comment décrire le travail avec David Fincher ?
Sublime. C’est un
perfectionniste. J’aime être poussé, défié. Il est connu pour faire des tonnes
de prises, et j’ai enfin compris pourquoi : il vous force, à l’usure, à
donner le meilleur de vous même. Il se débarrasse peu à peu de tout le
superflu, de toute votre frime d’acteur. Il distille chacune des scènes pour
arriver à la façon la plus pure, la plus simple, la plus économique possible de
raconter une histoire. C’est un type qui a bossé dans tous les secteurs de la
fabrication d’un film. Il sait donc exactement comment obtenir le meilleur de
chacun des techniciens. Quand David Fincher est obsédé par quelque chose, ce
qui en sort est bon. Et je peux vous dire qu’il est méchamment obsédé par House of Cards… Il n’a réalisé que les deux
premiers épisodes, mais il reste notre « gourou ». D’un point de vue
stylistique, personne ne s’est écarté d’un iota des règles qu’il a établies.
© Sony Pictures Television
- Vous faites du théâtre, de la télévision, mais moins de cinéma. En avez-vous marre d’Hollywood ?
Ce n’est pas aussi
simple. Dans les années 90, j’étais très ambitieux, je voulais me bâtir une
carrière cinéma. En 1999, il y a eu American
Beauty, qui m’a offert exactement ce que je voulais. Du coup, je me suis
tourné vers autre chose, et j’ai consacré plus de temps au théâtre, une
activité beaucoup moins individualiste. Il s’agit juste de ne pas avoir
l’impression d’être coincé, de pouvoir varier les plaisirs.
- La télévision s’inscrit dans ce même mouvement ?
Comme David Fincher,
ce n’est pas la première fois qu’on me propose de faire une série. Jusqu’ici,
on ne se sentait pas prêts. On était peut-être nerveux face aux codes et aux
limites de la télé. Quand la série était en projet, Netflix a battu tout le monde
aux enchères, nous a fait aveuglément confiance, ne nous a même pas demandé de
faire un pilote, nous a commandé directement vingt-six épisodes… c’est
dingue ! Du coup, on n’a pas pu refuser.
- En proposant d’un coup les treize épisodes de cette première saison de House of Cards, Netflix semble vouloir s’adapter aux nouvelles façons de regarder des séries…
Si vous demandez à vos
amis ce qu’ils ont fait le week-end dernier, ils vont vous répondre qu’ils ont
vu trois saisons de Breaking Bad ou deux saisons de Game of Thrones. Les gens
mangent des séries par paquets d’épisodes, ils sont accros, ils ont besoin
d’aller au plus vite au terme des arcs narratifs… C’est un choix très
intéressant qu’a fait Netflix. J’ai joué récemment dans Margin Call, qui a été
mis en ligne en même temps que sa sortie sur les écrans. Et les résultats ont
été probants. J’ai l’impression que le cinéma et la télévision ont compris ce
que l’industrie de la musique n’a pas voulu comprendre, et peuvent encore
s’adapter aux nouveaux modes de consommation avant qu’il ne soit trop tard.
- Ce rôle vous a-t-il donné des envies de politique ?
Mon Dieu… Si vous ne
devez savoir qu’une chose de moi, c’est que j’aime créer, avancer, être dans le
concret. Pourquoi voudriez-vous que j’aille me fourrer en politique, le
meilleur endroit au monde pour ne rien arriver à faire, ne pas avancer ?
J’en sortirais complètement frustré.
Propos recueillis par Pierre Langlais
Source telerama.fr
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