Entretien avec Robin Wright (House of Cards)
L'actrice incarne Claire, la mystérieuse et
inflexible épouse de Frank Underwood, le héros de “House of Cards” qui démarre
sur Canal +. Son inspiration : Lady MacBeth ou Pénélope dans “L'Odyssée”.
Robin Wright. © Netflix/Sony Pictures Television
- Vous avez déjà tourné avec David Fincher, au cinéma dans The Girl with the Dragon Tattoo. Est-ce le même réalisateur à la télévision ?
Le même, mais en plus
pressé, parce qu'il a moins de temps.
- Alors il n'a pas le temps de faire cent prises par scène ?
Il en fait 98
(rires). Je ne suis pas sûre qu'il se remettra à la réalisation pour la
saison 2, car ça a été un peu un choc pour lui de devoir aller plus vite. House of Cards reste à mon sens une série
hautement « fincheresque ».
- C'est-à-dire ?
Il a un sens du
cadrage unique, que l'on fait étudier en école de mise en scène. Ce n'est pas
une question d'objectif, ni une question de technique. Il veut sentir les
personnages, leur pouls, leur rythme, leur façon de se déplacer dans l'espace.
Pour Claire Underwood, il m'a demandé de bouger le moins possible. Je suis
naturellement quelqu'un qui remue beaucoup. David m'a dit « assieds-toi derrière ce bureau, décroise les
jambes, et ne bouge plus. » Cette simple indication m'a permis de
comprendre le personnage : elle est presque un buste de marbre, une Lady
MacBeth inflexible, figée, qui va peu à peu laisser une femme percer sous le
marbre.
- Vous parlez de cadre, mais le cadrage peut-il être le même à la télévision et au cinéma ?
Ce n'est pas tant une
affaire de cadre pur, mais de comment on saisit le personnage, de la proximité
que l'on parvient à créer, et la télévision est justement une affaire de
proximité. C'est pour ça que les gens se glissent dans leurs lits, des heures
durant, avec leur ordinateur sur les genoux.
- Avez-vous vu la série originale britannique ?
Non, et je ne compte
pas la voir. J'ai eu d'abord très peur de me sentir contrainte d'imiter le
modèle, et puis on m'a dit qu'elle n'était pas si importante. De toute façon,
je ne regarde pas la télé. Pas plus que je voulais en faire, d'ailleurs. Quand
David m'a dit : « tu es au courant
que c'est le futur ? », je lui ai dit « ouais, ouais, c'est ça. » Il m'a fallu du temps pour
comprendre que j'allais avoir la chance de développer un personnage sur la
durée, que je ne serais pas limitée à donner la réplique à Kevin Spacey.
- Il y aura au moins 26 épisodes en deux saisons. Comment vivez-vous cette expérience sur la durée ?
C'est très spécial. On
nous donne la possibilité de participer, de donner notre avis, de faire des
propositions, de faire évoluer notre personnage. Nous avons une grande liberté
d'improvisation, et nous sommes en contact permanent avec les scénaristes, qui
sont sur le tournage. Il arrive souvent que nous ayons une idée, d'un coup,
pendant une répétition. Eh bien, nous pouvons agir sur le scénario à ce
moment-là. Il y a une profondeur de lecture unique pour nous, qui nous permet
de saisir les sous-textes et les subtilités des personnages comme nulle part
ailleurs.
- Voyez-vous Claire comme une femme d'homme politique crédible ?
Je ne sais pas, et je
pense qu'à moins d'être intime avec la femme d'Al Gore ou celle de Bill
Clinton, on peut difficilement prétendre savoir à quoi ressemble leur vie. Tout
ce qu'on sait, c'est ce que les médias nous laissent voir... et c'est souvent
mensonger. Je n'ai donc pas voulu m'inspirer de ce que je voyais, mais plutôt
de personnages fictifs : Lady MacBeth ou Pénélope dans l'Odyssée.
- On vous a beaucoup vu dans des rôles de femmes trompées, loin de celui de Claire. Ça vous change, non ?
C'est comme ça que ça
se passe à Hollywood. On ne m'a jamais proposé de comédie, pas plus qu'on a
proposé des rôles dramatiques à Meg Ryan. Si le public vous aime dans un type
de rôle, que le box-office suit, vous en sortirez difficilement. Il faut un réalisateur
qui vous fasse confiance, et prenne un risque.
Francis Underwood (Kevin Spacey), Claire Underwood
(Robin Wright) et Doug Stamper (Michael Kelly), House of cards. © Netflix/Sony Pictures Television
- Frank est maléfique, mais séduisant. Comment expliquez-vous cette dualité ?
L'art de la guerre est
un art. Pour atteindre le sommet du pouvoir, il faut être incroyablement
méticuleux. Il faut analyser le moindre de ses rouages, et savoir se faire
craindre. Je ne crois pas que Frank soit « séduisant » au sens
charmant du terme, il est plutôt calculateur, manipulateur, et du coup, passe
pour séduisant.
- Pensez-vous que la série porte un regard cynique sur la politique, ou qu'elle est au contraire réaliste ?
Je ne sais pas si les
personnages sont crédibles, mais le fonctionnement de la machine politique
l'est certainement : les sacrifices, les concessions, les médiations, les
souffrances, tout ce qu'il faut endurer pour simplement faire voter une loi.
- Les fictions risquées ont longtemps été produites par les chaînes câblées. House of cards a été produite par Netflix et directement mise en ligne. Internet serait-il le nouvel El Dorado ?
Sans doute. Ça risque
de devenir le meilleur endroit où aller pour les comédiens. Peu importe la
taille du rôle. Ce que l'on demande, c'est un rôle intéressant, différent, pas
un gros rôle. Et les séries comme House of
Cards offrent cette opportunité. De toute façon, au cinéma, il n'y a
plus que Ironman, Batman et tout ce qui finit par
« man » pour faire de l'argent. Le cinéma ne fait plus que du
divertissement. Le cœur du drame bat à la télé.
Propos recueillis par Pierre Langlais
Source telerama.fr
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