Albert Jacquard
Né en 1925, passé par l'école Polytechnique, le généticien ALBERT JACQUARD était aussi un militant de gauche convaincu, adepte de la décroissance et favorable à une sortie du nucléaire. Auteur prolifique, et même parfois prolixe, il a signé des dizaines d'ouvrages de vulgarisation scientifique et d'essais consacrés à des sujets divers (politiques notamment). Il est mort ce 11 septembre 2013, à Paris. Il avait 87 ans. (MARTIN BUREAU / AFP)
Né en 1925, passé par l'école Polytechnique, le généticien ALBERT JACQUARD était aussi un militant de gauche convaincu, adepte de la décroissance et favorable à une sortie du nucléaire. Auteur prolifique, et même parfois prolixe, il a signé des dizaines d'ouvrages de vulgarisation scientifique et d'essais consacrés à des sujets divers (politiques notamment). Il est mort ce 11 septembre 2013, à Paris. Il avait 87 ans. (MARTIN BUREAU / AFP)
Le célèbre généticien est mort à l'âge de
87 ans. A la sortie de sa «Légende de demain», en 1997, il avait expliqué
au «Nouvel Observateur» pourquoi il est «idiot» de prétendre «mesurer
l'intelligence».
- Les enfants surdoués, cela existe-t-il, oui ou non ?
Non ! Je
n'y crois absolument pas, et je me suis d'ailleurs battu à ce propos contre
l'éthologiste Rémy Chauvin, qui a publié en 1975 un ouvrage précisément
intitulé «les Surdoués». Il ne peut pas y avoir de surdoués, et cela pour deux
raisons: tout d'abord, dans «surdoué», il y a sur, ce qui veut dire supérieur, et implique aussitôt une
hiérarchie. Mais le surdoué est supérieur à quoi, à qui ?
Quand on
songe que cette hiérarchie est basée sur un seul critère, la mesure du QI, le
prétendu quotient d'intelligence, on voit tout de suite qu'il s'agit d'une idée
folle. Mesurer l'intelligence? Prétendre ramener cette réalité multiforme à un
malheureux chiffre? C'est idiot. Ou alors, pourquoi ne pas instaurer aussi un
«QB», un «quotient de beauté»? Quand je propose cela, les gens ricanent. Tout
le monde devrait ricaner de la même façon à propos du QI.
- Et la seconde raison ?
Ah oui !
Dans «surdoué», il y a également doué. C'est-à-dire:
bénéficiant d'un don. Un don de qui? De la nature, forcément. Les Québécois ont
même inventé le mot douance - l'aptitude
à être plus ou moins doué. Comme tout ce que la nature nous transmet est
inscrit dans nos gènes, il faudrait donc supposer qu'il y a des gènes de
l'intelligence. Or il n'existe que des gènes de l'idiotie, qui détruisent le
cerveau. Mais l'idiotie n'est pas le contraire de l'intelligence, car c'est une
maladie. De même, il existe de «méchantes» bombes, qui peuvent détruire, disons
par exemple le château de Versailles; mais il n'existe pas plus de «bonnes»
bombes, capables de le reconstruire, que de gènes de l'intelligence. Les gènes
n'ont rien à voir avec la connexion des neurones.
- Il y a tout de même - cela se voit à l'école - des enfants plus brillants que d'autres?
Voilà,
vous l'avez dit : brillants. Mais est-ce que cela veut dire intelligents?
L'intelligence, c'est la faculté de comprendre. Or comprendre vraiment quelque
chose, c'est toujours long. Etre vraiment intelligent, c'est... comprendre
qu'on n'a pas compris. Exemple type: Albert Einstein, élève à la scolarité
médiocre, qui ne fut certainement pas un enfant surdoué, et dont personne ne
prétendra, je suppose, qu'il n'était pas intelligent. Mais comprendre que l'on
n'a pas encore compris, c'est beaucoup plus intelligent que de croire que l'on a compris? ce qui est la
caractéristique de l'enfant prétendument surdoué. Ce dernier se signale avant
tout par la confiance en soi, par l'habitude de s'imposer, ou l'aptitude à se
manifester. C'est une simple question d'aventure sociale.
A
l'inverse, un jeune garçon de 14 ans, dans un collège de banlieue à problèmes,
m'a un jour posé la question suivante: «Monsieur,
est-ce que l'on peut devenir généticien lorsqu'on a un casier
judiciaire?» Cette question m'a troublé. Ce jeune n'avait pas de
casier judiciaire... mais il savait que, fatalement, il finirait par en avoir
un. Ce n'était pas un élève brillant, mais il avait compris beaucoup de choses.
L'intelligence, c'est toujours l'aboutissement d'une aventure individuelle,
nourrie par les stimuli extérieurs, et cela n'a rien à voir avec la génétique.
- Mais comment la caractériser, et comment se construit-elle?
On peut
relier l'intelligence au nombre des synapses ? les connexions entre les
cellules nerveuses, ou neurones. Or nos (environ) 100 milliards de neurones
sont reliés par (en moyenne) 10 millions de milliards de synapses. On voit tout
de suite que la génétique est incapable de s'en mêler: comment les 100.000
informations de notre génome pourraient-elles contenir le «plan» de 10.000
millions de milliards de connexions?
Il y a
plus. J'ai fait le calcul : entre la naissance d'un enfant et sa puberté, 300
millions de secondes s'écoulent. Au bout de ce temps, vous avez, on l'a dit, 10
millions de milliards de synapses. Cela veut dire que sans arrêt, pendant une
quinzaine d'années, 30 millions de synapses se créent à chaque seconde. Comment voulez-vous que le
programme génétique puisse contrôler un phénomène aussi fou? Forcément, cette
construction des synapses est gouvernée par les informations et les stimuli
provenant de l'extérieur. A cet égard, je suis persuadé, par exemple, que les
caresses reçues (ou non) de la maman jouent un rôle important dans la
construction de l'intelligence.
- Les surdoués seraient des enfants qui ont été plus - ou mieux - caressés par leurs parents?
Ce n'est
qu'un aspect de la question... Plus profondément, je pense que les enfants
qualifiés de surdoués sont des enfants plus rapides que les autres sur certains
sujets. Or la rapidité, ce n'est que l'une des composantes de ce que l'on nomme
l'intelligence. Il n'y a aucune raison de supposer qu'elle en est la composante
majeure. Quel intérêt de comprendre quelque chose à 13 ans plutôt qu'à 15 ou à
18? L'important, c'est de finir par comprendre, et souvent qui dit «rapide» dit
aussi «superficiel»: les surdoués sont des êtres superficiels.
Malheureusement,
ici comme ailleurs, nous succombons à cette mode absurde: la valorisation de la
vitesse, dominant de la société actuelle. Cessons de confondre la vitesse avec
l'aboutissement, car, on le sait depuis longtemps, rien ne sert de courir... Moi
qui enseigne la génétique à des étudiants en première année de médecine, je
constate que, en moyenne, les filles sont meilleures. Est-ce à dire que les
garçons sont moins intelligents? Je pense qu'il y a une explication plus
logique: à cet âge, tandis que les filles pensent à leurs études, les garçons
pensent aux filles…
Voir également:
http://monblog75.blogspot.fr/2012/09/billets-entretien-avec-albert-jacquard.html
Voir également:
http://monblog75.blogspot.fr/2012/09/billets-entretien-avec-albert-jacquard.html
Propos recueillis par Fabien Gruhier
Source bibliobs.nouvelobs.com
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