Entretien avec Nicolas Hulot
De “Ushuaïa” à l'Elysée, il a fait du chemin.
Mais l'“ambassadeur” de l'écologie, nommé par François Hollande, a fort à faire
pour imposer ses idées.
On l'a connu
animateur-cascadeur sur TF1 (et la casquette lui colle encore à la peau),
président d'une fondation (Nicolas Hulot pour la nature et l'homme), lobbyiste
star de l'écologie, initiateur du Pacte écologique, en 2007, auteur et cinéaste
engagé (Le Syndrome du Titanic),
candidat à l'élection présidentielle…
Mille vies déjà et, à 58 ans, Nicolas Hulot s'en invente une nouvelle.
En décembre 2012,
François Hollande lui a proposé de devenir envoyé spécial pour la protection de
la planète, il a dit banco. De ce long cheminement, il s'explique dans un livre
très personnel, où il revient en détail sur l'échec de son incursion en politique,
rend un bel hommage à ses années d'aventurier aux quatre coins du monde, avec
l'équipe d'Ushuaïa. Et martèle l'urgence
du combat écologique, à quelques semaines de la sortie du cinquième rapport –
plus alarmiste que jamais – du Giec sur le réchauffement climatique.
- Pourquoi revenir aussi longuement sur Ushuaïa aujourd'hui ?
Ma vie ne se résume
pas à Ushuaïa mais c'est une partie
importante. C'est là que se sont greffés mes convictions, mes espoirs, mes
désespoirs et mon engagement. Ushuaïa
m'a aussi donné la notoriété et la confiance d'une partie des Français, qui
m'ont permis de faire avancer les choses. Mais quand je vais aller au Nicaragua
ou en Corée du Sud, mon sésame, dorénavant, c'est ma mission diplomatique.
- Après avoir joué le perturbateur à l'extérieur du système, vous avez accepté cette mission d'envoyé spécial. Pourquoi ?
J'ai atteint mon seuil
d'efficacité en France. Pour obtenir plus – de grandes réformes de fond pour
une réelle transition écologique –, il faut changer d'échelle. J'ai décidé de
travailler sur la mise en réseau au niveau international. Dans le contexte actuel,
la France ne pourra pas aller bien loin sur ces sujets si l'on ne crée pas des
coalitions, en Europe et au-delà.
Avec cette mission
bénévole, et tout en restant président de ma fondation, j'ai un pied dedans et
un pied dehors, ce qui préserve ma liberté. Dans le cadre de ma fondation, je
poursuis l'élaboration de propositions concrètes de politiques publiques, d'information,
d'actions de terrain qui, à défaut de changer le monde, changent la vie des
gens. C'est à ce titre que j'assisterai à la Conférence environnementale les 20
et 21 septembre 2013.
- Qu'en attendez-vous ?
Beaucoup, tant le
chantier est immense, et pas grand-chose, car je suis lucide. Aura-t-on des
arbitrages ambitieux sur la question énergétique ? Je n'en sais rien. La «
contribution climat énergie » [dite aussi « taxe carbone »] va-t-elle vraiment
être décidée et avec quel dispositif ? Où en est-on sur l'Agence de la
biodiversité ? En revanche, j'attends beaucoup de certains thèmes à l'ordre du
jour, comme l'économie circulaire.
- C'est-à-dire ?
La révolution
industrielle nous a fait entrer dans l'ère de l'économie linéaire, pour puiser
des ressources, les transformer, les consommer et les jeter. Cela a plutôt bien
fonctionné puisque nous sommes sortis du XXe siècle avec un niveau de vie
globalement supérieur. Mais cette économie s'est bâtie sur la croyance que les
ressources étaient abondantes. Ce n'est plus le cas.
L'économie circulaire
cherche à créer des boucles vertueuses : réduire l'extraction de ressources
naturelles, concevoir des produits non toxiques qui pourront être réparés,
mutualisés, réutilisés et déconstruits plutôt que détruits, afin que les
déchets puissent redevenir des ressources et être à nouveau intégrés dans la
production plutôt qu'être mis en décharge ou incinérés. C'est une économie qui
se développera beaucoup à l'échelle des territoires et créera de l'emploi.
- Mais vous n'avez pas l'impression de servir de caution verte, face à un gouvernement aussi peu écolo ?
J'ai toujours dit que
les grandes formations politiques n'avaient pas fait leur mue écologique. Il
n'y a pas de remise en cause du modèle économique à l'origine de cette crise
écologique. La dernière campagne – gauche et droite confondues – a été catastrophique
sur le plan environnemental, et celle d'EELV (Europe Ecologie-Les Verts),
calamiteuse.
Aujourd'hui, le
contexte est encore moins favorable que sous Nicolas Sarkozy. La crise
économique, les urgences sociales rendent le traitement de la crise écologique
encore plus difficile. Par ailleurs, les socialistes ont historiquement du
retard, ayant toujours sous-traité ces enjeux à leurs alliés, Les Verts. Il
leur faut un temps d'adaptation. Il y a une part de sincérité chez mes
interlocuteurs, mais nous n'avons pas la même lecture de l'écologie. Pour
beaucoup, il s'agit d'une option, alors qu'elle est essentielle, y compris pour
sortir de la crise économique et sociale.
- Et François Hollande, qu'en pense-t-il ?
Je suis l'un de ceux
qui l'ont convaincu d'accueillir la conférence climat en 2015. Il fallait de
l'audace pour accepter, alors même qu'aucun autre pays européen n'a voulu
prendre ce risque, et que les conditions d'une réussite ne sont pas
rassemblées. Il est conscient du risque et de l'opportunité que cela représente
à l'échelle internationale. A-t-il pour autant une vision, est-il prêt à faire
les réformes nécessaires ? L'avenir le dira.
Tout le monde en
France affirme qu'il faut tenir nos engagements vis-à-vis du protocole de
Kyoto, mais qui comprend que la réduction par quatre de nos émissions de gaz à
effet de serre impose des mesures importantes ? Quelques politiques dans les
deux camps (Michel Rocard, Hubert Védrine, Chantal Jouanno…) en ont conscience,
mais ils restent trop isolés. Sous François Hollande, comme sous Nicolas
Sarkozy, nous restons dans un conflit permanent entre les enjeux du long terme
et ceux du court terme. Mais nous avons tout de même obtenu le moratoire sur le
gaz de schiste et l'annonce de la création d'une Agence de la biodiversité.
- Vous êtes découragé ?
Cela m'irrite de me
dire que je porte, avec des milliers de scientifiques, d'ONG, de citoyens, un
enjeu universel, qui conditionne l'avenir de nos enfants, et que l'on a un mal
fou à se faire entendre. Mais travaillons avec les bonnes volontés, encourageons
les alliances ! J'essaie de le faire sur les grandes échéances, et notamment la
préparation de la conférence climat de 2015.
Aujourd'hui, parvenir
à un accord exigeant pour l'ensemble de la communauté internationale semble
difficile. N'y a-t-il pas quelque chose à inventer, avec un groupe de pays
ayant des objectifs communs, contraignants et ambitieux, et un deuxième groupe
de pays qui, compte tenu de leurs spécificités, auraient des objectifs un peu
moindres, décalés dans le temps ? Evidemment, mon premier espoir est en Europe.
A vingt-huit, on peut agir.
- Pascal Durand rêverait de vous voir tête de liste aux européennes en 2014. Cela vous tente-t-il ?
Il y a eu un
malentendu entre le parti et moi, la greffe n'a pas pris. EELV a pensé pouvoir
bénéficier de ma notoriété et moi de leur envie d'élargir le nombre de citoyens
à rassembler. Non seulement ça n'a pas été le cas, mais, en plus, j'ai perdu en
crédibilité. Il faut savoir tirer des leçons, sans amertume.
- Vous ne croyez plus à ce type d'engagement ?
Pas pour moi. José
Bové et Daniel Cohn-Bendit sont de très bons députés européens. En revanche, ma
mission actuelle m'offre une position inestimable pour poursuivre ce que je
sais à peu près faire : convaincre et rassembler. Je l'ai fait en France, je le
fais maintenant à une autre échelle, et avec d'autres interlocuteurs. Notre
pays dispose de nombreuses ambassades, du troisième réseau diplomatique du
monde, c'est un extraordinaire outil, efficace et dévoué, pour faire des
propositions, rencontrer les acteurs de terrain, les mobiliser.
- A vous lire, on se dit que le monde sauvage est moins violent que la scène politique française…
Depuis des années, je
rencontre des hommes et femmes politiques de grande qualité mais qui abdiquent
souvent leurs convictions au profit d'une inconscience collective. La politique
partisane tue la politique. Ce sont des clivages d'une autre ère, les contraintes
du XXIe siècle ne sont absolument pas celles du XXe siècle.
Ni la droite ni la
gauche ne prennent en compte cette notion de rareté que j'ai évoquée plus haut,
contrainte majeure sur nos modèles économiques et nos relations géopolitiques.
Le modèle actuel, qui concentre les richesses entre une poignée d'Etats et de
multinationales et qui fonde sa croissance, au service des seuls financiers,
sur toujours plus d'extraction de ressources naturelles et toujours moins
d'emploi, ne peut pas tenir.
- La Fondation Hulot compte plusieurs multinationales parmi ses mécènes. Que répondez-vous à ceux qui critiquent votre mode de financement ?
J'ai toujours cherché
à créer des passerelles et pas des fossés. Peut-on imaginer changer de modèle
de société sans travailler avec des acteurs clés ? Par ailleurs, les
associations et fondations sont toutes en difficulté, avec des subventions et
du mécénat en baisse, alors même que nous participons de plus en plus à
l'élaboration des politiques publiques.
Pour agir, il faut des
moyens (une trentaine de personnes travaillent dans ma fondation). Et je n'ai
pas vendu mon âme au diable : quand je fais le bilan, je pense que nous avons
davantage contribué à l'intérêt général que cautionné des intérêts particuliers.
Nos mécènes n'entravent pas notre action et certains font des efforts
considérables.
Le mécénat de L'Oréal
leur a-t-il fait vendre un tube de rouge à lèvres supplémentaire ? Celui d'EDF
leur a-t-il permis de multiplier leurs réacteurs nucléaires ? Non. Mes
relations avec Henri Proglio sont souvent tendues mais peu importe. J'avoue en
revanche une certaine lassitude, voire de l'humiliation, quand François
Pinault, Olivier Dassault ou le DG de Danone, Emmanuel Faber, me font lanterner
pendant des mois, voire des années, pour au final disparaître avec des
promesses qu'ils ne tiendront jamais.
- Et Vinci, l'opérateur de Notre-Dame-des-Landes ?
Cela aurait été gênant
si je n'avais rien dit sur le sujet ! Je n'ai jamais tourné ma langue sept fois
dans ma bouche pour ne pas embarrasser un mécène. Par exemple, nous avions
lancé une campagne pour privilégier les commerces de proximité. La marque Repères
de Leclerc, qui figurait parmi nos donateurs, nous a demandé de la retirer.
Nous avons préféré nous priver d'un engagement de trois ans de leur part.
- On vous reproche parfois de ne pas être assez radical. L'écologie peut-elle s'imposer de façon consensuelle, alors même qu'elle remet en cause le système en place ?
Pour se confronter au
« système », encore faut-il sentir que la société soit disponible pour cela, ce
qui n'est pas le cas ! On ne descend pas dans la rue pour la planète.
L'environnement reste, pour beaucoup, une préoccupation parmi d'autres. Parce
qu'il y a la crise, le chômage, le travail incessant des lobbies.
Je ne sens pas
aujourd'hui un souffle puissant que l'on pourrait canaliser. Pour avoir un
rapport de force, il ne suffit pas de brandir des idées, encore faut-il avoir
des troupes, qui ne sont pas là… Autant j'ai pensé qu'il y avait un moment
favorable au moment du Pacte écologique, lors de la campagne électorale de
2007, autant aujourd'hui c'est plus difficile.
- Qu'est-ce qui a changé ?
Les jeunes se
démobilisent un peu, ce qui est très inquiétant. Une partie des Français
considèrent qu'eux-mêmes ont fait des efforts mais que l'action publique n'a
pas suivi : il y a une forme de lassitude. Les écologistes, politiques et
associatifs, ont pendant longtemps cherché à mobiliser sur le constat. Mais
c'est sur une vision, un projet que l'on mobilise.
A tort ou à raison,
les écologistes apparaissent comme des accumulateurs de refus plutôt que comme
des producteurs de solutions, capables de donner du désir pour un monde qui
intégrerait les enjeux écologiques et sociaux. Ce ne sont pourtant pas les idées
et les créatifs qui manquent. Mais les morceaux du puzzle sont disséminés.
- Pascal Bruckner revient sans cesse à la charge contre les « prophètes de la fin du monde ». Vous vous sentez concerné ?
Selon le prochain
rapport du Giec, la moitié des catastrophes écologiques qui affectent
l'économie et font des centaines de milliers de victimes sont dues aux
activités humaines. Qu'est-ce que Pascal Bruckner répond aux dirigeants de ces
petits Etats insulaires qui sont venus me voir à l'Elysée, désespérés ? Et à
Hindou Oumarou-Ibrahim, la représentante des peuples sahéliens aux Nations
unies, qui dit qu'ils sont déjà dans le tunnel de la mort ?
Je l'invite à aller en
Afrique pour constater les conséquences avérées des changements climatiques
aujourd'hui. Réduire la préoccupation écologique à un groupuscule
anti-progressiste qui n'a comme remède que la décroissance est archaïque. Les
chefs d'Etat qui ont reconnu la responsabilité humaine des changements
climatiques à Copenhague sont-ils des illuminés ? Et Barack Obama, qui vient de
rappeler que ce n'est pas un mythe ? Et le gouvernement chinois, selon lequel
le facteur écologique doit être prioritairement pris en compte ?
C'est très facile
quand on vit à Paris, loin de toutes ces douleurs, de se gausser de cela.
D'autant plus facile que nous sommes dans une période de grand désarroi. Cela
permet à des résistants du scientisme de semer le doute dans les esprits, de
défendre les intérêts particuliers de certains lobbies. Résultat, 36 % des
Français se disent aujourd'hui climato-sceptiques.
- Les médias ne couvrent pas assez l'écologie ?
Ils sont à l'unisson
de ce vaste mouvement de reflux. Après le Pacte, j'avais fait la tournée des
médias, rencontré les patrons de presse, mais la mobilisation d'alors est
retombée. Pour beaucoup, tout cela n'est pas probant, et plus assez théâtral.
Le grand chef Raoni est récemment venu en France, c'était a priori son dernier
voyage pour plaider la cause des peuples indigènes en forêt amazonienne. Pas un
journal de presse écrite ne s'est intéressé à leur destin, au barrage de Belo
Monte… J'ai juste réussi à le faire
inviter au 20 heures de TF1.
Je reviens d'Afrique –
mon premier voyage officiel sur le dossier des éléphants menacés de disparition
–, et je découvre la responsabilité des industries chinoises dans la
déforestation. J'en appelle à la mobilisation des médias sur ces enjeux de
biodiversité.
Alerter sur la crise
écologique est devenu très difficile. Dans l'immédiat, on n'ira pas plus loin.
Et si l'on veut aller plus vite, on le fera peut-être à plusieurs, en France et
hors de nos frontières. A charge pour moi d'y contribuer. Je ne baisse pas les
bras, mais je sais que le temps et les événements seront, hélas, nos meilleurs
alliés.
Nicolas Hulot en quelques dates
1987 Présente Ushuaïa, le magazine de
l'extrême, sur TF1.
1990 Crée la Fondation Ushuaïa, qui deviendra
la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme.
2007 Interpelle les candidats à l'élection
présidentielle avec le Pacte écologique.
2009 Réalise le long métrage Le Syndrome du
Titanic.
2011 Se présente à la primaire présidentielle
écologiste.
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Photo : Julien Mignot pour Télérama
Propos recueillis par Weronika Zarachowicz (Télérama)
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