Comment
tuer un lanceur d’alerte ?
Quelle est la
peine capitale pour un lanceur d’alerte en démocratie ? La mort sociale.
LANCEUR D’ALERTE : PRINCIPE
DE RÉALITÉ
Lorsqu’un citoyen pointe une dérive de l’État dans un
pays qui bat pavillon démocratique, ce n’est pas la simple fable
d’un pot de terre et d’un pot de fer qui
débute, c’est l’histoire d’une mise au pilori violente par tous les moyens qui
s’enclenche.
Le citoyen – impudent comme imprudent – se révèle être
traité comme le serait l’ennemi public numéro un d’une Nation. Le citoyen
lambda ne dispose pas de moyens équitables tels que l’accès prime
time aux médias de masse pour se défendre. Il
n’a souvent pas les moyens financiers d’engager une armada d’avocats pour mener
un combat qui sera (de toute façon) disproportionné.
LA LIBERTÉ À GÉOMÉTRIE VARIABLE
Dans des affaires comme celles de Snowden, d’Assange, de Chelsea
Elizabeth Manning, née Bradley Edward Manning (l’informatrice
de WikiLeaks qui sera finalement
graciée par Barak Obama) les « démocraties » prises la main dans le
sac d’abus inacceptables ont invariablement lancé sans coup férir la machine à
broyer socialement !
Faut-il rappeler que lorsque l’affaire
Snowden éclate, l’État américain ignorera tous
les fondements de la création même de l’Amérique et ses croyances. Tout du
moins s’autorisera-t-il quelques écarts d’interprétation au regard du préambule
de constitution des États-Unis adoptée par la Convention le
17 septembre 1787 :
Nous, le peuple des États-Unis,
en vue de former une union plus parfaite, d’établir la justice, d’assurer la
paix intérieure, de pourvoir à la défense commune, de développer la prospérité
générale et d’assurer les bienfaits de la liberté à nous-mêmes et à notre
postérité, nous ordonnons et établissons la présente Constitution pour les
États-Unis d’Amérique.
« Assurer les bienfaits de la
liberté »… Après les révélations du
lanceur d’alerte, l’histoire se souviendra des prises de position tièdement
outragées de nombreuses gouvernances « démocratiques » comme
l’Angleterre et la France ! On peut le comprendre, quand on
sait que ces mêmes gouvernances « démocratiques » collaboraient dans
différents programmes d’espionnage de masse de leur propre population…
On se souviendra également de la posture de Barak Obama
responsable de l’administration fautive et décriée : la National
Security Agency (NSA). Il concédera que le
programme d’espionnage mis en œuvre après le 11 septembre 2001 s’était
fait à grande échelle et sans véritables garde-fous, n’hésitant pas
à déclarer :
Les critiques ont raison de dire
que sans garde-fous appropriés, ce genre de programme pourrait être utilisé
pour obtenir davantage de renseignements sur nos vies privées, et ouvrir la
voie à des programmes de collecte plus indiscrets.
Un discours configuré pour le grand public, mais peu en
rapport avec celui moins connu d’un officiel du Pentagone qui avait fait part quelque temps plus tôt de ses
bienveillants sentiments à l’égard d’Edward Snowden et du sort qui
lui convenait le mieux : « I would love to put a
bullet in his head ! », ce qui se
traduit aimablement par « J’aimerai
bien lui mettre une balle dans la tête ! » !
Derrière les discours officiels reconnaissant le bien-fondé des
critiques. Derrière les promesses d’enquêtes approfondies, il y avait une
réalité beaucoup plus sombre. Le citoyen américain devait-il comprendre que
s’il refusait de se faire complice d’une transgression inacceptable en la
portant à connaissance de ses compatriotes il deviendrait une cible à abattre
« d’une balle dans la tête » ?
LA PEINE CAPITALE POUR UN LANCEUR
D’ALERTE EN DÉMOCRATIE : LA MORT SOCIALE
Les lanceurs d’alerte, ces héros des temps technologiques – quel
que soit le courage que les citoyens et citoyennes leur attribuent dans une
large majorité – ont pour bon nombre socialement tout risqué et tout perdu.
Leur vie a été mise en hypothèque, leur mort sociale programmée, leur mort
physique aura parfois été envisagée. Le plus déplorable étant que cette
situation n’intervient ni dans des dictatures, ni dans des pays autoritaires ou
totalitaires, mais dans des pays supposés garantir leur droit inaliénable à
dire ! Quelle déroute !
N’est-ce pas là un plaidoyer en faveur de
l’anonymat ?
Qu’est-ce qui est le plus prudent aujourd’hui dans nos
« démocraties » informatisées pour un citoyen soucieux de défendre
des droits humains fondamentaux et le collectif ? Risquer la mort sociale
ou opter pour l’anonymat pour agir ?
QUAND LES DÉMOCRATIES FONT LA
LEÇON AUX DICTATURES
Les gouvernances de « démocraties » qui ont opté pour
de telles pratiques peuvent se targuer d’avoir accru la perte de confiance du
citoyen dans le politique. Elles ont perdu toute crédibilité lorsqu’elles
dénoncent à cor et à cri les dérives des régimes autoritaires qui leur sont
devenus, dans certaines situations – dont celles évoquées – les sœurs
siamoises ! Les dictatures ayant le « mérite » d’agir violemment
et sans discrétion contre toutes formes de contestation à des pratiques
illégitimes.
- Que n’aurait-on dit il y a encore quelques années en France – pays des droits de l’homme – d’un État souhaitant mettre en place un algorithme – configuré de façon opaque – de surveillance de la population ?
- Que n’aurait-on dit d’un algorithme visant à définir et trier le bien du mal, un outil supposé distinguer le bon et le mauvais citoyen potentiel selon des critères inconnus définis par quelques hommes ?
- Que n’aurait-on dit des pratiques d’un tel pays souhaitant se doter d’un tel algorithme entre les mains d’une simple autorité administrative ?
Nous aurions probablement crié collectivement au scandale et à
l’infamie ! Nous nous serions – peut-être – rappelés des sages paroles de
George Orwell : « La dictature
peut s’installer sans bruit ! »
Les temps ont changé ! Cet algorithme
est en cours de déploiement depuis le début du mois d’octobre 2017 dans un pays qui s’est fait bien
silencieux. Ce pays c’est le mien, c’est le vôtre,
c’est le nôtre. Ce pays c’est la France !
Une société qui tolère le mal en
devient la complice.
— Eugênio de Araújo Sales
Source contrepoints.org
Par Yannick Chatelain.
Yannick Chatelain est professeur
associé et enseignant-chercheur à Grenoble École de Management. Diplômé de
Grenoble École de Management, titulaire d’un Doctorat Business of
Administration à l’université de Newcastle-Upon-Tyne, ses travaux portent sur
Internet, le contrôle social, la contre-organisation sociétale et la liberté
d’expression. Expert du Digital, spécialiste du hacking et de la communauté
hacker, il est l’auteur de nombreux ouvrages sur le digital marketing, le
hacking et la cybercriminalité. Son dernier ouvrage (2016) « Big data ou
BIG CATA? L’effet Snowden », est
paru aux éditions Kawa.
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